Montréal, 18 février 2007 • No 213

 

CHRONIQUE DE RÉSISTANCE

 

Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek de Strasbourg, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme.

 
 

LA RÉVOLUTION PAR LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

 

« Le programme du libéralisme devrait donc, résumé en un seul mot, se formuler ainsi: propriété [privée]… Toutes les autres exigences du libéralisme découlent de cette exigence fondamentale. »

 

–Ludwig von Mises, Le Libéralisme, 1927

 
 

par Marc Grunert

 

          La propriété privée individuelle est attaquée de toute part. Elle est attaquée d’un point de vue moral par les socialistes, experts en inversion des valeurs, et plus généralement par tous ceux qui prétendent dénoncer l’« égoïsme » et le « profit » dans une société fondée sur l’économie libre et la propriété privée (le capitalisme) et qui prônent à la place le sacrifice de soi sur l’autel de la pseudo-justice sociale. Pourtant la propriété privée est réellement l’élément civilisateur de la société. La civilisation s’étend sur le socle moral et juridique de la propriété privée, en aucun cas contre elle.

 

          Une civilisation qui ne respecte plus les droits individuels de propriété est une civilisation qui meurt ou qui ne se développe pas, comme l’a montré Hayek. Il a opposé les valeurs tribales qui règnent dans une société close où les échanges sont limités aux membres de la tribu et les règles d’une société ouverte qui permettent d’établir des relations avec des gens lointains que l’on n’a pas besoin de connaître, relations qui sont entretenues par le simple fait d’agir selon certaines règles abstraites (comme la propriété privée), pour satisfaire nos besoins mieux que dans le cadre tribal.

          Si la propriété privée est un principe civilisateur, c’est parce qu’il n’y a pas de liberté individuelle sans propriété privée, individuelle. Ce fait, si évident, logique (au sens de la logique de la réalité, pas seulement de la logique formelle qui est juste tautologie), est tellement massif qu’il est impossible de le dénigrer ou de le nier sans le valider implicitement par ses actes. Quels actes? Celui d’argumenter. Essayer de convaincre quelqu’un présuppose sa liberté et en même temps sa propriété de lui-même. Mais également celui de vivre, car vivre est un acte qui nécessite l’appropriation de quelque chose. Et définir une limite quantitative a priori au droit d’appropriation est une absurdité logique!

          Plus formellement, la liberté implique la possibilité de faire un choix et donc de disposer de quelque moyen dont l'usage nous est exclusif et permanent, la propriété privée. S'il fallait demander à la collectivité le droit d'agir, comme c'est le cas si la propriété collective est la règle, il n'y aurait plus de choix, plus de liberté mais simplement une mécanique de zombis. Toute tentative de justifier la limitation de la propriété privée autrement qu’en exigeant qu’elle soit cohérente avec elle-même (interdiction du vol) entraîne une contradiction pratique, un désaccord entre ce qu’on dit et ce qu’on fait.

          La propriété privée résout bien des problèmes que connaissent nos sociétés imprégnées de socialisme et dans lesquelles la propriété « collective » ou « publique » est parée de toutes les vertus. Nous allons voir que la propriété privée est la solution théorique et pratique à la plupart des problèmes actuels. Et s’il y avait un programme réellement civilisateur à proposer dans le cadre de l’élection présidentielle française, ce serait celui-ci: restaurer le droit de propriété privée, individuelle, dans son intégralité.
 

La propriété privée comme condition d’une vie signifiante

          Dans un texte, très beau et très vrai, Barry Smith définit la vie signifiante par le fait d’accomplir sa vie par ses actes libres (si je puis faire ce pléonasme):
 

          Une vie signifiante est une vie que l'on doit pouvoir percevoir comme ayant une certaine forme [...]. Si elle doit contribuer à donner du sens à la vie d'un homme, cette forme imprimée au monde doit être le résultat de ses propres efforts et de ses libres décisions. Elle ne contribue en rien au sens de la vie si ce qu'on a fait, si l'effet qu'on a produit sur le monde, n'est que la conséquence d'actions qui ont été accomplies sous les ordres de quelqu'un d'autre. [...] Mener une vie dotée de sens implique que ce soit lui-même qui décide comment agir sur sa propre vie et comment agir sur le monde où il vit – et c'est cela qui va servir de base à notre proposition selon laquelle la liberté, tout autant que la moralité, le bonheur ou le bien-être matériel, peut constituer un critère d'évaluation des civilisations.

