Foin de pamphlet donc! Pas de formules lapidaires que l’on assène
comme des vérités premières et qui laissent coi. Pas de mots
définitifs qui ne tolèrent ni répartie ni contradiction. Pas de
sentences tonitruantes dont on ne se relève pas. Place au succédané,
à l’ersatz de l’air du temps, aux mots tièdes et sirupeux! Place au
verbe édulcoré, produit de régime, sucrette littéraire!
Le propos s’y prêtait
pourtant. « Retenez-moi ou je fais un malheur »... Il m’aurait fallu
naître en Angleterre ou en Amérique, pays pétris de défauts, mais où
l’on peut encore écrire n’importe quoi. Chez nous, la justice
veille. On se lasse vite des prétoires, l’humour s’y fait rare. Le
dernier à avoir mis les rieurs de son côté fut Landru. En France, il
faut brûler des femmes dans une cuisinière pour amuser la galerie.
Curieux pays tout de même!
L’âge aidant, ou plutôt
n’aidant pas, la plume s’assagit. D’aucuns traduiront « s’affadit ».
On gagnerait en profondeur ce que l’on perdrait en légèreté.
Voire... « Les tombeaux sont toujours profonds », prophétisait Morand
sur ses vieux jours. Veillons à ce qu’ils ne le soient pas trop. Et
si ma coiffe de chef indien a perdu ses plumes, il me reste tout de
même quelques flèches dans mon carquois.
L’interdiction d’écrire
ce que l’on pense avec les mots que l’on veut est d’autant plus
regrettable que « mauvaise foi » vaudra toujours mieux que pas de foi
du tout. Le fameux « sans foi ni loi » qui n’est d’ailleurs français
que d’esprit. Notre pays a-t-il souvent manqué de foi qu’il n’a
jamais manqué de lois.
Que l’édition ait
toujours été bien servie n’étonnera guère. La légende littéraire
regorge d’interdits et d’exils plus ou moins glorieux. La Belgique a
accueilli ou publié Beaudelaire, Hugo, Daudet. Quant à Voltaire,
Beaumarchais, Retz et tant d’autres, ils furent embastillés pour de
maigres poulets. Sacha Guitry, Chardonne perpétuèrent la tradition,
les raisons en fussent-elles autres!
Le plus petit des
quolibets est qualifié d’injure, le moindre propos déplacé
d’insulte. Révélation ou indiscrétion deviennent atteinte à la vie
privée. On ne dit plus censure, mais droit à l’image. Bientôt, on ne
pourra plus photographier son chien sans risquer un procès. Il faut
désormais lire la presse suisse pour être informé des frasques de
nos ministres.
Les condamnations se font
au portefeuille, moyen le plus sûr de calmer les esprits. Les riches
écrivent rarement! Ou si mal... Tous les prétextes sont bons: injure
au président de la république – un honneur par les temps qui
courent! –, à officier ministériel, à agent de la force publique,
voire au plus fade des fonctionnaires puisqu’aussi bien, au nom de
la vulgate officielle, ce dernier est à l’État ce que l’hostie est à
Jésus – transsubstantiation d’un genre aussi nouveau que pervers.
Sinécure presque aussi
généreuse que les prud'hommes, le procès en diffamation enrichit les
médiocres, les sots et les cossards car il n’est pas un pamphlétaire
sensé qui s’attaquerait à des gens biens. Où serait le plaisir?
La canaille peut dormir
tranquille avec « cette police dont les coupables sont le prétexte,
et les innocents le but ». Je ne me lasse pas de cette formule (cf.
« Chirac,
Royal, Sarkozy: de l’anti au faux libéralisme ») de Benjamin Constant, aussi jeune que son
Adolphe ou sa Cécile. Ce ne sont pas les chefs-d’oeuvre qui
vieillissent mais les sociétés. Une façon de dire aussi que les
choses ne changent guère au-delà des impressions trompeuses. Et,
s’il y eût dans l’histoire de notre pays de courts laps de temps où
liberté et expression ont pu marcher de conserve, la règle
coutumière ne fut pas celle-là.
La France est un pays où
il ne fait pas bon dire ce que l’on pense; et où d’ailleurs, il est
devenu préférable de ne plus penser. Tout y est prétexte à
inquisition, interdiction, intimidation, législation, coercition,
confiscation. Si ce n’est la justice, c’est le FISC. Les moyens ne
manquent pas de faire taire les audacieux. Le délit d’opinion règne
en maître, drapé dans de fallacieux oripeaux. Jargon, argutie,
lâcheté et défausse feront le reste.
Nul ne s'offusque par
exemple de voir un ministre de l'Intérieur intimider un éditeur à
propos d'un livre sur sa femme au point d'ailleurs de le faire
renoncer à son projet ou un juge mis en cause dans la plus grande
erreur judiciaire française de tous les temps (procès d'Outreau)
poursuivre un journaliste qui, s'appuyant sur les travaux d'Hannah
Arendt, avait comparé son comportement à celui d'Eichmann pendant
son procès...
J’en ai déjà trop dit. Et
mon ton n’est pas le bon. Il faudrait se coucher davantage ou se
taire tout simplement. Certes, mais quel ennui! Au moins n’aurais-je
pas à fuir en Belgique puisque j’y suis déjà.
Père de cinq merveilleux
garçons, c’est d’abord à eux que j’avais envie d’écrire. D’autres
enfants m’entendront peut-être, leurs parents aussi. Ils ne seront
pas nombreux.
Peu causant d’ordinaire
et soucieux de leur épargner mes écarts, qu’ils soient de langage ou
de conduite, je n’ai jamais cherché à les influencer quant à leurs
choix politiques, éducatifs ou professionnels. Et si je l’ai fait,
c’est à mon corps défendant. Ce qu’ils sont, ils ne le doivent qu’à
eux-mêmes. Et ce n’est pas la moindre de mes fiertés.
Je ris de ces
familles où hors écoles prestigieuses et formations traditionnelles,
il n’y aurait point de salut. Afficher, comme François Bayrou, sa
vanité de voir ses six rejetons choisir l’école polytechnique, est
la pire illustration que l’on puisse donner de la sclérose qui mine
la société française. Voilà un unanimisme qui fera rêver dans les
chaumières mais imagine-t-on une société où tous les membres d’une
même famille seraient condamnés à l’identique? Quelle absence de
singularité! Les élites se reproduisent désormais au vrai sens du
terme, pareils à des clones. Tardive mais sombre revanche des nazis
qui, de leurs phalanstères, imaginaient pour leur descendance un
Reich de mille ans.
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