Les partisans
de la « justice sociale » ne vont pourtant pas s’arrêter là.
Pour eux, si on rétablit un peu d’égalité des chances ou de
justice en payant une partie des retraites au mérite, il
suffira que la collectivité accepte ce coût même s’il est
nuisible à la prospérité. Ce n’est pourtant pas qu’une
question de coût: c’est une question de liberté.
En effet, si c’est le
mérite qui détermine les rémunérations, alors ce n’est plus
la valeur des services qui détermine le revenu mais une
certaine autorité. Dès lors, pour obtenir son revenu, ce
n’est plus la personne qui essaye d’exploiter les
circonstances selon ses propres informations pour le compte
de ses propres objectifs. Elle doit plutôt se conformer à
des critères de mérite. Or, quand on passe d’une
rémunération selon la valeur à une rémunération selon le
mérite, on transfère la faculté d’initiative de l’individu
vers une autorité supérieure. Si on rémunère les gens selon
la valeur de ce qu’ils produisent, la rémunération est
indépendante de l’opinion des gens sur la personne qui
fournit les services. Si on rémunère les gens selon le
mérite, ils deviennent dépendants de l’opinion qu’une
autorité a d’eux.
Or un homme libre est un
homme indépendant qui peut utiliser ce qu’il sait pour
accomplir ce qu’il veut. Dans une situation où la
rémunération est déterminée selon la valeur, la liberté est
respectée car le marché reste un moyen d’acquérir des
informations pour accomplir ses propres objectifs
indépendamment de la volonté d’une quelconque autorité:
l’homme est une fin en soi. Quand la rémunération est
déterminée selon le mérite, l’homme n’est plus une fin en
soi: il devient un instrument au service de
l’accomplissement de fins prédéfinies par l’État. L’individu
n’est donc plus libre car il ne doit plus se conformer à ses
propres objectifs mais à ceux de l’État: malheur à ceux qui
n’ont pas un travail pénible!
C’est pourquoi, il est
clair que le problème de la rémunération au mérite versus la
rémunération selon la valeur nous ramène bien au choix entre
l'omnipotence d’une autorité et la liberté individuelle…
Payer les retraites
« selon la pénibilité du travail » est une atteinte à
la liberté qui ouvrira la porte à de plus grandes encore. En
effet, il n’est pas difficile de comprendre que toutes les
catégories professionnelles vont se livrer à une course à la
pénibilité car chacune va sentir qu’elle peut gagner
un peu d’argent aux frais de la collectivité. Ce seront donc
les cartels les plus puissants et les mieux organisés
(c’est-à-dire les syndicats de fonctionnaires) qui vont
réussir à avoir les avantages les plus importants… L’État
sera alors encore plus « cette fiction à travers
laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens d’autrui ». En
acceptant une distribution au mérite, on ne fait que vendre
l’État aux intérêts particuliers… au nom d’un intérêt
général! Triste paradoxe…
En dehors de cette
mécanique incontrôlable, cette conception de la rémunération
au mérite est en fait sous-tendue par l’idée qu’il existe
des « droits à » (des droits créances). Il y aurait ainsi un
« droit à une retraite qui reflète le mérite ». Cette
évolution est en fait une perversion du droit. En effet, la
Déclaration des droits de l’homme donnait des
« droits de » (droit de propriété) qui garantissaient la
liberté parce qu’ils assuraient à chacun de pouvoir disposer
de sa personne, de ses talents et des occasions qui
s’offrent sans qu’une volonté arbitraire ne l’en empêche.
Les partisans des «
droits à » jurent pourtant qu’ils ne sont qu’une extension
nécessaire de la Déclaration des droits de l’homme.
Il n’en est rien.
D’un côté, nous avons des
droits authentiques dont les répondants sont identifiables
(on peut demander à l’État de faire condamner quelqu’un qui
ne respecte pas la propriété d’autrui) et qui n’ont besoin
de rien de matériel pour être revendiqués (le respect de la
propriété ne s’exerce pas au détriment de la propriété
d’autrui): ces droits sont donc des absolus et aucune violation ne peut être acceptée puisqu’ils consistent à
s’abstenir de faire certaines choses (par exemple de violer
la propriété d’autrui).
De l’autre, nous avons
des droits créances dont personne ne peut répondre (comme
assurer une retraite « qui reflète le mérite ») sauf à
assurer une prestation positive qui s’exerce au détriment
des droits d’autrui. C’est ce qui se passe avec une retraite
au mérite: certains vont acquérir des droits sur d’autres
sans contrepartie. Certains vont travailler plus que
d’autres pour payer les avantages de certains. L’État va
donc recevoir un pouvoir qu’il n’a pas le droit d’exercer.
En effet, s’il a été institué pour permettre à chacun
d’organiser sa vie sans avoir à subir les agressions
d’autrui, il n’a pas été institué pour limiter le malheur ou
promouvoir le bonheur de certaines catégories de gens.
L’idée d’instaurer des
retraites selon la pénibilité du travail est donc une idée
suicidaire à plusieurs titres: elle est une folie
épistémologique, elle mène à l’appauvrissement, elle est
liberticide pour les individus, elle
divise la société et elle sape le Droit.
Nos dirigeants feraient
bien de méditer Hayek qui écrit dans Droit, Législation
et Liberté:
Parler de droits là où ce dont il s’agit n’est fait
que d’aspirations qui ne peuvent être satisfaites en
dehors d’un système motivant les volontés, c’est non
seulement détourner l’attention des seules sources
effectives de la richesse souhaitée à tous, mais
encore dévaloriser le mot de « droit », alors que le
terme dans son sens strict est de la plus haute
importance si nous voulons sauvegarder l’avenir
d’une société libre. |
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