Mais, comme
eux, il nous faudra sans doute accepter humiliations,
défaites, rejets. Comme eux, il nous faudra faire fi des
quolibets, des rebuffades, des moqueries. Ignorer ou feindre
d’ignorer l’arrogance et le mépris de ceux qui, persuadés de
savoir, persuadés de leur bon droit, persuadés qu’il n’est
d’autre chemin, n’ont plus la capacité ni de croire en un
autre possible et encore moins de l’imaginer.
Souvenons-nous de la
terrible formule de l’empereur du Japon après les
bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki: « Il nous faut
accepter l’inacceptable et surmonter l’insurmontable ».
Noble chemin de croix...
On ne pourra échapper au
manichéisme et à la diabolisation. Et dans ce combat du bien
contre le mal, seule la conviction d’incarner le premier,
d’être dans le droit chemin, d’oeuvrer pour le bien commun
nous permettra de l’emporter. La route sera longue à
extirper la tyrannie étatique de ses moindres recoins, à ne
plus lui laisser le moindre espace de respiration et
d’expression, à la poursuivre dans ses plus petits sophismes
et fausses évidences.
Il faut éradiquer l’État
de la pensée commune comme un exorciste chasse le diable des
esprits.
Du monde entier, des
hommes et des femmes nous y aideront car notre combat est
juste. Libéraux de tous les pays, unissez-vous! Si la
formule a fonctionné pour le marxisme, pourquoi ne
marcherait-elle pas pour nous?
Mais que notre cause soit
juste – et même la plus juste qui soit! – ne lui garantit
pas la victoire. Et bien qu’il ne s’agisse pas de mourir
pour elle – la liberté n’est belle que pour les vivants! –
elle exigera sans doute quelques sacrifices.
Il nous faut croire à la
société à laquelle nous aspirons, en définir les lignes et
les fondements, en ériger les principes, en écrire la
constitution. Notre aspiration est la liberté et ses apôtres
en sont connus: Frédéric Bastiat, Alexis de Tocqueville,
Benjamin Constant, Jean-Baptiste Say, Friedrich Hayek,
Ludwig von Mises et tant d’autres... mais aussi, plus
surprenants, Socrate, Sénèque, Gandhi et tout ceux
pour lesquels ces mots de liberté, de justice et de bien
commun n’étaient pas vains.
Toute idée doit pour
s’imposer le faire aux dépens d’une autre. Mais nous n’avons
aucun scrupule à avoir! Notre lutte est légitime et depuis
quand faudrait-il rougir de se battre pour le bien commun?
Que la réalité nous donne
raison et que notre démarche soit rationnelle n’excluent en
rien de lui donner le sens d’une quête. Dussé-je le répéter
mille fois, c’est ce qui a toujours manqué au libéralisme.
C’est en quelque sorte son péché originel: une théorie
économique sans dimension humaine. Alors qu’il est
précisément l’inverse. Nous devons corriger cette erreur
initiale en lui donnant la dimension spirituelle que
certains de ses chantres ont nié – ou occulté – et qui,
seule, permettra à nos idées de s’imposer comme une
évidence.
On ne peut dénier à
l’être humain son besoin d’idéal, de dépassement de soi, de
projet commun, d’appartenance collective. Le libéralisme qui
n’est pas, loin s’en faut, l’individualisme, est à la mesure
de cette ambition.
Nombreux sont ceux qui,
perturbés par les fausses évidences largement colportées,
ont pensé que l’humanisme allait de pair avec un étatisme
bon teint; ont cru que seul l’État pouvait garantir par sa
redistribution, pourtant équivoque, une intégrité minimale à
ceux qui travaillent dans des conditions difficiles.
Libéralisme pour eux est devenu synonyme de sauvagerie, de
jungle alors qu’au contraire, appliqué dans les règles, il
est le garant des équilibres sociaux tout en restant le
meilleur allié des initiatives individuelles.
Et si aucun d’entre nous
ne pourra endosser sans faire sourire ou se couvrir de
ridicule, le pagne du Mahatma Gandhi, à la fois guide
spirituel et visionnaire politique, celui dont Einstein a pu
dire que « jamais les générations futures ne pourront croire
qu’un tel homme ait pu exister », il serait bon néanmoins de
s’inspirer de son idéalisme pratique et de sa morale
irréprochable.
Car aucun combat ne se
gagne sans vertu. Aucune cause, aussi belle soit-elle, ne
peut s’affranchir des exigences morales nécessaires à son
avènement. Il ne s’agit pas ici de juger tel ou tel sur ses
préférences sexuelles ou son goût pour la luxure, ce dont un
défenseur des libertés n’a que faire, mais sur sa capacité à
mettre le bien et l’intérêt commun au-dessus de ses intérêts
propres. Tout le monde aime la concurrence à condition
qu’elle ne s’applique pas à son secteur d’activité ou à sa
fonction. Tout le monde aime le libre-échange dès lors qu’il
fait baisser les prix mais le rejette aussitôt qu’il menace
son emploi. Mais il n’y a pas plus de libéralisme « à la
carte » ou de demi-libéralisme qu’il n’y a de semi-liberté.
