Montréal, 4 février 2007 • No 211

 

OPINION

 

Christian Saucier détient un MBA de l'Université de la Géorgie et est conseiller en affaires auprès d'entreprises multinationales.

 
 

LE DÉGEL DES PRIX DES MÉDICAMENTS

 

par Christian Saucier

 

          Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Philippe Couillard, a dévoilé la nouvelle politique du médicament du gouvernement cette semaine. Celle-ci annonce le « dégel » du prix des médicaments, permettant aux compagnies pharmaceutiques de majorer leurs prix à raison de 2% par année. L’augmentation du coût des médicaments aura certainement un impact à la hausse sur le plafond annuel et les déductibles qui doivent être payés par les individus, que ceux-ci soient couverts par le régime d’assurance public ou par une assurance privée.

 

          À l’annonce de cette nouvelle, de nombreux groupes de pression se sont immédiatement opposés à la politique. Les autres partis politiques de la province se sont aussi prononcés: le Parti québécois s’inquiète des conséquences de ces changements et le parti Québec solidaire va même jusqu’à recommander la création d’une nouvelle société d’État mandatée à inventer et produire de nouveaux médicaments!

          Depuis 1994, le gouvernement du Québec maintient le prix des médicaments artificiellement bas, empêchant les compagnies pharmaceutiques d’augmenter leurs prix, ne serait-ce que pour contrer l’inflation. Cela signifie que le prix réel des médicaments au Québec a en fait baissé tout au cours de la dernière décennie. Dans le contexte des dernières années où, sur le marché international, le prix moyen des médicaments a vue des hausses annuelles de plus de 6% par année, il est certain que le statu quo au Québec ne pouvait être maintenu. Depuis quelques années, plusieurs compagnies pharmaceutiques, par l’entremise de l’organisme Rx&D, menacent de retirer certains produits du marché québécois.

          La majoration des prix était donc inévitable. Mais comment le Québec en est-il arrivé au chiffre magique de 2%? Pourquoi ne pas permettre une majoration de 1%, ou de 3% par année? Le ministre Couillard laisse entendre qu’il pourra y avoir des exceptions à cette règle générale. Visiblement, nous pouvons nous attendre à ce que cette politique génère plus de confusion dans un domaine déjà très politisé et complexe.
 

La détermination des prix

          Les arguments utilisés par les gouvernements pour s’ingérer dans la gestion de prix sont toujours les mêmes: dans certains cas, il doit y avoir un plafond afin de s’assurer qu’une industrie n’abuse pas des consommateurs, et dans d’autres, il doit y avoir un plancher afin d’assurer à l’industrie un revenu minimum. Bien qu’à première vue, ces arguments puissent sembler convaincants, la mise en place de politiques basées sur ces manipulations naïves du marché ne fait que nuire, autant aux producteurs qu’aux consommateurs.

          Dans un marché libre de toute intervention gouvernementale, personne ne contrôle le prix d’échange; le prix est déterminé naturellement par l’interaction des producteurs et des consommateurs qui doivent individuellement balancer leurs besoins avec la disponibilité d’un bien en particulier. Le prix n’est alors que le mécanisme qui nous permet d’atteindre cet équilibre: si un bien est rare et en forte demande, le prix sera haut; si un bien est disponible en grande quantité et que peu de gens en ont besoin, le prix sera bas.

          Ce phénomène de détermination des prix est souvent mal compris. Du point de vue d’un consommateur qui entre dans un Wal-Mart pour acheter une lampe de chevet, il ne semble pas y avoir beaucoup de flexibilité dans le prix de l’article: le prix est déjà affiché par le détaillant, et il est rarement possible de négocier.

          Ce que l’on oublie souvent, en tant que consommateur, c’est que nous avons le choix. Le choix de ne pas acheter l’article en question, le choix d’acheter chez un compétiteur, le choix d’acheter un substitut ou une alternative au produit, etc. Pour les producteurs, ce choix représente un pouvoir énorme et terrifiant. Et de fait, les consommateurs avertis profitent souvent des « soldes de fin de saison » et autres occasions de ventes pour acheter ce qu’ils ont besoin.

