Si on
mesure l'écart grandissant entre le Québec et l'Ontario
depuis un demi-siècle en matière de croissance économique
globale, de population, d'investissement et d'emploi, le
recul relatif du Québec est incontestable. La période
1981-2004 révèle une croissance annuelle du PIB québécois de
2,4% contre 3,0% dans le reste du Canada (à 70,9% au total
contre 96,3% dans le reste du Canada). On n'en est pas à la
désertification de la province, mais le tableau est sombre.
Et pourtant, malgré cette
évolution déprimante, la mobilité a entraîné l'égalisation
du revenu par tête. Au premier coup d'oeil, le Québec est en
déficit de 10 à 16% par rapport à l'Ontario en matière
de PIB par tête, de revenu personnel disponible et de gains
hebdomadaires moyens. Mais ces chiffres font abstraction du
coût de la vie.
Selon l'indice du coût de
la vie d'octobre 2004 et selon Développement des ressources
humaines Canada, le coût de la vie s'inscrivait à Montréal
de 15,5% à 21,8% en dessous du niveau torontois. La
divergence des taux de croissance globale entre les deux
villes a été entièrement capitalisée dans le prix du sol.
Les Montréalais gagnent moins, mais ça leur coûte moins cher
de se loger et dans les mêmes proportions. C'est malgré sa
piètre évolution en matière de croissance et donc malgré la
Révolution tranquille, que le niveau de vie des Québécois
s'est aligné sur celui du Canada, non pas en conséquence de
ce mouvement étatiste.
Il arrive aussi que
certains ont des raisons spéciales de préférer une région à
l'autre. Or une préférence exceptionnelle est un peu comme
le sol, c'est-à-dire une ressource fixe ou invariable. Il se
trouve qu'au Québec, les Canadiens français s'avèrent moins
mobiles. Ils seraient prêts à sacrifier un part de revenu
pour bénéficier d'un environnement francophone. Le paradoxe
est que, grâce à la mobilité des autres résidents, ils n'ont
même pas à faire ce sacrifice, puisque leur revenu réel
converge vers le niveau national. Le nationalisme peut
devenir une idéologie rentable dans une économie intégrée.
Péréquation et fédéralisme |
Puisque les données établissent qu'il n'existe pas d'écart
observable entre le revenu par tête ajusté au coût de la vie
entre les provinces retardataires et les plus prospères, les
paiements de péréquation devraient donc être les mêmes
partout et vraisemblablement de zéro. Le fardeau de
politiques provinciales inefficaces s'exprime dans la plus
faible croissance. En contrepartie et dans la mesure où les
ajustements régionaux se font par la mobilité des gens, le
revenu réel par tête de la province fautive n'en converge
pas moins vers le niveau national. Le Québec, comme les
autres provinces retardataires, profite, non pas d'abord du
fédéralisme mais de son appartenance au marché commun
national.
Dans la mesure où le
revenu par tête n'est pas affecté par les défaillances de
leur gouvernement provincial, les Québécois ne portent pas
le coût intégral des lacunes de leur gouvernement. Dans la
même mesure, le votant médian n'est pas amené à résister
aussi vigoureusement aux mesures publiques qui le
défavorisent. Encore une fois, dans une économie intégrée,
l'esprit de clocher peut s'avérer une idéologie rentable.
Pour un économiste, ce travers explique peut-être aussi
pourquoi les données empiriques tracent un portrait ambigu
en ce qui concerne la contribution
du fédéralisme au freinage de la croissance et de la taille des
gouvernements.
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