          Si donc, il est vrai et irréfutable que la propriété privée est une condition de la liberté, alors il faut en tirer la conclusion suivante: il n’y a pas de vie signifiante possible dans une société où la propriété privée individuelle est détruite ou attaquée en tant que principe. Une société qui réduit le principe de la propriété privée à la possession de sa brosse à dents donne de la vie la signification d’une brosse à dents. Tout cela est d’une évidence que la vie quotidienne illumine à chaque instant, à chaque action.

          L’État, en se posant en maître de la propriété, est réellement l’utopie totale qui force les individus à vivre et à vouloir vivre en niant la propriété naturelle, en la repoussant. Et pour en finir avec l’égoïsme il faut dire ceci: pour être généreux il faut être propriétaire, pour être altruiste il faut avoir quelque chose à quoi renoncer. Cette chose peut être son temps. Mais pour que ce don ait la moindre valeur, la moindre signification, encore faut-il que le temps que l’on donne ait de la valeur pour soi. Donner, être altruiste, cela n’a finalement une signification que si le temps que l’on donne avait pu être utilisé pour créer de la valeur pour soi. Ce qui suppose d’avoir quelque propriété: à commencer par la propriété de soi, ce qui signifie de ne pas être forcé, ni de forcer un autre.
 

Propriété et liberté d’expression

          L’État s’est approprié les espaces dits publics, mais également une partie des droits liés à la propriété privée. Ainsi il n’est plus possible de dire tout ce que l’on veut car le maître décide ce qu’on a le droit de dire et ne pas dire. D’où le débat sur la liberté d’expression. Sous la pression de certains groupes, l’État interdit de compter les noirs dans l’équipe de football de France, de parler d’un certain prophète d’une manière critique, etc. La question n’est pas la vérité de ce qui est dit, mais le principe de la liberté d’expression. Tout le monde semble y tenir à cette liberté, mais que de confusion dans son analyse dès qu’on oublie que la liberté est logiquement liée à la propriété. Voilà la solution.
 

« Si, donc il est vrai et irréfutable que la propriété privée est une condition de la liberté, alors il faut en tirer la conclusion suivante: il n’y a pas de vie signifiante possible dans une société où la propriété privée individuelle est détruite ou attaquée en tant que principe. »


          Chacun a le droit à la libre expression, en tout lieu, et cela parce que chacun est propriétaire de lui-même, de son corps, de ses organes, et de l’air qui est devant sa bouche et qui lui permet de respirer. Il a donc le droit de dire ce qu’il veut. D’où viennent les limitations légitimes de la liberté d’expression? Uniquement de la propriété des autres et des engagements contractuels. Si je suis chez quelqu’un qui ne supporte pas ce que je dis, il a le droit de me jeter dehors. Si je dis quelque chose que je me suis engagé contractuellement à ne pas dire, je suis sanctionné de la manière contractuellement prévue. Ainsi donc, le droit de liberté d’expression n’est jamais perdu, il reste total, ce qui ne signifie pas qu’on l’on puisse dire impunément ce que l’on veut où on veut.

          La propriété privée est donc une garantie contre les restrictions abusives et arbitraires de l’État. Plus il y a de propriété « collective » (les espaces « publics »), plus il y a de risques de conflit entre ceux qui s’expriment et ceux qui veulent utiliser la force étatique pour les faire taire. Plus il y a de propriété privée accompagnée de l’intégralité de ses droits, plus il y a de liberté d’expression en acte (si du moins la police du droit est assez dissuasive). Encore une fois la conclusion est imparable: pas de liberté sans propriété privée, au sens plein du terme.
 

Propriété privée et immigration

          Le problème de l’immigration est celui de l’entrée des individus sur un territoire. Les gauchistes appellent effrontément « droit de l’homme » le fait de pénétrer sur un territoire et d’y rester. Dans ce cas, je suggère qu’ils ouvrent grandes les portes de leur appartement et leur salon, car c’est un droit de l’homme d’y entrer et de s’y installer. Le territoire national est divisé entre espace de propriété collective (la collectivité nationale) et de propriété privée sous le droit national. Ce n’est pas la collectivité nationale qui légitime la propriété privée, mais l’inverse: les propriétaires privés délèguent une partie de leurs droits à la collectivité, si tant est que cela soit possible. Ainsi, les hommes de l’État n’ont tout simplement pas le droit d’imposer à la collectivité des « invités » indésirables, c’est-à-dire qui n’ont jamais été invités.

