Car plutôt que d’emprunter à Le Pen la partie la plus répugnante de
son programme, Sarkozy eût été mieux inspiré en faisant montre de
pédagogie. Mais il a dû penser que les Français n’étaient pas
capables de comprendre, ce en quoi il n’avait peut-être pas tout à
fait tort. Encore que pour vraiment le savoir, il eût fallu faire
l’effort de leur expliquer...
Reste que Sarkozy n’a pas reçu mandat de réformer le pays en lui
imposant la purge libérale dont il aurait besoin. Il a reçu mandat
de bouter les étrangers hors de France. Et il va se traîner ce
non-dit électoral pendant toute la durée de son mandat.
Mais au fond, ça l’arrange bien. Au lieu de réformer en profondeur
et de s’attaquer comme il le faudrait à la dépense publique, devenue
gabegie, et aux privilèges de classe qui en découlent, il ne prendra
que quelques mesurettes, poudre aux yeux qui amusera la galerie
avant de la faire pleurer.
Il est un chiffre qui fait foi, celui du montant des prélèvements
obligatoires, autrement dit, ce que ponctionnent l’État, les
collectivités locales et tout organisme afférent. En France, il
avoisine la moitié de la richesse produite. Eh bien, je suis prêt à
parier qu’il n’aura pas varié d’un iota – si par chance il
n’augmente pas! – à la fin de la mandature.
Comme je suis prêt à parier que le nombre de fonctionnaires – chiffre devenu référentiel aux yeux des étatistes et qui, mieux que
le baromètre, indique le temps qu’il fait – n’aura qu’à peine
diminué.
Le seul résultat notable et irréfutable du passage de Sarkozy au
ministère de l’Intérieur aura été l’augmentation du nombre de
policiers. Quant aux prétendus succès, le moins que l’on puisse dire
est qu’ils sont peu probants. Mais démagogie aidant, le candidat a
su faire croire à leur existence. Tout ce qui risque de diminuer
sous son règne, ce sont les droits fondamentaux. Des étrangers
d’abord et des Français ensuite. Souvenez-vous de Pétain. On
commence toujours par les étrangers...
Par ailleurs, à la lumière (sans jeu de mot!) dont il a traité le
changement de statut d’EDF (on change le statut, mais rien ne
change), je peux vous conter en avant-première comment seront menées
les négociations avec les syndicats qui rappelons-le, en France, ne
représentent qu’eux-mêmes ... et le secteur public – pléthorique il
est vrai! Dépourvu de légitimité, leur pouvoir de nuisance n’en est
pas moins grand puisqu’il leur permet de paralyser les transports et
l’accès aux sources d’énergie.
Tous les pouvoirs ont reculé face à cette menace de mettre le pays à
genou. Pas de Madame Thatcher pour en découdre une bonne fois et
mettre fin à cette mascarade. Sarkozy restera dans cette ligne.
Ses représentants vont rencontrer les syndicats et dans un mélange
d’intimidation (Sarkozy, comme tous les faibles, aime surjouer la
force) et de fausse complicité, leur promettront de continuer à
fermer les yeux sur nombre de privautés, d’avantages exorbitants, de
gâchis honteux, de prébendes corporatistes, de sous-productivité
notoire (SNCF, ministères) en échange de deux ou trois mesures
phares dont le pouvoir a besoin pour asseoir sa légitimité. Service
minimum en cas de grève des transports (mais vraiment minimum!),
légères concessions sur les régimes spéciaux de retraite, toilettage
des 35 heures et du code du travail et autres bricoles du même
acabit. Pas de quoi fouetter un chat! Mais Sarkozy pourra gonfler
les muscles et les vaches sacrées seront bien gardées!
On imagine la scène, mauvais remake de Quai des brumes, où
Sarkozy, Jean Gabin du pauvre, lance à Bernard Thibault – pardon
Michèle Morgan: « t’as de beaux cheveux, tu sais ». À retourner
Marcel Carné dans sa tombe et à vous dégoûter du cinéma! Mais,
répétons-le, à trop fréquenter Christian Clavier, on finit par jouer
aussi mal que lui.