On est libre ou on ne l’est pas! Le libéralisme est un tout
et c’est sa mise en oeuvre globale qui permet d’en tirer les
bienfaits. On ne prend pas l’avion si l’on n'achète que la
moitié du billet.
Le libéralisme implique une remise en question, sinon
permanente, du moins cyclique des acquis. Cycle de la vie,
d’un produit, d’une idée. Là où l’étatisme prône
l’immobilisme, il serait le mouvement. Mais le mouvement –
inquiéterait-il parfois! – n’est-il pas l’essence de la vie?
De même que le
libéralisme ne consiste pas à favoriser l’hégémonie ou la
domination du marché par quelques oligopoles, il n’est pas
davantage un système qui verrait les riches asseoir leur
domination sur les pauvres. C’est au contraire le système
actuel, basé sur des rentes de privilèges ou de production,
qui accentue la misère de ceux à qui l’État fait miroiter
une redistribution qui se résume pour certains à quelques
miettes. Les pauvres comme les esclaves de jadis mangent les
restes que veulent bien leur laisser les nantis de la
nouvelle aristocratie.
Bastiat, toujours lui,
stigmatisait déjà en 1850 les frais de bouche de la
présidence de la république, expliquant que ce qui se
prenait là manquait ailleurs. Rien n’est sans conséquence et
la plus insignifiante des dépenses inutiles ne l’est jamais.
Le libéralisme, c’est
aussi la concurrence. Et la concurrence, c’est la
redistribution. Une redistribution bien plus juste et
efficace que celle de l’État puisqu’elle s’opère par la
baisse des prix. Baisse dont les plus pauvres sont les
premiers à bénéficier.
La concurrence, c’est
aussi éviter la confiscation de la richesse produite au seul
profit d’un petit nombre de producteurs. La concurrence
enfin, c’est la possibilité d’avoir, pour le plus grand
nombre, accès à ce qui était jusqu’alors réservé à une élite
ou des privilégiés.
Où est l’épouvantail
libéral dans tout ça? Que les agents de l’État s’en
émeuvent, incapables qu’ils sont (ou croient l’être) de se
recycler dans la grande lessiveuse du marché, soit! Il ne
sera peut-être pas drôle pour les inspecteurs des impôts de
devenir garçon de café (métier bien plus noble au demeurant)
mais les autres! Les déshérités, les sans grades, les
exclus, les parias! Qu’ont-ils à perdre? Rien! Bien au
contraire, ils auraient tout à y gagner.
On dit que si les riches
maigrissent, les pauvres meurent. Eh bien avec l’État, la
solidarité est inverse. C’est quand il grossit que les
pauvres meurent. Le libéralisme est définitivement plus
égalitaire que l’étatisme!
Nous ne réussirons donc
que si nous parvenons à convaincre nos interlocuteurs que
nos idées sont bonnes pour l’ensemble de la collectivité et
non uniquement pour une caste composée de chefs
d’entreprises et de rapaces de la finance pervertissant
l’essence même du libéralisme. Et contrairement à nos
adversaires, nous n’aurons pas à mentir puisque c’est vrai!
Pour que les gens adhèrent au libéralisme, il faut d’abord
qu’ils y croient.
Et pour cela, il convient
de le débarrasser définitivement des scories racistes,
antisémites, droitistes, fascistes ou opportunistes dont
l’ont affublé nombre de ses porte-parole. Car le libéralisme
authentique, tel que nous voulons le promouvoir, est tout le
contraire. Ce libéralisme-là est un humanisme.
Il n’est pas plus de
droite que de gauche dans l’acception actuelle de ces
catégories. Ou alors il est des deux. Il n’est pas l’ami des
riches mais au contraire, n’ayons de cesse de le répéter,
celui des petites gens. Ils ne l’ignorent que parce que
nombreux sont ceux qui ont intérêt à leur faire ignorer.
Le travail de pédagogie à
accomplir est immense et on ne saurait en faire l’économie.
Il faudra expliquer et réexpliquer. Ne jamais avoir la
tentation de faire l’impasse et de brûler cette étape. Ne
jamais succomber au découragement. Ce sont les fondations
sans lesquelles on ne bâtira rien.
Et, contrairement à ce
qui a été fait jusqu’alors, il est impératif de commencer
par le bas de l’échelle sociale. Le libéralisme n’est pas
l’idéologie d’une élite éclairée. C’est l’idéologie du bon
sens. Mais pour que le bon sens soit partagé, encore faut-il
le faire partager. Nous avons tout à gagner à une élévation
du niveau de connaissance et de culture économique de
l’ensemble de nos concitoyens.
Une société libérale sera
une société où le libéralisme ne sera pas imposé du haut
vers le bas, mais où, au contraire, il partira du bas pour
irriguer le haut. Et c’est ainsi, légitimé et compris, qu’il
pourra bénéficier à une société qui l’aura plébiscité.
