Montréal, 15 avril 2007 • No 221

 

COMMENT ÊTRE FRANÇAIS?

 

Patrick Bonney est polémiste et éditeur en Belgique.

 
 

60 MILLIONS DE PÉTAINISTES?

 

par Patrick Bonney

 

          Je n’aime pas mon pays. Je n’aime pas ce que ses habitants en ont fait. Je n’aime pas l’idée de ces générations sacrifiées sur l’autel de la médiocrité. Je n’aime pas cette pusillanimité érigée en mode de vie et brandie en étendard sur fond de bleu, blanc, rouge. Car s’il est un sang impur, ce n’est pas celui qu’on croit...

 

          Mais qui d’ailleurs pourrait aimer un pays où le maire d’un petit village confond les élèves de l’école communale avec des droits communs et les condamne au pain et à l’eau sous prétexte que leurs parents ont oublié de payer la cantine? Qui pourrait aimer un pays où des policiers appréhendent un grand-père sous les yeux de son petit-fils à la fin de la classe au motif qu’il est en situation irrégulière? Qui pourrait aimer un pays où le directeur d’une succursale de banque dénonce un sans-papier à la police sans que sa hiérarchie ou ses clients ne s’en offusquent davantage?

          Qui pourrait aimer un pays où des journalistes et des directeurs de publication sont lourdement condamnés pour s’en être pris à un juge d’instruction responsable de la plus grande faillite judiciaire des trente dernières années? Qui pourrait aimer un pays où le simple fait de chercher un logement s’apparente à un parcours du combattant pour qui ne dispose pas d’un statut de fonctionnaire ou d’un pedigree établi sur cinq générations?

          Qui pourrait aimer un pays où le moindre crétin disposant du plus petit pouvoir de nuisance est toujours prêt à le mettre au service de sa rancoeur et de son impuissance? Qui pourrait aimer un pays qui prélève près de cinquante pour cent de la richesse nationale et n’est même pas capable d’éradiquer la pauvreté? Qui pourrait aimer un pays où la suspicion et la peur alimentent la xénophobie et le racisme ordinaires?
 

L’esprit de Vichy

          Les historiens – c’est bien commode! – ont coutume de placer le régime de Vichy en marge de l’histoire. Vichy n’était ni la France ni l’État français, mais une douloureuse parenthèse sur laquelle il est de bon ton de jeter un voile pudique. Années durant lesquelles les Français se seraient « oubliés », reléguant du même coup les valeurs et les sacro-saints principes de la république et de la révolution aux oubliettes.

          Mais de quelles valeurs et de quels principes s’agissait-il? De courage? D’altruisme? De don de soi? De bien commun? D’amour du prochain? De compassion? De respect de l’autre? D’ouverture d’esprit? D’universalité? De ce « Liberté, égalité, fraternité », slogan creux issu d’une fiction historique et qui sonne si faux? Allons, soyons sérieux! Si les Français avaient jamais partagé ces valeurs, on aurait fini par le savoir. Tout de même!

          En vérité, je crains fort au contraire que ce ne soit justement l’esprit de Vichy qui ne prédomine et exprime le mieux la nature profonde du citoyen français. Même si les trente cinq heures ont donné un coup de vieux à cet autre triptyque national: « Travail, famille, patrie ».

          Qu’est-ce en effet que le régime de Vichy sinon le repli sur des valeurs soi-disant nationales dont le rejet de l’autre, et de l’étranger en particulier, est la pierre angulaire? Et qu’il fût incarné par Pétain, potentat valétudinaire au regard clair mais pas franc, faisant don de sa personne à la France et s’appuyant sur des formules comme « La terre, elle, ne ment pas » était dans la logique des choses. La France vaincue et humiliée de juin 40 ressemble trait pour trait à la France d’aujourd’hui.

          Souvenons-nous par exemple que les autorités de l’époque ont justifié (comme si l’on pouvait justifier l’injustifiable) le bien-fondé de la rafle du Vel d'Hiv par le fait qu’elle était censée ne toucher que les juifs étrangers. Dès lors que l’on ne s’en prenait pas à des Français, tout était donc permis. On sait ce qu’il advint de cette doctrine par la suite. Mais personne n’a moufté.

          C’est également au régime de Vichy que l’on doit la mise en fiche des citoyens et la création des ordres professionnels comme celui des médecins que nul n’a jamais songé à dissoudre depuis.

          C’est sous Vichy que la police française a démontré son efficacité au service de l’occupant.

          C’est sous Vichy enfin que les Français ont révélé leur penchant pour la délation, exercice favori des maris trompés, des épouses délaissées et de tous les jaloux, aigris, petits, médiocres et lâches que compte notre joli pays.
 