À ce petit jeu-là, les cocus et les perdants sont déjà connus. Ce
sont toujours les mêmes, ceux qui ont cru parce qu’ils avaient
besoin de croire: commerçants, artisans, petits chefs d’entreprises,
salariés du secteur privé exposé à la concurrence, exclus en tout
genre. Ce clivage-là perdurera aussi longtemps que l’on ne
s’attaquera pas à la racine du mal en imposant une politique
économique libérale digne de ce nom. Les vessies ne seront jamais
des lanternes et les mauvais succédanés ne font pas une bonne
politique.
Mais le peuple est souverain dit-on et son destin lui appartient. On
peut donc penser que celui qu’il se choisit pour exercer la fonction
suprême est la résultante de son expression.
Et de fait, rien dans le comportement des Français ne laisse
présager leur désir ou leur volonté de remettre en cause leur
sacro-saint modèle social. Rien qui ne dise qu’ils sont prêts à
renoncer à des façons d’être et des avantages qui ne font que
creuser la tombe de leurs enfants. Rien qui ne laisse apparaître une
prise de conscience collective ou une simple acceptation de la
réalité économique. Rien qui ne préfigure un avenir qui ne
ressemblerait pas au présent.
L’expression « Français en vacances » est devenue un pléonasme.
Après les ponts du mois de mai viendront les vacances d’été, puis
celles de la Toussaint qui annonceront les congés de Noël durant
lesquelles on préparera les sports d’hiver du mois de février avant
de se reposer pendant les vacances de Pâques. Entre-temps, on aura
profité des RTT (cinq à six semaines pour certains en plus des cinq
semaines de vacances légales) et puis ce sera à nouveau les ponts du
mois de mai. Sauf que – comble de malchance et drame national
annoncé – l’année prochaine, le 1er mai tombe au moment de
l’ascension. Mais en France, un pont de perdu, c’est dix de
retrouvés!
Ainsi va notre pays et ses petites préoccupations quotidiennes. La
dette? La pauvreté? L’éducation? Mais tout le monde s’en fout! On
aimerait gagner plus, ça oui! Mais il faudrait travailler et si l’on
travaille, alors on ne pourra plus partir en vacances. Cruel dilemme
et choix cornélien qui, cette fois, et contrairement à 1940, ne
seront pas tranchés par nos amis allemands. Il n’y aura pas de
guerre – et c’est tant mieux! – pour sonner le glas des hérésies
françaises et siffler la fin de la récréation.
Propos caricatural? Je renvoie au tollé et à la pantalonnade
provoqués par la tentative de suppression du lundi de Pentecôte.
Tous les arguments auront été bons pour renâcler, le plus malhonnête
consistant finalement à prétendre que tout cela avait été mal ficelé
et mal présenté alors qu’en réalité, ce sont les Français qui
refusent de faire le moindre sacrifice, fût-il des plus
insignifiants! Ils ne font pas le lien entre le travail et
l’économie, entre l’économie et le bien commun. Tout cela reste
fumeux, abstrait.
Et quand on leur dit que leur salaire moyen est inférieur de 30% à
celui des Américains parce qu’ils travaillent 30% de moins, ils
entendent simplement que ce salaire, il faut l’augmenter. Cigales
méprisant les fourmis, mais quand vient la fin de l’été...
Là où les syndicats ont raison, c’est quand ils disent que l’on ne
réforme pas un pays contre lui-même. Après tout, si les Français
veulent s’appauvrir et sacrifier l’avenir de leurs enfants, c’est
leur droit le plus strict. À condition qu’on leur dise la vérité et
qu’on leur expose sans fioritures les aboutissants de l’étape
suivante. La faillite et ses conséquences.
Il faudrait sortir de la politique compassionnelle, celle du mouroir
qu’est devenu notre pays.
La seule bonne nouvelle dans tout cela, c’est que résister à Sarkozy
ne demandera pas trop d’effort. Puisqu’il dit qu’il faut se lever de
bonne heure, la seule chose à faire sera de rester couché. Bonne
nuit les petits...
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