          Qu’arrive-t-il lorsqu’un producteur ou un détaillant se retrouve avec un article qui ne se vend pas? Que peut-il faire? Le message des consommateurs est clair: soit le prix est trop élevé, soit personne n’a d’intérêt pour le produit. Il faut alors procéder à une liquidation afin de libérer l’espace pour d’autres marchandises plus intéressantes. Par la suite, lorsqu’un produit similaire fait à nouveau son apparition, le détaillant – même s’il perçoit une demande – se souviendra de la première expérience et, s’il décide d’étaler le produit, devra déterminer un prix qui, cette fois, attirera les consommateurs.

          Pour un produit donné, toutes autres considérations étant égales (qualité du produit, quantité offerte, etc.), un consommateur cherchera à payer le moins cher possible, alors que le producteur voudra vendre au plus haut prix. Le prix de vente n’est jamais le prix idéal pour le consommateur, tout comme il n’est jamais le prix idéal pour le producteur. Le prix de vente, est déterminé par l’ensemble des interactions entre les consommateurs et les producteurs.
 

...et les pilules?

          Mais ce mécanisme de détermination des prix s’applique-t-il également aux médicaments? Est-ce réaliste de penser que l’on puisse laisser le marché déterminer les prix de produits qui comptent tellement pour notre santé et notre vie? Après tout, il est beaucoup plus difficile et complexe de mettre en marché un nouveau médicament que de faire la distribution et la vente de lampes de chevet chez Wal-Mart.
 

« Même dans un domaine aussi important que celui de la production de médicaments, malgré l’existence de multiples intermédiaires entre le producteur et le consommateur, le marché est nécessaire à l’obtention de produits de qualité qui répondent aux besoins des consommateurs. »


          La complexité des produits, leurs coûts, et l’importance de prendre une décision éclairée dans le choix d’un médicament sont précisément les raisons qui justifient le besoin de concurrence et d’alternatives pour le consommateur. Lorsque nous devons nous procurer un médicament pour nous soulager ou pour régler un problème de santé, nous voulons avoir le plus de choix possible afin de trouver celui qui réponde le mieux à nos besoins. C’est pour cette raison aussi que nous voulons faire affaire avec des professionnels: un médecin compétent et un assureur fiable.

          Lorsqu’on n’est pas satisfait du travail de son médecin, on veut pouvoir aller demander une seconde opinion; si un assureur ne veut pas couvrir les traitements qui nous intéressent, on peut changer de compagnie; si un médicament nous cause de trop mauvais effets secondaires, on demande à changer de prescription, etc.

          Ces choix sont tous possibles grâce à l’existence d’un marché: grâce à l’existence de solutions de rechange qui se font compétition afin de satisfaire le plus exactement possible les besoins du consommateur.

          Il est donc important de garder à l’esprit que même dans un domaine aussi important que celui de la production de médicaments, malgré l’existence de multiples intermédiaires entre le producteur et le consommateur, le marché est nécessaire à l’obtention de produits de qualité qui répondent aux besoins des consommateurs.
 

La politique du médicament du Québec

          Qu’en est-il alors du contrôle des prix et de la politique du médicament du Québec? Le mot « politique » ici est adéquat. La politique du médicament, c’est en effet... de la politique.

          Selon les données du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), le Québec est, à travers le Canada, la région où se trouve la plus grande concentration de recherche et développement dans le domaine pharmaceutique (42.3% en 2002). Les compagnies pharmaceutiques emploient donc un grand nombre de personnes à travers la province (40 000 personnes, selon le journal Les Affaires). Ceci donne donc aux compagnies pharmaceutiques un grand pouvoir d’influence auprès des politiciens.

