J’ai l’impression presque à chaque article
que je lis dans votre magazine, d’entendre un
bourgeois égoïste fâché de payer des taxes!
Selon vos articles, le monde est extrêmement
simple: tous les problèmes seront réglés si
on abandonne l’État. Je considère ce point
de vue libertarien complètement utopiste et
anti-empirique. Certes, il y a des
politiques gouvernementales qui ont des
inconvénients, pour certains, mais certaines
autres ont leurs avantages. Il me semble
raisonnable de dire qu’il faut stimuler
l’économie mais en tentant en même temps de
protéger les plus pauvres. Mais enlever
l’État et abolir toute règle et loi n’est
certainement pas la solution pour améliorer
le niveau de vie de tout le monde. Au
contraire, c’est plutôt une position
politique modérée et pragmatique et une
population éduquée qui fait le succès
économique d’un pays.
De plus, comment voulez-vous rencontrer les
objectifs écologiques sans que l’État joue
un rôle important. Comment voulez-vous que
les pays relèvent des défis comme le pic
pétrolier et toute la restructuration
économique qu’il implique (investir dans les
énergies alternatives comme par exemple
couvrir une large section de notre
territoire avec des panneaux solaires), et
rendre les produits écologiques compétitifs
sur le marché en prévision? Un système sans
État amènerait-il vraiment du bien-être à
tout le monde? Pourquoi ne pas enlever la
police pendant qu’on y est? Je crois qu’il
serait constructif de reconnaître que l’État
joue parfois un rôle utile, pour certains.
Je crois que le problème du tabac n’est pas
si simple que vous le prétendez dans votre
article. L’argumentation est inconsistante.
Ce n’est pas uniquement à cause de notre
système public de santé que les lois
antitabac ont été passées. Il me semble que
des lois similaires sont passées aux
États-Unis.
Ces lois sont passées tout simplement pour
protéger les consommateurs, puisque le tabac
est particulièrement « addictif » et qu’il est
dangereux pour la santé. Deuxièmement, par
respect pour ceux qui font le choix de ne
pas fumer, il est normal d’imposer aux
fumeurs d’aller fumer dehors. C’est une
question de respect des droits individuels.
Sinon, tout le monde respire leur fumée
nauséabonde. C’est sûr qu’il y a des
commerces qui souffrent de ces lois, mais
ils n’ont qu’à s’adapter. Je ne crois pas
que 1) avertir que le tabac est nocif, 2)
demander d’aller fumer dehors, et 3) tenter
d’empêcher que trop de gens deviennent
accros à cette drogue soit du fascisme. Je
crois que vous vous trompez en tentant
toujours de justifier la théorie
libertarienne à tout prix. Enlever le rôle
de l’État ne mène pas nécessairement au
bien-être des gens. Ça dépend des cas et de
la façon de le faire.
La loi de la jungle n’amène pas
nécessairement du bien-être à tout le monde.
Elle amène du bien-être aux plus forts qui
vont gagner dans ce système – à ceux qui ont
plus de capital ou plus d’éducation, ou ceux
qui sont physiquement plus grands et beaux
et qui se trouvent des emplois plus
facilement – ou encore aux plus violents,
dans un système anarchique. C’est sûr que
souvent les revendications des syndiqués
sont exagérées, et que la culture gauchiste,
très présente au Québec, valorise souvent la
médiocrité, et nuit à la performance des
meilleurs. Mais il faut réaliser que la
politique c’est plutôt une question de lutte
des classes, une question de « quel objectif
on se fixe » plus qu’une simple question
d’économiste – autrement dit, la question est
« À QUI profite telle ou telle politique? ».
Est-ce qu’on a envie de protéger nos
pauvres? Ou est-ce qu’on veut valoriser la
culture du winner? Il me semble que
ce choix découle directement de si on est
pauvre ou de si on est winner. Contrairement
à ce que vous semblez toujours
sous-entendre, les pauvres ne se sont pas
trompés en votant à gauche, ils ont bel et
bien voté dans leur propre intérêt, même si
ça embête les winners.
Je crois que votre magazine diffuse de la
propagande biaisée, et qu’il cherche à
protéger les intérêts de bourgeois qui
veulent payer moins de taxes (ce qui est
tout à fait normal, soit dit en passant, tout
autant que les pauvres ne veulent pas crever
de faim). Vous tentez de faire croire que
c’est mieux de voter à droite, alors qu’en
fait c’est juste mieux pour les riches. Les
pauvres ne vont pas régler tous leurs
problèmes juste en arrêtant de se syndiquer,
en étant plus actifs ou en travaillant plus
(où?) comme le prétendent les Américains de
droite. De plus vous oubliez que notre
économie est basée sur la consommation du
pétrole qui va bientôt tarir. Je n’ai jamais
noté d’articles sur ce sujet ni sur celui du
réchauffement global pourtant ce sont des
sujets qui affecteront grandement notre
bien-être dans les prochaines années.
