Voilà
des mots dont nul ne se réjouira mais qui traduisent
néanmoins une réalité qui, pour cruelle ou ignoble qu’elle
puisse paraître, n’en est pas moins tangible.
Rien ne sert cependant de
s’offusquer ou d’épiloguer. À ce stade, la seule et unique
question qui vaille, c’est de savoir comment des êtres
humains – et je ne m’exclus pas du nombre – peuvent ainsi se
mettre à détester leurs congénères; les détester au point
d’en oublier leur fraternité génétique et biologique; les
détester au point de considérer que ce ne serait là qu’une
bonne leçon à méditer; les détester au point de leur
souhaiter ce qui, depuis les Grecs anciens, reste la seule
chose inacceptable aux yeux des hommes: la mort.
Ce qui m’importe donc à
titre personnel, au-delà d’un humanisme compassionnel ou de
façade, c’est de savoir pourquoi et comment ces pensées
odieuses ont pu me traverser l’esprit, pourquoi et comment,
l’espace d’un instant, j’ai pu oublier le caractère
tragiquement humain de ces corps allongés pour toujours dans
la poussière? Moi qui suis un farouche opposant à la peine
de mort, qui ne ferais pas de mal à une mouche, qui ne
reconnais pas la loi du talion, qui déteste toute forme de
violence et qui ne suis jamais plus ému que lorsqu’un
Malais me salue avec la main sur le coeur, voilà que
j’en étais arrivé à ne plus voir en ces pauvres suppliciés
que les représentants de cet État honni, représentants
auxquels je réfutais du même coup tout droit élémentaire à
la survie.
Car je le dis sans
ambages, c’est bien l’État et la représentation qu’en
fonction de son attitude coercitive, je me fais de lui, qui,
en ces moments-là, ont fait de moi un monstre. Ce n’est ni
ma nature indomptée, ni ma violence intrinsèque, ni ma
sauvagerie originelle qui a fait surgir d’un tréfonds
inexploré ce salopard qui, en proie au pire des égarements,
a pu se réjouir de la mort de l’un des siens – car tout
homme est des nôtres, aussi vil soit-il. Non, ce qui m’a
perverti, aveuglé, soumis, c’est la pression que cet État
fait peser sur moi. Pression qui m’apparaît d’autant plus
odieuse quand elle se personnifie et prend les traits de
celui qui me ressemble. Sorte d’évhémérisme hallucinant que
ce dieu État qui se fait homme pour mieux vous pervertir et
vous égarer.
Et il y a fort à parier
que si la gêne des autorités fût aussi manifeste, on la doit
en partie à cette interprétation inconsciente. La coercition
et le contrôle ont un prix qu’il faut savoir payer, fût-ce
par le sacrifice de ses agents! Tout le cynisme de l’État
est dans ce constat.
Cette triste affaire
rappellera aussi que l’État n’est pas comme on fait mine de
le croire trop souvent une sorte de fiction immatérielle. Il
ne continue d’exister que parce qu’il se trouve des hommes
de chair et de sang pour le servir ou... s’en servir.
Et s’il me prend à rêver
parfois d’un monde où ces derniers, dans un élan de liberté
retrouvée, refuseraient de se soumettre à ce diktat, d’un
monde où l’État disparaîtrait avec la même volatilité qu’un
mauvais cauchemar au réveil, il me faut admettre que pour
l’heure, je dois être bien endormi...
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