          Si la France connaît aujourd’hui de graves problèmes liés à l’immigration, c’est que les hommes de l’État ont géré l’immigration à leur guise et qu’ils ont échoué dans l’intégration de ces populations très dépendantes économiquement. S’ils ont pu le faire, c’est en raison, encore une fois, de la part trop grande de « propriété collective ». La propriété privée encore une fois est la solution révolutionnaire au problème de l’immigration ainsi que l’explique Hans-Hermann Hoppe dans « Pour le libre échange et une immigration limitée »:
 

          La liberté de mouvement de l'immigrant est limitée par l'étendue de la propriété privée et de celle des terres en particulier. Mais, en empruntant les routes publiques ou les moyens de transport publics, et en restant sur les terres et parcs publics et dans les constructions publiques, un immigrant peut potentiellement se trouver sur le chemin d'un résident intérieur, et même se retrouver dans son voisinage immédiat, pratiquement à sa porte. Moins la propriété publique est importante, moins le problème sera aigu. Mais tant qu'il existe une propriété publique quelconque, on ne peut totalement y échapper.

          La privatisation du territoire est non seulement légitime, mais c’est aussi la condition d’une solution à divers problèmes comme l’insécurité, la pollution dans les grandes villes, et la circulation automobile dans un contexte de rareté (des voies de circulation). Je ne peux que recommander la lecture de Bertrand Lemennicier et son classique: « La privatisation des rues » (La morale face à l’économie, Éditions d’Organisation, 2006).

          Il faut ajouter ici peut-être un lien entre la culture et la propriété. L’immigration et l’intégration ratée ont aussi conduit à un choc des cultures au sein même du « territoire national ». La religion musulmane s’étend de plus en plus et cela uniquement à cause d’une immigration forcée, depuis des décennies. L’arrogance des « cultures invitées » atteint la limite du supportable, chaque communauté y allant de ses revendications, de ses procès en génocide ou autres injustices historiques remontant à plus de deux siècles. La candidate socialiste aux présidentielles parle à la « France métisse » et demande à la France violée de se taire. La France multiculturelle est une invention a posteriori qui prend acte de l’intégration forcée en la déguisant en un processus libre. Le multiculturalisme n’est qu’un mot postmoderne pour justifier le relativisme, attitude intellectuelle nécessaire pour accepter l’invasion et la ruine des valeurs traditionnelles des Français intégrés.
 

Propriété privée et prospérité

          Il n’y a que deux systèmes: l’égalité (prétendue!) dans la pauvreté ou l’inégalité dynamique dans la prospérité. Toute troisième voie aboutit à l’inégalité statique dans la médiocrité permanente – c’est le thème du livre de notre ami Jean-Louis Caccomo: La troisième voie, impasse ou espérance. La différence entre les deux modèles de société réside dans le choix entre propriété collective gérée par les hommes de l’État et propriété privée, entre économie administrée et économie libre. Or, c’est un fait historique et prouvé depuis longtemps par les économistes dignes de ce nom: c’est l’économie libre qui conduit, en tant que telle, à la prospérité.

          Cela a été montré magistralement par Ludwig von Mises dans son livre, L’action humaine et cela a été vérifié historiquement avec l’expérience criminelle et désastreuse des régimes communistes ainsi que celle des social-démocraties, expérience dont le thatchérisme a signé un coup d’arrêt qui a permis à l’Angleterre de sortir de la tiers-mondisation (en France, les hommes de l’État aiment tellement le tiers-monde qu’ils veulent nous y faire entrer, avec succès d’ailleurs).

          La juste et urgente révolution au sens étymologique du terme est donc celle-ci: la propriété privée. Et tout le reste sera obtenu par surcroît. Ludwig von Mises avait énoncé ce programme en 1927, il est aujourd’hui le plus neuf et le plus urgent qui soit.
 

 

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