Pourtant, la France a longtemps fourni certains des
meilleurs « amis de la Liberté », pour reprendre la formule de Lord
Acton, c’est-à-dire des libéraux radicaux et fiers de leur
engagement politique; et ces libéraux-ci ont souvent beaucoup à
nous apporter.
Il y eut bien Frédéric Bastiat, tiré de l’oubli dans lequel il était
tombé grâce aux travaux de l’École autrichienne d’économie; mais
combien d’autres grands auteurs demeurent d’illustres inconnus,
alors qu’ils méritent notre reconnaissance, si ce n’est plus!
Avant d’envisager l’apport d’auteurs plus anciens, j’ai voulu
consacrer ce modeste article à la mémoire d’Antoine Pinay (1891-1994), le plus libéral des hommes politiques qui aient accédé au
pouvoir dans notre pays, pays que l’on se complaît à qualifier de « culturellement » réticent au libéralisme... Une telle approche est
en elle-même erronée; aucun pays n’est, par nature, destiné ou, au
contraire, incapable d’intégrer la « greffe » libérale.
En matière de liberté, il n’y a donc pas de « spécificité culturelle »; tous les pays, tous les individus ont un potentiel en eux qui, à
force d’explication et de rigueur, peut les pousser à découvrir et
même, apprécier, le libéralisme, seule pensée suffisamment
structurante et tolérante pour fédérer le plus grand nombre sans
qu’ils aliènent leur liberté...
L’exemple d’Antoine Pinay, celui que l’on appelait à l’époque « le
sage de Saint-Chamond », je l’espère, saura rallier les indécis,
notamment ces libéraux qui se sentent déçus par la politique... qui
certes, n’est guère toujours attrayante et qui même, en ces temps de
démagogie ambiante, peut aller jusqu’à rebuter les plus passionnés,
alors qu’elle est des plus nécessaires.
La res publica n’appartient pas à l’État, elle appartient à l’Homme.
C’est donc à l’Homme de se la réapproprier.
Antoine Pinay aimait à dire « Je suis un homme simple qui vit comme
tout le monde, et c’est peut-être pour cela que les gens ont
assimilé mon nom à celui de la confiance ».
La confiance, voilà ce dont les politiciens d’aujourd’hui ont sans
doute le plus besoin; et dans l’inconscient collectif, c’est un
libéral qui a su, un temps, incarner cette image de la confiance
pour le peuple français(1). Avec son faux air à la Keynes (avec qui
il ne faut surtout pas le confondre!), Antoine Pinay, esprit
indépendant aimant la discussion et le dialogue, était tout à la fois
bourgeois de province, industriel aux revenus modestes, catholique
sans ostentation, libéral convaincu, ancien combattant de la Guerre
de
1914-1918 et pacifiste fervent, homme enraciné à sa terre de France
et pourtant perpétuel voyageur, atlantiste soucieux de l’alliance
entre la France et son allié américain – sans pour autant négliger
une construction européenne qu’il voyait porteuse de libertés
économiques et de limitations de l’État central –, voilà,
grossièrement campé, le portrait du personnage.
Un personnage que la presse de gauche aimait à railler pour son
éternel chapeau rond, et dépeindre comme un notable, parce qu’il
était industriel (en réalité, il gérait la tannerie de sa
belle-famille dans une petite ville de province...) et surtout,
qu’il rêvait de gérer la France « en bon père de famille » alors
que, selon le dogme socialiste ambiant, « l’État ce n’est pas une
entreprise, ce n’est pas fait pour dégager du bénéfice ».
Certes, cela est sans doute vrai; mais l’État n’est pas là non plus
pour enregistrer des pertes. Et au regard du niveau d’endettement
considérable de la France de 2007, et de son coût inévitable sur les
générations futures – générations sacrifiées auxquelles on a appris le
seul culte de la lamentation –, on ne peut guère faire autre chose
que de déplorer l’absence de politique de « bon père de famille »
menée par nos décideurs politiques depuis plusieurs décennies.
D’ailleurs, il est toujours amusant de voir quel mépris ces
soi-disant « défenseurs des travailleurs » peuvent porter envers
ceux qu’ils appellent les « nantis », les « notables », etc., alors
que ce sont bien eux qui paraissent être les véritables privilégiés
du monde moderne...
Car les commerçants, les agriculteurs, les ouvriers tentant de
travailler à leur compte, les petits chefs d’entreprise, les cadres
traitant leurs dossiers plus de 45 heures par semaine... voilà les
véritables « travailleurs », spoliés par l’État – et qui font sa
richesse. Eux travaillent, ne font jamais grève, gagnent trop pour
percevoir des aides sociales, mais trop peu pour pouvoir partir en
vacances ou s’arrêter de travailler, et prendre leurs RTT. Tout cela
constitue une France silencieuse, une France qui souffre sans se
plaindre, et que tous oublient ou négligent.
C’est à cette France silencieuse que le discours d’Antoine Pinay
s’adressait, ce qui explique aussi sa réussite indéniable, et la
fascination qu’il pouvait exercer à l’époque.
Or, contrairement aux habituels démagogues et autres populistes
d’extrême-droite, Pinay tenait le discours de la rigueur, de la
méthode et de la raison.
Il ne parlait pas en « technocrate », mais en homme simple, rompu à
des situations difficiles qu’ils savait régler avec bon sens; il ne
se voulait pas meilleur que les autres, et avouait préférer la
pratique à l’idéologie et aux idées abstraites; somme toute, un
discours des plus séduisants non pas parce qu’il était visé à
contenter tout le monde par des promesses intenables, mais parce que
c’était celui de la vérité.
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