J’ai très hâte que les sciences humaines
autant que l’économie et la sociologie
deviennent des disciplines plus empiriques,
ou les prises de parti ne sont plus tolérées
sans être appuyées par les faits empiriques,
comme en sciences. Bien des disciplines à
l’université sont la proie de pures luttes
idéologiques biaisées, tout autant que la
philosophie ou la métaphysique (tout comme
les théories droitistes biaisées de
Nietzsche sur l’ubermench par
exemple).
Je ne comprends pas comment vous pouvez
défendre rationnellement la position
libertarienne, sans spécifier à qui elle
profiterait et comment.
En dernier point, je voulais dire que le
micro-prêt EST de l’interventionnisme,
seulement c’est de l’interventionnisme plus
efficace. C’est sûr qu’il y a des formes
d’interventionnisme plus efficace que
d’autres qui vont stimuler l’activité des
couches les plus pauvres parfois dans leur
propres intérêt (comme une carotte pour
l’âne), mais je crois que vous devriez être
plus clair sur vos objectifs. Est-ce que
vous visez vraiment à éradiquer la pauvreté,
et à assurer l’avenir de nos enfants en
investissant dans les énergies renouvelables
pendant qu’il est encore temps? Ou bien
cherchez-vous à défendre les intérêts à
court terme des plus riches, en prétextant
que cela va « stimuler l’économie »?
Au lieu de chialer et dire qu’il ne faut
plus du tout d’État, ou en tout cas que vous
voulez payer moins de taxes, je crois que
vous devriez tout simplement accepter que
l’État joue un rôle parfois très important,
et ensuite tenter de parfaire ses actions et
stratégies en faisant des propositions de
lois constructives dont l’objectif est
explicite (profiter à qui et comment, en
regard par exemple des résultats obtenus
dans d’autres pays).
Cela dit, je trouve votre magazine souvent
très intéressant, et je continue à lire
certains articles. J’espère que ce courriel
peut contribuer à en améliorer le contenu.
N. Chausseau
Bonjour,
La seule façon positive pour l'État de « stimuler »
l'économie est de réduire l'imposition et la taxation.
Augmenter celles-ci bénéficie à certaines gens, mais aux
dépens des autres. À l'instar des politiques fiscales, les
politiques monétaires (établissement du taux d'intérêt et
mise en circulation de la monnaie) profitent aux uns, mais
au détriment des autres. Ces politiques peuvent aider les
pauvres à court terme seulement, par conséquent elles sont
toujours à renouveler et à un coût croissant. D'aucune façon,
devraient-elles faire partie d'un plan pour combattre la
pauvreté.
Vous touchez aux questions écologiques.
En taxant et en imposant les contribuables, les politiciens
sont en mesure d'avoir un impact sur le marché et de
l'orienter dans une direction ou une autre, mais leur
jugement n'étant pas meilleur que les autres, ils dilapident
la richesse. Il s'ensuit moins d'alternatives à utiliser et
plus de pollution. Certes, la production de richesse
entraîne de la pollution, mais c'est également elle qui peut
la réduire, d'autant mieux que l'on respecte la propriété de
chacun. Un monde sans État n'en est pas un sans
réglementation et sans police. Il s'agit plutôt d'un monde
où la propriété est respectée et protégée par elle,
l'assurance et l'appareil judiciaire. Seule la façon de les
payer diffère.
Vous faites allusion aux lois contre la
tabagisme. Respectez le principe de propriété et vous réglez
le problème. Vous êtes fumeur et vous rentrez chez un ami.
Vous lui demandez la permission de fumer, sinon il est libre
de vous expulser. Vous rentrez dans un bar et vous fumez
sans demander la permission. Pourquoi? Le bar appartient à
quelqu'un qui a ses règlements comme votre ami a les siens.
Vous devriez donc les respecter tout autant. Que le
tenancier veuille recevoir uniquement des Noirs, des
homosexuels, des punks, ou des femmes, c'est son bar. Le
« public » devrait se mêler de ses oignons.
Cependant, en tant qu'homme d'affaires il cherche à recevoir
une clientèle nombreuse, d'où qu'il doit montrer une
certaine flexibilité. Toujours est-il qu'il devrait être
libre de choisir la clientèle qui lui plaît. Est-ce de la
discrimination? Bien sûr que c'en est! Choisir constitue de
la discrimination. Seul l'État prétend savoir différencier
la bonne discrimination de la mauvaise pour tout le monde.
