P. B.: Vous pensez donc que l’action syndicale nuit à
la santé économique des entreprises?
F. H.: Et comment! Je sais que ce type de propos
détonnera dans le pays de la pensée unique, mais voyez
comment Margaret Thatcher et Ronald Reagan les ont combattus
et avec quels succès économiques. Je sais qu’il est de bon
ton de dauber Reagan, mais sous sa présidence la croissance
américaine a été la plus forte des deux cents années qui
l’ont précédée. Dans le même temps, et au plus grand mépris
des règles élémentaires de la démographie, François
Mitterrand et ses brillants conseillers, tous réputés
beaucoup plus intelligents que le président américain,
instauraient la retraite à soixante ans. Mesure dont les
dommages seront perceptibles de longues années encore. Quant
à Tony Blair, qu’eût-il été sans les mesures prises par la
« Dame de fer »? Et notamment celles qui consistèrent, d’une
manière parfois violente et en tout cas sans état d’âme, à
mettre fin aux hégémonies syndicales dans les domaines du
transport et de l’énergie.
Et sans remonter aux calendes, voyez comment le gouvernement
néo-zélandais a, en 1991 et en moins de six semaines, réduit
le code du travail à sa plus simple expression. Pour le plus
grand bien de l’économie puisque dans les cinq années qui
ont suivi, le taux de chômage a été divisé par deux. De
même, le gouvernement canadien a-t-il interdit le droit de
grève aux fonctionnaires pendant sept ans afin de pouvoir
mener à bien le programme de réduction des dépenses
publiques. L’Institut économique de Montréal a d’ailleurs
réalisé
une étude très convaincante qui démontre à quel point
une trop forte présence syndicale nuit à la croissance et au
développement des entreprises.
P. B.: Mais les DRH avancent leur rôle stratégique...
F. H.: Ah oui! lequel? Quel rôle stratégique
pouvez-vous bien avoir quand vous êtes encadré par un code
du travail qui, comme le souligne Pascal Salin en me citant
(ce dont je le remercie), repose sur ce que j’ai appelé « la
prétention de la connaissance ». Autrement dit sur « le fait
que l’on croit savoir ce qui est le mieux pour chacun, sans
évaluer les conséquences ultimes des contraintes légales
apportées à la liberté contractuelle. Or les effets pervers
se manifestent nécessairement dans la mesure où elle est
inspirée par une vision erronée du marché du travail », pour
rendre la politesse à M. Salin et le citer à mon tour. Sans
entrer dans le détail de cette vision erronée, on peut dire
que le droit du travail est d’obédience marxiste puisqu’il
présuppose une relation de domination entre l’employeur et
l’employé qui permettrait au premier d’exploiter le second.
Le travailleur aurait donc besoin d’être protégé. En
réalité, l’entreprise est un « lieu de coopération sociale »
(Salin toujours) où chacun, employeur et employé, dépend
avant tout de la bonne volonté et de l’engagement de
l’autre. Or en imposant des contraintes arbitraires
supportées par un seul des contractants (l’entreprise), le
droit du travail devient un véritable frein à l’embauche
puisqu’il n’admet pas le droit à l’erreur ou le fait payer
très cher (toujours et unilatéralement à l’entreprise).
Nous sommes donc dans un système où la stratégie et
l’innovation ne reposent pas sur le désir ou la capacité de
chacun, mais sont soumises à des règles obsolètes et
absurdes dont les effets aboutissent à l’exact contraire de
ce qui serait souhaitable non seulement pour le
développement et le profit des entreprises mais encore pour
celui des salariés.
P. B.: Si l’on va au bout de votre logique, dans une
économie libérale, il n’y aurait plus de DRH...
F. H.: En tout cas pas les mêmes puisqu’une bonne
partie de leur tâche deviendrait caduque. Débarrassés des
contraintes légales, des négociations stériles, des petits
jeux de pouvoir et de contre pouvoir, ils pourraient par
exemple se consacrer à l’amélioration de la productivité, à
l’évolution des métiers, aux véritables défis de la
formation, etc. Et il y a fort à parier que l’on aurait
alors affaire à des DRH qui seraient eux-mêmes radicalement
différents et issus de cultures beaucoup moins « sociales ».
P. B.: Selon vous, les DRH actuels n’ont donc aucun
intérêt à ce que les lignes bougent?
F. H.: En effet. On a rarement vu quelqu’un scier la
branche sur laquelle il est assis. C’est d’ailleurs le
problème de la France en général. Trop d’arbres, trop de
branches et trop de gens assis dessus!
