Montréal, 3 juin 2007 • No 228

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

DU PAIN ET DES JEUX

 

par Serge Rouleau

 

          En 850 ans d’histoire, les Romains ont conquis et géré un empire qui dépassait tout ce qui a été fait avant et depuis. Au début, le gouvernement romain était au service du peuple. Mais, au fil des ans, les Romains ont renoncé à leur liberté au profit d’un gouvernement absolu qui leur promettait « du pain et des jeux ». Le peuple romain, autosuffisant, courageux et souverain s’est peu à peu transformé en une société dépendante du gouvernement pour satisfaire ses besoins quotidiens.

 

          Vers 140 A.D., l’historien romain Fronto écrivait: « La société romaine est préoccupée principalement par deux choses, ses ressources alimentaires et ses spectacles ». Malheureusement, il n’y a pas de documents qui nous permettent de savoir ce que pensaient les Romains de l’époque de Fronto. En se fiant aux recherches anthropologiques et en se basant sur le fait que les besoins fondamentaux de l’être humain ont peu changé, on devine quels étaient les sentiments qui dominaient la société romaine.

          Si on pouvait sonder les Romains au moment où l’Empire atteignit son apogée, l’opinion dominante pourrait se résumer comme suit: « Le modèle romain nous a permis d’atteindre un niveau et une qualité de vie jamais connue auparavant ». Le gouvernement, financé par les énormes ressources de son empire, employait une nombreuse bureaucratie qui planifiait et gérait le bon fonctionnement de la société romaine dans ses moindres détails. La fonction publique offrait les meilleurs emplois. Le système monétaire était stable, ce qui contribuait à créer une impression de sécurité et de prospérité.

          L’agriculture employait une partie importante de la population. Le gouvernement contrôlait les prix pour assurer la rentabilité des fermes et pour garantir un approvisionnement alimentaire suffisant. Il maintenait un programme de travaux publics (aqueducs, thermes, routes, etc.) important pour stimuler l’économie, créer des emplois et flatter la fierté des Romains.

          Éventuellement, les taux de taxation atteignirent des niveaux inégalés et paralysèrent l’entrepreneuriat. Les entreprises bien établies s’en remettaient au gouvernement pour assurer leur survie. Un historien qui a documenté l’environnement économique de cette période écrit: « L’objectif premier de l’activité économique était d’assurer aux individus un environnement sécurisant et sans risques ..... Il n’y a pas eu d’innovation industrielle après le début du deuxième siècle A.D. »

          En 410 A.D., les Goths envahissent et saccagent Rome. L’Empire romain n’était plus que le reflet de la république dynamique et prospère qui avait conquis le monde. La corruption dominait le gouvernement et la bureaucratie. Les discours et les promesses servaient de substituts à l’action. Les Romains avaient graduellement échangé leur liberté au profit de l’État-providence. La population démoralisée attendait passivement que les politiciens agissent. L’immobilisme dominait la société romaine.
 

La liberté durable

          L’histoire démontre que les libertés individuelles sont garantes de la prospérité. Malheureusement, un des effets pervers de la prospérité est de favoriser la croissance des gouvernements. Petit à petit, l’État-providence s’installe au détriment des libertés individuelles. Ce cycle se répète depuis le début des temps et l’histoire de l’Empire romain en est un exemple frappant. Pouvons-nous mettre fin à ce cycle? C’est-à-dire, pouvons-nous créer un État dans lequel les libertés individuelles resterait une valeur durable?

          À ma connaissance, il n’y a pas de société qui ait réussi à limiter la croissance débridée de l'État pendant les périodes de croissance économique. Au mieux, après de longues périodes de stagnation et de recul par rapport à leurs partenaires économiques, certains pays ont fait reculer la part des impôts et dépenses publiques dans l’économie. L’Irlande est l’exemple le plus récent de ce phénomène.

          Une personne libre recherche l’autosuffisance, assume ses responsabilités, respecte la liberté des autres et rejette le pouvoir coercitif et absolu des gouvernements. Elle préconise des relations sociales basées sur des ententes individuelles et pleinement volontaires. Cette liberté ne peut pas être protégée par des lois ou imposée par la force. Elle doit faire partie des valeurs assimilées par les individus.
 

« Une personne libre recherche l’autosuffisance, assume ses responsabilités, respecte la liberté des autres et rejette le pouvoir coercitif et absolu des gouvernements. Elle préconise des relations sociales basées sur des ententes individuelles et pleinement volontaires. »


          La liberté n’est pas gratuite. Elle exige un effort continu. L’individu libre prend continuellement des risques et il en assume les conséquences. Ce n’est pas de tout repos, mais c’est le prix à payer pour se réaliser et éviter l’insignifiance quand ce n’est pas la dépression chronique.

La principale embûche à la liberté durable

          Une des grandes forces de l’espèce humaine réside dans sa propension à minimiser les risques. Il espère ainsi éviter les conséquences désagréables découlant d’un échec. Cette caractéristique inhérente à l’être humain explique en grande partie l’immense succès de notre espèce par rapport à d’autres espèces souvent plus robustes. Toutefois, cette qualité essentielle à notre survie et à notre développement peut devenir un handicap.

