Exercice devenu sport national et dont la perpétuation offre
de nos jours à l’administration fiscale ses plus belles
prises.
Car Pétain mort et enterré, ses principes sont restés. Comme
sont restés la plupart de ceux qui l’ont servi. Et si un
historien à succès a pu titrer « 40 millions de
Pétainistes », ne seraient-ils pas aujourd’hui 60? S’il y eût jadis une mode « Jésus », il y a dorénavant une
mode « Pétain ». Ce n’est plus « Je suis partout », mais il
est partout.
Si l’on en croit Franz-Olivier Gisbert, rédacteur en chef du
Point et auteur de La tragédie du président,
portrait au vitriol des années Chirac, il n’y aurait pas si
loin de Neuilly à Montoire puisque selon lui, Dominique de
Villepin n’hésiterait pas, en privé, à comparer le petit
Nicolas à l’auguste vieillard qui serra en son temps la main
du Führer. Et il ne serait guère étonnant que bon nombre de
socialistes n’en pensent pas moins de Ségolène Royal. Le
diable, on le sait, s’habille toujours en Prada!
Goût de l’ordre, préoccupations sécuritaires, apologie de
l’État fort, résurgence de la nation, affichage du drapeau
tricolore, Marseillaise en sautoir, peur du libre-échange,
condamnation de la mondialisation, repli sur soi, rejet de
l’étranger, nostalgie de privilèges échus, n’en jetez plus,
la coupe est pleine. C’est la politique de la main tendue au
sens hitlérien et mussolinien du terme. Zieg Heil!
Et si, selon un mot célèbre, il y a toujours eu dans ce pays
« plus de servilité que de servitude », on est en droit de
se demander si l’on n'est pas en train de toucher le fond.
La peur tenaille tellement la population qu’elle n’est même
plus capable d’imaginer un autre possible.
La gauche, reniant Proudhon, n’est plus qu’étatiste et
mesure la richesse d’un pays au seul nombre de ses
fonctionnaires. Quant à la droite, si l’on a pu dire qu’elle
était la plus bête du monde, c’est qu’il doit y avoir une
raison.
Une chose est sûre, de la maternité au cimetière, tout
risque est banni. Le parcours est balisé, encadré,
médicalisé. Modèle français breveté et déposé. Le seul qui
vaille. Les autres sont des cons qui travaillent jusqu’à
plus d’âge et s’enrichissent bêtement. On ose même – je l’ai
entendu! – parler de « bien-être ». Mais qui peut se sentir
bien dans une société sclérosée, stérilisée, cautérisée,
anesthésiée? Les animaux domestiques? Les esclaves? Les
cloportes dont Audiard moqua jadis la métamorphose? Les
Pétainistes à coup sûr!
J’ignore si la France fût jamais différente de ce qu’elle
est aujourd’hui et si de la collaboration Gallo-romaine à la
collaboration tout court, il n’y a qu’un pas trop vite
franchi. J’ignore s’il est des pays où le renoncement et le
reniement font à ce point partie intégrante de la nature
profonde d’un peuple. J’ignore si le fait d’être français a
un sens au-delà d’une langue que certains pays pratiquent
parfois mieux que nous ne le faisons.
Ce que je sais en revanche, c’est que de Tocqueville à
Bastiat en passant par Constant, les Français n’ont jamais
aimé ceux qui leur proposaient d’être libres.
Je n’éprouve pour ma part aucune gloire ou satisfaction
personnelle au fait d’être Français. Les hasards de la
génétique et de la géographie conjugués ne constituent pas
pour moi un motif de fierté ou un sentiment d’appartenance.
Et je n’hésite pas à dire que je me sens affectivement et
intellectuellement plus proche de nombre d’étrangers que de
ces faux frères qui revendiquent en braillant la pureté de
leur sang.
Et eussé-je été Japonais, Américain, Chinois, Indien,
Malais, Grec, Polynésien ou Africain et, me fussé-je exprimé
en une autre langue et avec une structure mentale
différente, que je n’en eus pas éprouvé moins de honte si
mon pays avait été semblable à la France.
Car si dans notre pays, les maisons de retraite ont remplacé
les maisons closes et que le bordel est le plus souvent dans
la rue, il ne s’est pas ouvert pour autant.
Comme Jacques Brel, qui craignant d’être pris pour un
Flamand, se disait, non sans dérision, Luxembourgeois ou
Suisse, il m’arrive de plus en plus souvent de mentir sur ma
nationalité tellement j’en ai honte. Et à en juger par le
ton des lettres que je reçois, il y a fort à parier que les
semaines qui viennent n’arrangeront rien...
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