« Et si, selon un mot célèbre, il y a toujours eu dans ce pays "plus de servilité que de servitude", on est en droit de se demander si l’on n'est pas en train de toucher le fond. »


          Exercice devenu sport national et dont la perpétuation offre de nos jours à l’administration fiscale ses plus belles prises.

          Car Pétain mort et enterré, ses principes sont restés. Comme sont restés la plupart de ceux qui l’ont servi. Et si un historien à succès a pu titrer « 40 millions de Pétainistes », ne seraient-ils pas aujourd’hui 60? S’il y eût jadis une mode « Jésus », il y a dorénavant une mode « Pétain ». Ce n’est plus « Je suis partout », mais il est partout.

          Si l’on en croit Franz-Olivier Gisbert, rédacteur en chef du Point et auteur de La tragédie du président, portrait au vitriol des années Chirac, il n’y aurait pas si loin de Neuilly à Montoire puisque selon lui, Dominique de Villepin n’hésiterait pas, en privé, à comparer le petit Nicolas à l’auguste vieillard qui serra en son temps la main du Führer. Et il ne serait guère étonnant que bon nombre de socialistes n’en pensent pas moins de Ségolène Royal. Le diable, on le sait, s’habille toujours en Prada!

          Goût de l’ordre, préoccupations sécuritaires, apologie de l’État fort, résurgence de la nation, affichage du drapeau tricolore, Marseillaise en sautoir, peur du libre-échange, condamnation de la mondialisation, repli sur soi, rejet de l’étranger, nostalgie de privilèges échus, n’en jetez plus, la coupe est pleine. C’est la politique de la main tendue au sens hitlérien et mussolinien du terme. Zieg Heil!

          Et si, selon un mot célèbre, il y a toujours eu dans ce pays « plus de servilité que de servitude », on est en droit de se demander si l’on n'est pas en train de toucher le fond.

          La peur tenaille tellement la population qu’elle n’est même plus capable d’imaginer un autre possible.

          La gauche, reniant Proudhon, n’est plus qu’étatiste et mesure la richesse d’un pays au seul nombre de ses fonctionnaires. Quant à la droite, si l’on a pu dire qu’elle était la plus bête du monde, c’est qu’il doit y avoir une raison.

          Une chose est sûre, de la maternité au cimetière, tout risque est banni. Le parcours est balisé, encadré, médicalisé. Modèle français breveté et déposé. Le seul qui vaille. Les autres sont des cons qui travaillent jusqu’à plus d’âge et s’enrichissent bêtement. On ose même – je l’ai entendu! – parler de « bien-être ». Mais qui peut se sentir bien dans une société sclérosée, stérilisée, cautérisée, anesthésiée? Les animaux domestiques? Les esclaves? Les cloportes dont Audiard moqua jadis la métamorphose? Les Pétainistes à coup sûr!

          J’ignore si la France fût jamais différente de ce qu’elle est aujourd’hui et si de la collaboration Gallo-romaine à la collaboration tout court, il n’y a qu’un pas trop vite franchi. J’ignore s’il est des pays où le renoncement et le reniement font à ce point partie intégrante de la nature profonde d’un peuple. J’ignore si le fait d’être français a un sens au-delà d’une langue que certains pays pratiquent parfois mieux que nous ne le faisons.

          Ce que je sais en revanche, c’est que de Tocqueville à Bastiat en passant par Constant, les Français n’ont jamais aimé ceux qui leur proposaient d’être libres.

          Je n’éprouve pour ma part aucune gloire ou satisfaction personnelle au fait d’être Français. Les hasards de la génétique et de la géographie conjugués ne constituent pas pour moi un motif de fierté ou un sentiment d’appartenance. Et je n’hésite pas à dire que je me sens affectivement et intellectuellement plus proche de nombre d’étrangers que de ces faux frères qui revendiquent en braillant la pureté de leur sang.

          Et eussé-je été Japonais, Américain, Chinois, Indien, Malais, Grec, Polynésien ou Africain et, me fussé-je exprimé en une autre langue et avec une structure mentale différente, que je n’en eus pas éprouvé moins de honte si mon pays avait été semblable à la France.

          Car si dans notre pays, les maisons de retraite ont remplacé les maisons closes et que le bordel est le plus souvent dans la rue, il ne s’est pas ouvert pour autant.

          Comme Jacques Brel, qui craignant d’être pris pour un Flamand, se disait, non sans dérision, Luxembourgeois ou Suisse, il m’arrive de plus en plus souvent de mentir sur ma nationalité tellement j’en ai honte. Et à en juger par le ton des lettres que je reçois, il y a fort à parier que les semaines qui viennent n’arrangeront rien...
 

 

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