En fait, cette méfiance à l'égard des importations
ne date pas d'hier. Aux 17e et 18e siècles, la vision mercantiliste qui
dominait la pensée économique à l'époque suggérait que les
exportations étaient bonnes pour l'économie, mais pas les
importations. Cette logique visait surtout à éviter des sorties d'or
et d'autres métaux précieux du territoire national. Aujourd'hui, la
même logique prévaut, mais pour les emplois. Sur le plan des idées
économiques, l'idéologie mercantiliste a assurément engendré une
innombrable ribambelle de descendants se réclamant de ce que l'on
pourrait qualifier de néomercantilisme.
Les néomercantilistes, comme leurs ancêtres idéologiques,
s'inquiètent d'une détérioration du solde de la balance commerciale.
Et ils ont de la difficulté à concevoir qu'un échange économique,
une importation par exemple, puisse être mutuellement bénéfique. Il
s'agit là bien sûr d'une logique à somme nulle qui, en mettant
surtout l'accent sur les pertes d'emploi ponctuelles, et en
suggérant qu'il puisse s’agir là d'une tendance de fond, a poussé
beaucoup de gens à croire que la situation du marché du travail
s'est réellement détériorée ces dernières années. La prochaine fois
que vous rencontrerez l'une de ces personnes, rappelez-lui les faits
suivants.
Premier constat: les importations ont fortement augmenté
depuis 20 ans, autant en termes absolus qu'en termes relatifs.
Au Canada, même en tenant compte de l'inflation, la valeur des
importations a plus que triplé entre 1985 et 2005, passant de 141,8
à 485,9 milliards de dollars (prix constants de 1997). Pendant cette
période caractérisée par de multiples ententes de libre-échange, la
structure des dépenses de l'économie canadienne a été profondément
modifiée. Ainsi, un an avant l'entente de libre-échange de 1989, un
Canadien dépensait en moyenne près de 25 cents par dollar pour des
produits et services étrangers; or cette proportion atteignait près
de 42 cents en 2005! La figure A illustre ces changements
significatifs qui auraient dû, selon une certaine vision des choses,
se répercuter négativement sur le marché de l'emploi. Or, la
catastrophe appréhendée ne s'est pas matérialisée.
Figure A : Évolution des importations
Source des données : Statistique Canada (tableau 380-0017) |
Deuxième constat: il n'y a jamais eu autant
d'emplois dans l'histoire canadienne et le taux de chômage est le
plus bas des trente dernières années.
Presque vingt années se sont écoulées depuis l'entente de
libre-échange avec les États-Unis. Il est maintenant clair que nous
avons amplement le recul nécessaire pour faire certains constats. Le
premier est de rappeler ici à quel point tous les prophètes de
malheur et opposants au libre-échange s'étaient trompés dans les
années 1980. Si on exclut la pénible période de l'après-récession de
1991, l'emploi affiche une tendance haussière depuis bientôt une
quinzaine d'années (figure B). Quoique l'économie canadienne ne soit
pas à l'abri d'un ralentissement futur (ce qui est vrai pour
n'importe quelle économie d'ailleurs), il devient nécessaire de
regarder le chemin parcouru depuis quelques années et d'admettre que
les performances du marché de l'emploi ont été et sont encore
remarquables. En mars dernier, il y avait près de 16,8 millions
d'emplois au pays, un sommet dans l'histoire canadienne. Quant au
taux de chômage, il n'était que de 6,1%, soit le plus bas taux des
trente dernières années. Cette performance extraordinaire du marché
du travail s'est matérialisée dans un contexte où les importations
se sont accrues de façon considérable ces dernières années.
Figure B : L'emploi et le taux de chômage
au Canada (1989-2005)
Source des données : Statistique Canada (tableau 282-0002) |
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