La première de ces caractéristiques, de loin la plus importante, est
relative à la contrainte. Ce système s'appuie sur la contrainte
bureaucratique, il la revendique avec autant de force que d'autres
systèmes (celui de l'entreprise, par exemple) tentent d'y échapper.
Dans la partie dite « publique » de l'école, l'élève et sa famille
ne sont pas censés choisir l'établissement et, à l'intérieur de
l'établissement, ils ne sont pas censés non plus choisir le
professeur. Et cette contrainte du côté de l'usager se conjugue avec
une contrainte aussi grande du côté du service. Car il n'est pas de
chef d'établissement (ou de conseil d'administration
démocratiquement élu) qui ait le pouvoir de choisir les professeurs
qui composent l'équipe, et les professeurs eux-mêmes n'ont pas le
pouvoir de choisir leurs élèves. Un professeur n'est pas libre
seulement de refuser un élève qui s'est montré grossier ou violent à
son égard, ou à l'égard d'autres élèves, et qui les empêche de
travailler.
Ajoutons que les
professeurs n'ont pas le pouvoir, non plus, d'adapter les
programmes. Il serait souhaitable, sans doute, qu'un conseil
d'établissement puisse le faire en fonction des goûts et des talents
particuliers des professeurs qui forment son équipe. Mais il
paraîtrait beaucoup plus indispensable encore qu'il puisse adapter
ces programmes en fonction du public concerné. On se demande quels
moyens supplémentaires pourraient être accordés aux ZEP (zone
d'éducation prioritaire). Mais se demande-t-on s'il est bien
raisonnable d'enseigner la lecture, dans ces secteurs où beaucoup
d'enfants, issus de l'immigration, ne parlent pas français chez eux,
ou un français trop pauvre, au même rythme et de la même manière que
dans les écoles du XVIe arrondissement de Paris?
Sous cet aspect de la
contrainte, le fonctionnement de l'école ne trouve son équivalent
dans aucun autre secteur d'activité. Que diraient les Français si on
leur annonçait, par exemple, qu'ils ne seront plus libres de choisir
leur médecin? Ils protesteraient, sans doute, et ils auraient raison
de le faire. Mais ce fonctionnement ne trouve son équivalent, non
plus, dans l'histoire d'aucune tradition éducative. Le rapport qui
se noue entre l'élève et le maître est marqué, partout et toujours,
par une élection mutuelle. Cette élection ne prend pas la même forme
dans un monastère tibétain, dans la yeshiva juive, dans la
medersa islamique ou dans une école Montessori de Rome ou de
Bruxelles. Mais nulle part on ne voit qu'elle ait été abolie comme
chez nous.
Ajoutons que la
contrainte se double, dans le cas qui nous occupe, du plus grand
laxisme. Le paradoxe a de quoi surprendre. Il n'est pourtant que de
surface. Contrainte et laxisme se conditionnent l'un l'autre. La
contrainte s'accepte d'autant mieux que les infractions ne sont pas
sanctionnées. Elle incite à la négligence et la paresse. Au
conformisme. Et, en fin de compte, au mépris des élèves dont on se
plaindra qu'ils ne sont pas au niveau.
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