On
dira: que le système X soit valable dans certaines
limites n'implique pas que sa validité soit en
elle-même limitée, mais seulement qu'elle se limite à
certaines circonstances et conditions. Mais c'est perdre de
vue que le système dont il est ici question est un système
de droits. Or un véritable système de droits,
c'est-à-dire un système de droits véritables, ne peut pas ne
pas être inconditionnel, parce que ces derniers le sont
par définition – c’est-à-dire doivent l’être. Les
hommes n'ont pas des droits sous certaines conditions et
dans certaines circonstances: un droit, c'est
justement ce qui ne dépend pas de telles limites – c'est ce
dont un homme est pourvu en et par lui-même, simplement en
tant qu'homme.
En troisième lieu, donc,
si l'argument protectionniste courant prouve que les droits
du système X ne sont pas universalisables, alors il prouve
tout d’abord toute la démagogie et la bêtise des démocraties
sociales occidentales (c’est-à-dire des
soeurs
ennemies des ex-démocraties populaires) lorsqu’elles
prétendent être l’oméga de l’Histoire, le modèle
idéal de toute vie en société et, à ce titre, le
flambeau de l’humanité – i.e. du reste de l’humanité. Car un
véritable idéal devrait être un modèle – une structure, un
système de règles – non seulement exportable, ou du moins
reproductible, mais effectivement universalisable,
c’est-à-dire global: il devrait pouvoir s’étendre au
monde entier, ou, ce qui est la même chose, lui
ouvrir ses portes – à lui et à toute sa misère. Tel n’est
pas le cas, de son propre aveu nationaliste, du système de
protection sociale. En revanche, j'y reviendrai en
conclusion, mais je l’avance dès à présent, le capitalisme,
lui, se mondialise sans faire de difficulté.
En quatrième lieu,
si l’on avoue qu’un système de protection sociale
appelle comme son corollaire obligé un système de protection
nationale, alors, en avouant que cette « protection sociale »
est un système de droits non universalisables, on avoue
aussi bien qu’elle est un système de droits non universels.
Mais, tout droit étant universel, on avoue alors 1) que la
protection nationale n’est requise que parce que la
protection sociale n’est pas celle de véritables droits,
mais de l’inverse de droits véritables: de privilèges. De
fait, on ne peut tout à la fois justifier la nécessité de
droits sociaux « au logement », « à l'éducation », « à la
santé », etc., par le fait qu'il s'agisse de « droits
universels » lorsqu'il s'agit de les établir à l'intérieur
des frontières nationales, puis justifier la nécessité de
les protéger par ces mêmes frontières nationales par
l'impossibilité de les universaliser! On voit à nouveau,
ici, la démagogie et la bêtise des démocraties sociales
occidentales lorsqu’elles se prétendent le héraut des « Droits de l’Homme ». Faut-il une seconde de réflexion pour
juger que ces derniers ne peuvent être que les mêmes pour
tous? L’argument courant avoue donc 2) que la protection
nationale-sociale ne relève pas du tout de la « protection
», contrairement à ce que laisse entendre la novlangue
étatiste, mais de l’agression. Contrôler l’immigration, en
effet, ce n’est pas ne pas gratifier les étrangers de
pseudo-droits, i.e., de subsides nationaux-sociaux: c’est
empêcher certains individus d’échanger librement de part et
d’autre d’une ligne arbitraire de démarcation.
En cinquième lieu,
l'argument protectionniste courant prouve surtout que le
système X est intrinsèquement déséquilibré: s’il n’est pas
universalisable, si la « protection » sociale de ses membres
appelle leur « protection » nationale, ce ne peut être que
parce qu’il octroie des privilèges à certains de ses
membres aux dépens d'autres. Autrement, l'addition de
nouveaux X ne pourrait jamais menacer de le déséquilibrer.
C'est précisément cette logique spoliatrice-redistributrice
qui constitue son absurdité de fond. Elle est absurde en
fait: le « modèle » français, par exemple, ne pourrait pas protéger
les droits sociaux de toute l’humanité; mais aussi bien en
droit. C’est-à-dire qu’elle est tout bonnement
contradictoire. En effet, s’il est question de droits,
alors il ne peut être question de prélever à certains
en faveur d’autres; de même, la notion de « coût
social net » est une monstruosité si l’on prétend parler
droits sociaux, car le respect des droits d’un
homme ne peut jamais être une hypothèque sur ceux des
autres – donc légitimer leur infraction.
En dernier lieu, donc,
tout ce que prouve l'argument courant en faveur du contrôle
de l'immigration, c'est bien que le nationalisme est la
limite de l'absurdité socialiste – et qu'il en est aussi la
preuve. Et c'est de cela dont le glissement de la campagne
électorale française de la « question sociale » à la « question nationale » est symptomatique. Après la surenchère
démagogique et populiste, elle était un passage obligé. En
effet, seule la double incohérence qu'est l'identification
collective des membres de l'État X et leur distinction
collective des membres de l'État Y revêt d'un semblant
de cohérence, c'est-à-dire d'universalité et d'humanité, sa
politique nationale-sociale. Elle justifie tout à la fois –
du moins tant que l'on reste sans réflexion ni recul –
impôts et frontières.
L'argument
protectionniste courant se révèle donc lui-même, à
l'analyse, être une absurdité manifeste: s'il est impossible
d'ouvrir un système au monde entier en raison des « droits »
qu'il octroie, alors il ne faut pas « protéger » ce modèle
de protection sociale, mais jeter ses privilèges au feu – du
moins si l'on accepte la prémisse humaniste selon laquelle
les Droits de l'Homme sont les mêmes pour tous, et que l’on
cherche à être cohérent. Mais, au prix de la cohérence, le
nationalisme est un moyen pratique d’évincer cette vérité
fondamentale au profit du tribalisme et du collectivisme (ou
animisme social).
En guise de conclusion,
je me contente d'indiquer l'envers de ce dont il vient
d'être question: l'envers de la question nationale-sociale
et de toute frontière. Contrairement à tout système étatique
de protection sociale, la concurrence, elle, est a priori
universalisable puisqu'elle se définit par la liberté
d'entrer dans un marché(2).
Mais si elle l'est, alors elle définit la règle d'un système
universel – donc conforme au principe d'isonomie,
c'est-à-dire de stricte identité des droits. Dans un système
marchand – plus exactement: dans une société libre – ces
droits sont, non pas une somme arbitraire de privilèges que
l'État distribue à certains après les avoir prélevés sur
d'autres, mais la liberté que tout homme possède par
lui-même.
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