Il considère que les fumeurs coûtent chers au système de
santé, alors pour en préserver le contrôle il réduit les
libertés qu'il juge nocives. Vous fumez à vous rendre
malade? Ce n’est pas grave, les contribuables payent. Vous
faites des enfants alors que vous recevez l'aide sociale? Ce
n’est pas grave, les contribuables payent. Vous arrivez au
Québec et ne parlez ni français, ni anglais? Pas grave, les
contribuables payent les formations, le matériel et l'aide
sociale, etc. Dans un régime de liberté, où les soins de
santé sont offerts par des entreprises privées, vous fumez
autant que vous voulez et vous seul payez la note. Un régime
de propriété conduit à la responsabilité, alors qu’un régime
public conduit au chaos.
Finalement, vous parlez de la loi du plus fort.
C'est l'État le plus fort. C'est lui qui fait les guerres,
qui les provoquent. Il tue et il vole, mais toujours selon
une idée du bien. Il soutire l'argent des contribuables sans
leur accord, mais au nom d'une soi-disant solidarité. Il
prend l'argent d'abord, il tente de rendre service ensuite.
Certains en bénéficient, mais aux dépens des autres. Les
entreprises à but lucratif ne peuvent pas agir de cette
façon et c'est tant mieux. Elles rendent service, mais à la
différence de l'État, elles aident les pauvres sans nuire à
personne. Elles créent de la richesse, non de la pauvreté.
L'État soutire cette richesse de ses propriétaires
légitimes pour satisfaire ses propres clientèles. Clientèle
qui apprend à crier et à faire de la casse pour obtenir ce
qu'elle veut. Elle demande à l'État d'aller soutirer
l'argent d'autrui pour la lui remettre en lui promettant
qu'elle votera pour lui. C'est la loi de la jungle.
Le libertarien à droite? Il n'a rien contre les homosexuels,
les immigrants, les drogues, l'égalité, la protection de
l'environnement et les syndicats. Est-il à gauche? Il n'a
rien contre les religions, le marché, les services de
protection et il veut aider les pauvres. Trouvez l'erreur?
Au plaisir,
A. D.
Bonjour,
Vous semblez croire que
le mouvement libertarien est homogène. Une erreur à ne pas
faire. Il existe, au sein de cette philosophie, différentes
écoles de pensée qui partagent des idées communes, mais qui
vont être en opposition sur d'autres. Nombreux sont les
collaborateurs au Québécois libre qui sont
minarchistes, c'est-à-dire qu'ils considèrent l'État comme
un mal nécessaire sur lequel il faut garder un oeil
vigilant. Ils lui reconnaissent une certaine légitimité en
matière de sécurité, de justice, de défense nationale, de
respect de la propriété privée et des droits individuels.
D'autres courants, comme l'anarcho-capitaliste, pensent au
contraire que même les fonctions régaliennes de l'État
doivent être privatisées. Bien sûr, vous pouvez être en
accord ou en désaccord avec l'idée, mais nous ne pouvons
nier sa grande richesse théorique.
Bref, il ne s’agit pas
convertir les lecteurs du magazine à la philosophie
libertarienne, mais plutôt de les rendre plus critiques
envers l'État, d'explorer d'autres alternatives qui méritent
un débat. Bien sûr les idées qui sortent des sentiers
battus, qui se placent en opposition avec le discours dominant,
n'ont jamais eu bonne presse.
Un exemple tout simple.
Vous soulevez, dans votre texte, la problématique de la
pauvreté. Beaucoup de personnes ont encore ce réflexe
d'associer instinctivement pauvreté et intervention de
l'État. Des années de conditionnement les empêchent
d’envisager la possibilité d'enrayer ce problème en dehors
de cette sphère. Et pourtant, le souci de l'autre,
l'entraide et le soutien familial ne sont pas des valeurs
qui sont nées avec l'avènement de l'État-providence.
Beaucoup de communautés, dont celle des juifs, se sont
structurées avec de grandes traditions d’hospitalité et
d’entraide. Devant l'adversité, ils ne se tournent que très
rarement vers un pouvoir extérieur. Nous pourrions
mentionner aussi le dévouement de certaines cultures
africaines envers leurs aînées. Chez les Maghrébins, la
famille est sacrée et les personnes âgées invalides sont
intégrées au groupe. Il est très difficile pour eux, voir
inacceptable, d'envisager la possibilité de les abandonner
dans les méandres de la bureaucratie.