P. B.: Mais quoi qu’ils fassent, les DRH sont coincés
par l’arbitraire législatif...
F. H.: Oui et non. Prenons l’exemple de la feuille de
paye dont ils sont les garants. On n’a jamais entendu l’un
d’entre eux, ou quelque représentant d’association
professionnelle, réclamer de la transparence ou faire du
lobby pour cela.
P. B.: Que voulez-vous dire par là...
F. H.: Je veux dire qu’une feuille de paye digne de
ce nom devrait faire apparaître (comme c’est le cas au
Danemark par exemple) en première ligne un salaire brut qui
inclurait non seulement le salaire, mais encore la totalité
des charges sociales afférentes – salariales, comme c’est le
cas aujourd’hui, mais également patronales. Et croyez-moi,
ce simple changement conduirait très vite nombre de salariés
(dont la plupart verrait de fait leur salaire brut amputé de
50% si ce n’est plus quand on y ajoutera le prélèvement de
l’impôt à la source) à réclamer l’instauration d’une
couverture privée et en tout cas le libre choix. Car c’est
une chose de retirer 20% du salaire brut (part salariale) et
c’en est une autre d’en retirer 50%. Surtout pour les petits
salaires et les catégories modestes que l’on gruge depuis
des années en leur faisant croire aux bienfaits de la
redistribution étatique. Car qu’est-ce que les charges
sociales patronales sinon du salaire brut qui ne porte pas
son nom. Les salariés verraient alors que contrairement à ce
que leur serinent les syndicats, ce n’est pas leur salaire
qui est trop bas, mais les prélèvements qui sont trop hauts.
P. B.: Et vous pensez qu’il appartient au DRH
d’initier le mouvement?
F. H.: À qui d’autre? Et sinon à quoi
serviraient-ils? À propager et perpétuer des idées fausses?
Vous savez, on pourrait dire exactement la même chose de vos
fameuses
RTT (que tout le monde vous envie, mais dont personne ne
s’inspire, et pour cause...) qui n’ont jamais été qu’une
façon d’acheter la paix sociale en échangeant de la
rémunération contre du temps libre. Au détriment du
dynamisme économique et social car influençant de la
manière la plus négative et la plus pernicieuse l’ensemble
des couches productives de votre pays. Il était clair que
les gains de productivité seraient insuffisants pour
permettre une telle démarche dont le profit politique même
s’est révélé catastrophique puisque Jospin fut éliminé par
Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de
2002. Voyez-vous, au pire (et je dis bien au pire), il eût
mieux valu sacrifier une heure par jour que d’accumuler ces
semaines de vacances supplémentaires qui pourrissent le
climat général, brident l’innovation et cassent la dynamique
du pays. « Français en vacances »,
comme vous l’avez écrit vous-même, est devenu un
pléonasme.
Mais une fois encore, on constate que la plupart des DRH
s’appliquent le régime des RTT à eux-mêmes (ils l’avouent
avec difficulté mais en insistant un peu, la plupart d’entre
eux finissent par l’admettre). Tout comme les journalistes
d’ailleurs, ce qui explique la critique somme toute assez
relative dont elles font l’objet et le peu d’enthousiasme
des uns ou des autres à les remettre en cause.
P. B.: De la même façon, vous remettez en cause la
participation obligatoire...
F. H.: Bien sûr puisqu’elle remet en cause la notion
même de profit résiduel sur lequel repose la libre
entreprise. Pascal Salin explique cela très bien. Mais en
bref, un salarié bénéficie d’un contrat qui lui assure et
lui garantit le versement d’un salaire quoi qu’il arrive. En
revanche, l’entrepreneur (ou les actionnaires), quant à lui,
ne recevra qu’une partie de ce qui reste après que tout aura
été payé (salaires, fournisseurs, impôts, etc.).
Contrairement au salaire, le bénéfice n’est donc jamais
garanti et repose sur la notion de risque, assumé par le
seul entrepreneur et ses actionnaires. L’amputer de ce qu’il
faut bien appeler une sorte de sursalaire revient à
pervertir l’idée même du capitalisme et de ses fondements.
Demande-t-on aux salariés de participer aux pertes?
P. B.: Question plus personnelle pour finir: est-ce
que l’on ne s’ennuie pas un peu au ciel?
F. H.: Non pas du tout et je vais vous dire pourquoi:
tout simplement parce qu’il n’y a pas d’étatistes, Dieu les
trouve trop emmerdants...
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