Nul besoin de démagogie
pour cela. Il suffit de s’inspirer encore une fois des
exemples très simples fournis par Bastiat dont on ne louera
jamais assez la clarté pédagogique. Des exemples que tout un
chacun est à même de comprendre, de s’approprier, de
partager et d’expliquer. Même si, je le répète, il n’est pas
interdit de donner une dimension spirituelle à notre cause
puisque, rappelons-le, il est aussi, et avant tout, question
de bien commun.
Il est également
fondamental de rappeler qu’il n’est pas – et qu’il ne peut
pas être – de liberté économique sans liberté individuelle.
Il convient donc avant toute chose d’en finir avec les
clivages anciens. On ne peut être libéral au sens où nous
l’entendons qu’en associant les deux démarches. Il faut en
finir avec le grand écart qui consistait à se faire le
prosélyte du régime de Pinochet sous prétexte que l’économie
du Chili était libérale. Et d’ailleurs l’était-elle? Comme
il est tout aussi inconsistant de s’ériger en défenseur des
droits et des libertés individuelles si l’on prône en
contrepartie le dirigisme économique et l’étatisme à tout
crin. Idéologie dont on connaît les dérives totalitaires. La
famille libérale doit s’unir et se retrouver dans la
cohérence.
La liberté est un tout,
indivisible et insécable. Et l’on ne saurait imaginer la
saucissonner au gré des désirs ou des fantasmes de chacun.
À ceux tentés par les
régimes à connotation dictatoriale et qui ne voient le salut
que dans la force, l’autoritarisme et l’absolutisme, je
voudrais rappeler que le seul pouvoir fort qui puisse
exister est celui qui s’obtient par l’assentiment de tous.
Le reste n’est que mascarade à uniforme et bras tendu et ne
débouche que sur la terreur et l’oppression.
Nous avons besoin au
contraire d’hommes et de femmes dont le sens du bien commun
est particulièrement affirmé. Des hommes et des femmes aux
hautes qualités morales et dont l’ambition les pousse, non
pas à occuper des fonctions, mais à les exercer.
Notre responsabilité
consiste à permettre enfin leur avènement. Il faut en finir
avec ces dirigeants qui n’ont d’autres préoccupations que
d’assouvir une volonté de puissance ou une soif de richesse.
Le libéralisme fournira l’occasion de porter au sommet des
hommes et des femmes portés par l’idée du bien commun et
soucieux de le servir.
Et que l’on n’imagine
surtout pas en lisant ces lignes que je tracerai un
autoportrait. Je n’ai malheureusement pas ces qualités, ce
qui ne m’empêche pas de les admirer et de souhaiter
l’avènement de ceux qui les possèdent. « L’homme libre n’est
pas envieux, il admire ce qui est grand et se réjouit que
cela puisse exister. » C’est du Nietzsche si je ne m’abuse.
Pour finir, je voudrais dire à mes jeunes lecteurs, que la
rudesse de mon ton et mon pessimisme de composition
exaspèrent parfois, que ce sont eux qui avaient raison. Une
vie réussie se construit autour d’un idéal et il n’est
jamais trop tard pour s’en trouver un.
C’est par la
visualisation de cet idéal qu’ils trouveront la force et le
réconfort qui leur permettront de surmonter les inévitables
moments de découragement qu’ils ne manqueront pas de
traverser. Ce sera le souffle moteur de leur vie, ce qui lui
donnera sens.
Le désir de liberté est à
jamais le plus beau qui soit.
Je leur demande aussi de
ne pas suivre le mauvais exemple de leurs aînés. Je leur
demande de ne pas composer, de ne pas transiger, de ne pas
se laisser phagocyter ou récupérer, de ne pas se contenter
de demi-mesure, de ne pas choisir le moindre mal. Soyez
exigeant, entier, sans concession, sans compromis! Allez au
bout de vous-même, c’est ainsi que l’on meurt tranquille.
Un de ces jeunes
correspondants à l’intelligence éclairée que je salue au
passage, m’a rappelé ces mots de Ludwig von Mises, « Le
libéralisme [...] a pleine
confiance dans la raison de l’homme. Il se peut que cet
optimisme ne soit pas fondé et que les libéraux se trompent.
Mais alors il ne reste plus aucun espoir pour l’avenir de
l’humanité. »
J’ignore quant à moi si
mes mots auront le moindre écho, si la folie qui les
imprègne sera communicative, si ma démarche prendra corps.
Je ne suis pas un prophète et ne demande rien pour moi-même.
Mais si ma plume peut servir cette cause qui, de loin, la
dépasse alors je pourrais dire que je n’ai pas perdu mon
temps.
Car un jour viendra où le
libéralisme s’imposera aux esprits aussi naturellement qu’il
s’impose aux fruits mûrs de tomber de l’arbre. Ce jour-là,
pensez à moi; dans mon sommeil, tel un Bouddha facétieux, je
sourirai...
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