Montréal, 8 avril 2007 • No 220

 

ÉCONOMIE 101

 

Christian Saucier détient un MBA de l'Université de la Géorgie et est conseiller en affaires auprès d'entreprises multinationales.

 
 

RIEN N'EST GRATUIT, TOUT A UN COÛT *

 

par Christian Saucier

 

          L'être humain a la merveilleuse faculté de rêver; il peut s'imaginer un futur où ses désirs et ses ambitions sont réalisés. Certains rêvent d'amour et de stabilité, d'autres aspirent à la notoriété et au pouvoir, d'autres encore désirent la santé et la sécurité. Il n'y a pratiquement aucune limite à ce à quoi on peut rêver.

 

          La réalité des choses contraste toutefois avec ces rêves car les ressources qui nous permettent de réaliser nos désirs sont indéniablement limitées. Qu'il s'agisse d'argent, de temps ou d'expertise, voir également d'essence, de bois, ou de mémoire dans un ordinateur personnel, nous devons tous régulièrement faire face à des contraintes causées par la rareté d'une ressource.

          Ces contraintes nous forcent à faire des choix. Lorsque nous choisissons d'investir dans un projet, nous le faisons toujours au détriment d'un autre. Pour réaliser nos rêves et combler nos désirs les plus chers, il nous faut choisir judicieusement l'usage que nous ferons des ressources auxquelles nous avons accès. Ces choix reposeront sur la valeur et les coûts associés aux divers projets alternatifs qui s'offrent à nous.
 

La valeur

          La valeur est un concept très subjectif. Deux personnes différentes ne valoriseront pas une même chose exactement de la même façon. En fait, une même personne, à deux moments différents, peut facilement changer la valeur qu'elle assigne à une chose.

          Il faut aussi faire attention de ne pas confondre la valeur avec le prix; la valeur que j'assigne à ma santé, à mon chien, ou même à ma maison ne s'exprime pas en chiffres. Je valorise ces biens par rapport à d'autres et conclus, par exemple, que si je devais choisir entre ma santé et ma maison, je préférerais la santé. La valeur se mesure donc de façon ordinale. On aime une chose « plus » ou « moins » qu'une autre.

          Prenons un autre exemple: je dispose d'une rare journée de congé et j'hésite entre aller marcher en montagne ou rendre visite à un ami (qui n'aime pas du tout la montagne). Supposons qu'après réflexion, je décide d'aller voir mon ami. On peut alors dire qu'au moment de la décision, la visite chez mon ami avait, à mes yeux, plus de valeur que la marche en montagne.
 

Les coûts

          Parlons maintenant des coûts; la valeur et les coûts sont évidemment intimement reliés. Tout comme avec la valeur, il est également important de concevoir le coût d'un bien indépendamment de son prix.

          On exprime souvent le coût d'un bien par la quantité de ressources qui ont du être utilisées à son obtention. C'est l'approche que nous avons utilisée dans notre article sur l'influence des motivations. Par exemple, on dit: « mon fauteuil m'a coûté 500 $ » ou bien encore « j'ai profité de ma journée de congé pour aller voir mon ami ». Dans ces exemples, les 500 dollars et la journée de congé sont les ressources qui ont été dépensées.

          Mais cette mesure ne permet pas de comprendre la valeur de 500 $ ou de la journée de congé aux yeux de la personne qui prend la décision; pour certains, 500 $ est une bien modique somme, alors que pour d'autres ça fait toute la différence à la fin du mois. Une mesure plus révélatrice du coût réel, est de considérer l'opportunité qui a du être abandonnée pour acquérir le bien. En choisissant d'aller visiter mon ami, j'ai dû sacrifier l'opportunité d'aller marcher en montagne.
 

« Lorsque les gens oublient ou ignorent les coûts reliés à l'obtention d'un bien ou d'un service, ils développent la tendance à en abuser. L'abus survient inévitablement puisqu'il n'y a pas de sacrifice à faire afin d'obtenir le bien. »


          Le coût d'opportunité, c'est la valeur du bien moins prisé que l'on doit sacrifier afin de pouvoir obtenir le bien désiré.