Plus près de nous, Steve
Mariotti, président fondateur de la
National Foundation for
Teaching Entrepreneurship, a découvert que les enfants
défavorisés sont spécialement doués pour recevoir une
formation d'entrepreneurs. Ils sont tenaces, persévérants et
ne prennent rien pour acquis. Lui et son équipe enseignent
que la pauvreté ne devrait jamais être une fatalité, mais
plutôt l'occasion d'acquérir les connaissances théoriques et
pratiques pour la vaincre avec intelligence. Oui, libre à
vous de donner à cette initiative le qualificatif de culture
de winner. Mais, elle sera toujours plus honorable que celle
qui consiste à valoriser la dépendance, l’inaction et le
manque de confiance en soi.
Depuis des décennies,
l'État gaspille annuellement des milliards de dollars dans
toutes sortes de programmes sans la moindre logique
économique. Que l'on songe aux scandales du Bureau de
développement des ressources humaines, du registre des armes
à feu, des subventions aux pétrolières, du dossier de la Gaspésia,
Rêveport ou encore Métaforia, la liste ne cesse
de s’allonger à un rythme effréné. Alors, vous conviendrez
avec moi, qu'il n'y a absolument rien de bourgeois ou
d'égoïste à contester l'appétit toujours plus vorace de
l'État – une organisation qui, sous le couvert de la loi,
s'est appropriée le monopole de la force et de la coercition
sur un territoire. Chaque semaine, vous et moi, nous devons
lui céder une partie de notre salaire. Un prélèvement
autoritaire, un vol légal qui réserve à celui qui s'y
oppose une comparution devant les tribunaux. En échange, on
nous demande de croire aveuglement – il faut quand même
le faire! – que les gens qui auront cet argent entre les
mains seront dignes de confiance. Et, je ne parle pas ici de
toutes les taxes supplémentaires que l'on paye lors de nos
échanges volontaires. Voilà qui traduit bien la profonde
naïveté dans laquelle baigne une majorité de citoyens.
L'État est à leurs yeux, une entité presque divine, ses
représentants ne sont pas humains, mais plutôt des anges
incapables de gaspillage, de fraude, de pots de vin
et autres vices.
Honnêtement,
accepteriez-vous de donner 2000$ à un parfait inconnu pour
qu'il le redistribue? Votre réponse, je le devine, est négative. Et pourtant
c’est exactement cette logique à laquelle nous sommes
confrontés. Un antimondialiste frustré par les succès de
Wal-Mart pourra toujours cesser d'y faire ses achats. Un
actionnaire outré par les déficits répétés d'une entreprise
pourra arrêter d'y investir son argent. Malheureusement,
face à l'État, nous ne disposons pas d’un tel pouvoir de
contestation et encore moins d'un droit de dissociation.
Il y a quelque chose de profondément malsain derrière tout
ça.
La deuxième partie de
votre message sur le tabac est tout aussi intéressante, car
elle néglige le principe même de la propriété privée. Ceux
qui prétendent que tous les bars et restaurants doivent-être
protégés contre la fumée secondaire, oublient qu’il s’agit
avant tout de lieux privés au même titre qu’une maison. De
telles politique de prohibition ouvrent la porte à un
dangereux précédent, celui d’une confiscation toujours plus
grande de la propriété privée. En d’autres mots, l’État
utilise la force pour limiter des comportements à
l’intérieur d’un établissement alors que ce droit est celui
de son propriétaire. Lui seul est en mesure de déterminer
les besoins de sa clientèle, dont le droit de fumer ou non.
On oublie que les employés d’un restaurant sont là par
choix. Il en va de même pour tous les clients qui décident
de venir y manger ou prendre un verre. Personne ne les force
à fréquenter cet endroit. S’il y a insatisfaction, il
sanctionneront eux-mêmes la politique de l’établissement, en
allant ailleurs.
L’argument voulant que
l’État cherche à protéger le citoyen contre lui-même est un
affront à sa capacité de réfléchir par lui-même et de faire
des choix. Suivant cette logique paternaliste, il faudrait
peut-être interdire la consommation de boisson alcoolisée.
Et pourquoi le ministère de la Santé ne songe-t-il
pas à limiter sur la terrasse et même dans nos propres
maisons les points d’accès au soleil? Ses rayons UVA et UVB
sont pourtant un important vecteur de cancer.
En guise de
conclusion, je rejette cette analogie
gratuite et douteuse que vous faites entre la philosophie
libertarienne et l’idéologie de droite américaine (voir «
Confusion gauche/droite »).
Bien à vous,
M. B.
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