          De son côté, le gouvernement du Québec contrôle la liste des médicaments qui doivent obligatoirement être couverts par toute police d’assurance médicament au Québec. Les politiciens ont également choisis d’offrir des avantages fiscaux alléchants aux compagnies pharmaceutiques qui choisissent d’établir leurs centres de recherche ici. Et, bien sûr, il y a le gel des prix, ordonné par l’État il y a plus de 10 ans. Le gouvernement détient donc plusieurs atouts qui lui confèrent un pouvoir de négociation important auprès des compagnies pharmaceutiques.

          Dans ce contexte, revoyons les effets qu'entraînait la politique de gel de prix qu’imposait le gouvernement à l’industrie pharmaceutique. Du point de vue des producteurs, le marché québécois n’est pas aussi attrayant que ceux des autres provinces ou États américains où le même produit peut être vendu à plus fort prix. Il en résulte que plusieurs produits ne sont tout simplement pas disponibles ou assurables au Québec. De plus, tel que mentionné ci-haut, certaines compagnies pharmaceutiques ont même menacé de retirer des produits qui sont déjà sur le marché si le gel des prix était maintenu.

          Une autre conséquence d'un gel des prix est la baisse d’intérêt qu’ont les producteurs à investir dans la recherche et le développement au Québec. Lorsque vient le temps de choisir l’emplacement d’un centre de recherche, les compagnies préféreront se rapprocher de leurs marchés les plus lucratifs. En effet, si on compare l’évolution des prix des médicaments au Canada par rapport aux réinvestissements qu’ont fait les compagnies pharmaceutiques en R&D au Canada entre 1995 et 2004 (voir « Les effets pervers des contrôles de prix », p. 3), on note une très claire corrélation: lorsque les prix baissent par rapport aux prix du marché international, les investissements en R&D baissent aussi.

          Mais, ne vient-on pas de dire qu’au contraire, le Québec est un centre important de R&D en pharmaceutique? C’est en effet le cas, et voici l’ironie de toute cette affaire: ce que la main droite du gouvernement « prenait » aux compagnies pharmaceutiques en termes de « gel » de prix, la main gauche « redonne » à ces mêmes compagnies en crédits d’impôts et en subventions à la recherche! Le gel des prix de médicaments était donc en majeure partie maintenu, non pas aux frais des compagnies pharmaceutiques, mais bien aux frais du gouvernement lui-même, qui devait offrir des avantages fiscaux généreux pour maintenir la présence importante des compagnies pharmaceutiques au Québec.

          Les compagnies pharmaceutiques et le gouvernement du Québec, sont donc entrelacés dans une situation grotesque où le consommateur et le contribuable n’ont que très peu d’influence. Cette situation est non seulement inefficace, mais également très coûteuse! Tous les conseillers, fonctionnaires, cabinets, études, etc., reliés au maintien de l’appareil gouvernemental chargé de gérer la « politique du médicament » sont très coûteux.

          De plus, pour reprendre les propos de Bertrand Bolduc, président de Mistral Pharma: « Les sociétés où le développement de médicaments a été dirigé par l’État ont lamentablement échoué dans la découverte de nouveaux produits. Pratiquement aucun médicament original n’a été développé dans l’ex-URSS, en Chine (pour l’instant) ou à Cuba » (La Presse, Novembre 2006). Le Québec est un important centre de recherche dans le domaine pharmaceutique et il était grand temps que l’on libère cette industrie des supports artificiels, ainsi que des chaînes, qui la retiennent.

          Pour le bien-être des Québécois, l'État devait cesser de restreindre les prix des médicaments. Nous savons que les compagnies ne pourront pas hausser leurs prix de façon démesurée, puisqu’elles seront assujetties aux contrôles du marché. De plus, le Québec pourra bénéficier des retombées économiques générées par l’augmentation en R&D qui résulterait de l’ajustement des prix de médicaments au même niveau que le reste de la planète.
 

 

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