          Cette définition s'applique tout aussi bien aux entreprises. Lorsque les dirigeants de Bombardier décident d'investir dans la production de la nouvelle CanAm Spyder, ils doivent utiliser des ressources limitées et de ce fait, sacrifier le développement de divers autres projets auxquels les dirigeants étaient aussi intéressés.

          Prendre conscience des coûts exprimés en termes d'opportunités est important, car cela nous permet de mieux mettre en perspective la valeur que nous assignons à divers biens et aux diverses influences qui guident nos choix.
 

Les marchés et l'importance des prix

          Ces choix individuels au sujet de la valeur de certains biens par rapport à d'autres sont perçus par les gens et les entreprises qui nous entourent. Lorsqu'un entrepreneur constate un besoin ou une demande inassouvie, il doit tenter d'en évaluer l'importance – la valeur – aux yeux des consommateurs.

          L'entrepreneur doit ensuite évaluer les coûts associés à la production du bien en question. Pour ce faire, il doit alors déterminer les ressources dont il aura besoin. Les coûts auxquels une entreprise doit faire face dans la production d'un bien indiquent que les ressources qu'elle prévoit utiliser (matériaux, capitaux, main-d'oeuvre, etc.) sont également convoitées pour la production d'autres biens.

          Les marchés servent à coordonner l'assignation de ces ressources limitées entre les producteurs qui tentent de répondre aux besoins quasiment illimités des consommateurs. Plus particulièrement, le prix indique l'importance des coûts associés à l'usage d'une ressource qui est convoitée par plusieurs agents.

          Il est important de bien comprendre le rôle central que remplissent les marchés et les prix dans une société. Un naufragé solitaire sur une île déserte n'a pas besoin d'assigner un prix pour mesurer la valeur ou le coût de ses biens. Cependant, dans une économie composée de multiples agents ayant tous des projets et des besoins différents, il est nécessaire d'avoir un indicateur qui reflète la valeur d'une ressource aux yeux de l'ensemble des agents. Cet indicateur, c'est le prix.
 

Il y a un coût à ignorer les coûts

          Il y a évidemment plusieurs situations où un bien est offert gratuitement. Le gouvernement peut offrir des soins de santé « sans frais », une compagnie peut offrir un cadeau à l'achat d'un produit, etc. On comprendra bien sûr, que dans ces situations, les coûts ne sont pas annulés, ils sont simplement défrayés par une autre personne.

          Le coût de notre système d'éducation est la valeur des autres biens et services qu'il nous faut sacrifier afin de financer la construction d'écoles, le salaire des professeurs, les laboratoires de recherche, etc.

          Est-ce qu'une université est plus importante qu'un hôpital? Est-ce que l'approvisionnement en énergie est moins important que les infrastructures routières? Il est impossible de répondre à ces questions sans avoir un mécanisme qui permette de mesurer les besoins et les moyens de la population. Ce mécanisme, encore une fois, c'est le marché.

          Les sondages d'opinion et les élections peuvent représenter les désirs d'une population, mais ils ne traitent aucunement des coûts associés à la réalisation de ces désirs. On peut répondre ce que l'on veut à un sondage sans devoir payer pour les coûts associés à mise en oeuvre de nos réponses.

          Lorsque les gens oublient ou ignorent les coûts reliés à l'obtention d'un bien ou d'un service, ils développent une tendance à en abuser. L'abus survient inévitablement puisqu'il n'y a pas de sacrifice à faire afin d'obtenir le bien.

          Les étudiants veulent la gratuité scolaire. Les malades veulent la gratuité des médicaments. Les automobilistes veulent la gratuité des routes. Les désirs sont illimités.

          Mais la réalité nous oblige à devoir faire des choix. Quand les gens sont libérés de tous les coûts, quand ils n'ont pas de sacrifice à faire pour bénéficier d'un bien, il devient alors impossible de faire une bonne gestion des ressources disponibles. Ces ressources sont alors réparties arbitrairement et le système n'en vient jamais à répondre de façon efficace aux besoins réels des usagers.

          En fin de compte, tout a un coût, on n'a jamais rien pour rien.

 

* Cet article est le second d'une série qui tente de vulgariser les concepts de base de la science économique. La série est elle-même inspirée d'un petit livre intitulé Ce que tous les Québécois devraient savoir sur l'économie publié en l'an 2000 par l'Institut économique de Montréal. Le premier article traitait de l'influence des motivations.

 

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