Je n’irai donc pas tremper mes lèvres dans la soupe honteuse que
l’on va nous servir pendant cinq ans. Canossa, non merci! Solitude
et isolement seront ma pénitence.
Car je dois dire mon effarement, sinon mon écoeurement, à la vue de
ceux qui se rangent derrière Sarkozy comme des petits soldats au
cerveau de plomb. C’était donc ça qu’ils voulaient les Baverez, les
Gallo, les Giesbert... Un Sarkozy! Toutes ces circonlocutions, ces
anathèmes, ces palinodies pour en arriver là. Merde alors!
Mais que peuvent-ils bien attendre de ce sabreur hongrois à la
pointe émoussée?
Ma première chronique pour le QL avait donné le résultat du
premier tour des élections présidentielles près de six mois à
l’avance. Je vous donne aujourd’hui celui du second. Mon mérite
n’est pas bien grand. Quand la course est truquée et que la plupart
des chevaux sont des tocards, le pronostic tient plus des
mathématiques que de quelque divination.
J’avais déjà choqué certains lecteurs – jusqu’en Suisse! – qui
avaient trouvé injuste ma charge contre Nicolas Sarkozy. J’avais
évoqué à son propos Mishima et La confession d’un masque. Eh bien le
masque est tombé. Avec Sarkozy, l’avenir est à l’uniforme! Et qu’il
soit bleu ne m’empêchera pas de voir le monde en brun.
Le hasard a voulu que je me trouve au Pavillon d’or, titre d’un
autre roman de Mishima et perle de Kyoto, quand les résultats du
premier tour sont tombés. Eh bien à l’instar du reflet de ce célèbre
édifice sur le plan d’eau qui le borde, le vote Sarkozy n’est qu’une
illusion d’optique. Sa sociologie n’est pas celle d’un vote libéral,
mais celle d’un vote sécuritaire. Pour preuve ce sondage sorti des
urnes à l’analyse duquel il ressort que 83% des électeurs de Sarkozy
réclament une société avec plus d’ordre et de sécurité contre 16%
qui souhaitent vivre dans une société avec plus de libertés
individuelles. La violence des chiffres parle d’elle-même.
Sarkozy s’est, en vilain coucou, approprié le nid de Le Pen. Car,
c’est bien le vote de la peur, si souvent dénoncé dans ces colonnes,
qui s’est imposé: le vote vieux (44% des électeurs de plus de 65
ans ont voté Sarkozy), le vote Pétainiste, le vote chiasse.
Sarkozy, les Français le connaissent! Cinq ans qu’ils en bouffent
matin et soir à la télévision! Cinq ans qu’ils le voient s’agiter et
courir dans tous les sens comme un poulet (sans jeu de mot) auquel
on aurait coupé la tête.
L’insécurité a-t-elle baissé en cinq ans? Vit-on mieux dans les
banlieues? A-t-on vu l’once ou le prémisse d’un progrès ou d’un
changement qui vaille? Sarkozy dit aux Français qu’il faut se lever
de bonne heure parce qu’il ne peut même pas concevoir que d’autres
préfèrent se coucher tard. On entre dans le règne du symbole
schématique, de la caricature insidieuse et de la rhétorique
populiste. Les images de Sarkozy frappent comme les matraques de ses
policiers, elles font mal mais ne servent à rien.
Sarkozy dit aux Français qu’il faut travailler plus pour gagner
plus. Mais supprime-t-il les 35 heures? Met-il fin aux scandaleuses
RTT? S’attaque-t-il à la dépense publique? Réduit-il le train de vie
de l’État? De la retraite aux syndicats, de la pantomime du mois de
mai aux enseignants, la litanie serait sans fin des privilèges et
des privilégiés auxquels Sarkozy ne s’attaquera pas.
Sarkozy est et restera un étatiste. Il n’existe d’ailleurs que par
l’État et les oligopoles qui le soutiennent. Et si Margaret Thatcher fut une dame de fer, Sarkozy sera un tigre de papier.
Digne héritier de Chirac, il promet n’importe quoi à n’importe qui.
Après moi le déluge. Tel un enfant capricieux qui trépigne pour
avoir un jouet avec lequel il ne jouera pas, Sarkozy voulait être
président de la république. Il est l’illustration de ce mot terrible
de Chateaubriand: « L’ambition dont on n’a pas le talent est un
crime ».
Mes enfants le comparent à Joe Pecci dans Les Affranchis de
Martin Scorcese: irascible, teigneux, susceptible et à ce point
imprévisible que la Mafia finira par le faire abattre comme un chien
enragé.
En attendant, c’est encore une fois le libéralisme qui trinque. Avec
Sarkozy et ses sbires aux manettes, les fonctionnaires peuvent
dormir sur leurs deux oreilles. Personne ne les réveillera pendant
cinq ans et peut-être... dix. On ne change pas une équipe qui ne
gagne pas.
Je suis désolé pour mes jeunes épistoliers de n’avoir à leur
proposer que mes sempiternelles récriminations qui resteront lettres
mortes. Seule consolation, les cerisiers sont encore en fleurs et
même s’il pleut sur Tokyo, il y fait toujours plus beau qu’à
Paris...
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