          La prospérité des sociétés modernes donne à l’être humain la possibilité de se prémunir contre toutes les formes de risques possibles. Les interventionnistes de tout acabit capitalisent sur l’aversion naturelle envers le risque chez l’individu. Ils lui proposent d’éliminer les risques auxquels il est normalement confronté. Ce processus graduel est insidieux car les bénéfices sont visibles et immédiats alors que les conséquences, qui entraînent une perte de liberté, sont diffuses et lointaines.

          L’être humain se développe en cherchant et en surmontant les défis. Ceux-ci sont nécessaires pour développer sa persévérance et son sens critique. L’État interventionniste, en éliminant ou en minimisant les risques, encourage l’apathie et la paresse intellectuelle.

Le phénomène alpha

          Les conditions primitives dans lesquelles ont évolué les êtres humains au cours des millénaires étaient très semblables à celles des autres espèces animales. Seuls les plus habiles et les plus forts, les types alpha, survivaient. Les plus faibles se soumettaient aux règles imposées par le membre dominant du clan. Toutefois, au moindre signe de faiblesse, celui-ci était défié et remplacé par quelqu’un de plus fort et de plus rusé. Le règne du « dominant » était intimement lié à sa capacité à protéger et servir la communauté.

          Le monde moderne a institutionnalisé le type alpha. Il n’est pas seulement président, roi ou dictateur. L’État s’est substitué au type alpha. Quoi qu’il arrive, l’État est toujours là et son pouvoir absolu n’est jamais menacé. L’État dicte les règles devant régir la société, les interprète à sa guise et les impose par la force. Ainsi, le moindre représentant de l’État, même le plus incompétent, devient un être dominant.

          Dans nos sociétés, il y a des milliers de type alpha, depuis le policier soumis à un régime de quota jusqu’au fonctionnaire du ministère du Revenu qui se croit investi d’une mission noble. Malgré les codes de déontologie, les recours et les ombudsmans, vous les confrontez à vos risques et périls.

          Bien sûr, dans nos démocraties nous pouvons remplacer les représentants de l’État. Toutefois, l’État alpha demeure bien en selle. Seul les politiciens exceptionnels, si les circonstances leurs sont favorables, réussissent à faire reculer la bureaucratie au profit des libertés individuelles. Leurs succès sont souvent mitigés et toujours temporaires. Les politiciens passent, mais la bureaucratie demeure.

Le corollaire du phénomène alpha

          Pour la plupart, l’État alpha est le symbole de l’altruisme et de la générosité. Pourtant aucun État n’a jamais démontré qu’il possédait de telles qualités. Au contraire, tous les massacres d’êtres humains d’hier à aujourd’hui ont été perpétrés par des gouvernements. L’histoire démontre que les États sont des prédateurs à l’affût de la première opportunité. Les représentants de l’État, les politiciens, n’hésitent pas à mentir pour justifier leurs actions destructrices. Ne dit-on pas que l’art de la politique, c’est l’art de dire le contraire de ce que l’on pense?

          L’illusion de la gratuité est savamment entretenue par les systèmes politiques pour se maintenir au pouvoir. Ce concept, inventé par les interventionnistes et justifié par le principe de la « bonne morale », garantit la pérennité de l’État alpha.

          Nous savons tous que la gratuité n’existe pas. On espère seulement que la facture sera payée par le voisin. C’est dans la nature de l’être humain de chercher à obtenir plus qu’il ne donne.

          Seul un gouvernement peut légalement voler les uns pour acheter les votes des autres. L’État, en prenant de force le bien des uns pour le redistribuer aux autres, érige en vertu la forme la plus nocive d’abus: le vol.

          Malheureusement, l’apathie et la naïveté populaire, conséquences de l’étatisme, favorisent l’élection de politiciens peu scrupuleux et parfois corrompus.

Conclusion

          Les hommes libres bâtissent des sociétés prospères. Les États alphas profitent de cette prospérité pour soumettre les populations en leur promettant de satisfaire leurs moindres besoins. L’étatisme engendre des générations qui se laissent berner par la facilité et l’irresponsabilité au détriment de leur liberté. Les populations infantilisées demandent toujours plus d’intervention de la part des gouvernements. Éventuellement, l’État s’effondre sous le poids et l’immobilisme de la bureaucratie.

          Ce cycle a duré 850 ans dans le cas de l’Empire romain et seulement 70 ans dans le cas de l’Union soviétique.

          Jusqu’à présent, aucune société n’a pu prévenir son effondrement sous le poids toujours croissant de la taille de l’État. Faut-il conclure qu’il est impossible de briser le cercle vicieux « prospérité – croissance de l’État – perte de liberté – effondrement de la société »?

          La mondialisation nous offre peut-être une planche de salut. La Russie, la Chine, la France sont des exemples récents qui démontrent que la mondialisation force les États interventionnistes à reculer. Toutefois, ce phénomène est relativement récent et nul ne peut prédire ses effets à long terme.
 

 

SOMMAIRE NO 228QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME? ARCHIVESRECHERCHE AUTRES ARTICLES DE S. ROULEAU

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QLPOLITIQUE DE REPRODUCTION COMMENTAIRE? QUESTION?