Cette
vision des choses est partagée par plusieurs, dont un autre
ancien – quoique plus populaire – de la Warner: Prince.
Quiconque a assisté à l’un de ses spectacles au O2 Arena de
Londres en août recevra une copie gratuite de son dernier
CD, Planet Earth, comme l’ont reçue tous ceux qui ont
acheté le Mail on Sunday de Londres le 15 juillet
dernier (la nouvelle étiquette de Prince, Sony/BMG, qui
n'était pas au courant de l'offre, a retiré l'album des
tablettes des magasins britanniques...).
C’était écrit dans le ciel |
On le voit, le disque est de plus en plus perçu comme un
accessoire promotionnel. Une sorte de publicité. Si les
groupes ont longtemps utilisé la tournée, souvent à perte,
pour en stimuler la vente, ça n’est plus le cas. C'est
plutôt l’inverse. Le disque est utilisé (souvent
gratuitement) pour stimuler les ventes de billets de
spectacles – et de produits dérivés. Cela tombe bien car
s'il est difficile de surveiller les allées et venues des
fichiers numérisés sur le Net, il est beaucoup plus facile
de surveiller le flot de spectateurs à un concert!
La musique, disponible en
ligne ou au magasin, a perdu de sa valeur. L'album, qui
pendant des années a été la pierre angulaire de l'industrie
– une façon pratique de forcer les fans à payer pour dix
chansons alors qu’ils en voulaient seulement trois… –,
semble être pour les jeunes consommateurs une façon de plus
en plus dépassée, à l'ancienne, et peu économique, de se
constituer une bonne sélection pour leur lecteur MP3.
Ce n’est pas pour rien si
les ventes de CD sont en chute libre partout dans le monde.
Aux États-Unis, elles ont chuté de 15 pour cent en 2007, en
France, de 25 pour cent, au Canada, de 35 pour cent. Le
marché allemand, autrefois le plus grand d’Europe, est
maintenant plus petit que celui de la Hollande. Peut-on
blâmer le consommateur s’il boude le disque alors qu’il peut
télécharger une chanson pour quelques cents seulement?
Comme le souligne Sandall,
le CD contenait peut-être les graines de sa propre
destruction. L’un des rares magnats de l'industrie à s’être
élevé contre le format numérique dans ses débuts a été
Maurice Oberstein – un Américain qui, dernièrement, était à
la tête de Polygram UK (maintenant Universal). « Vous
rendez-vous compte que nous distribuons nos bandes
maîtresses ici? », a-t-il déclaré lors d’une assemblée de
convives.
L’arrivée du CD
imprimable aura en effet enfoncé le dernier clou dans le
cercueil de l’industrie du disque. Quiconque possédant un CD
original et quelques disques vierges pouvait maintenant se
lancer en affaire. Et c’est ce qu’ont fait plusieurs au
début des années 1990 en Amérique du Sud, en Asie et en
Europe de l’Est. Aux États-Unis et au Canada, c’est la haute
vitesse (ou haut débit) qui, en permettant le téléchargement rapide, aura
tué l’industrie vers la fin des années 1990. Aujourd’hui,
sans surprise, la montée en popularité des sites de
téléchargements légaux coïncide avec la chute des ventes de
disques en magasin.
Pour Sandall, il est
difficile de prouver que la popularité grandissante et la
montée des prix des billets de spectacle est directement
liée à la surabondance et aux prix à la baisse de la musique
enregistrée. Mais cela semble être plus qu'une coïncidence
de voir que les fans sont maintenant prêts à dépenser moins
sur les airs qu'ils écoutent à la maison, pour payer des
sommes souvent faramineuses pour entendre ces mêmes airs en
concert. Le prix des billets, surtout pour les artistes de
renommée internationale, a littéralement explosé.
Ce n’est pas un hasard si des musiciens favorisent de plus
en plus le spectacle plutôt que le disque, comme principale
forme de rémunération. Voyant les limites des poursuites
intentées contre les « pirates » du Net et des cadenas
numériques installés sur les CD par l’industrie, ils se sont
tranquillement tournés vers la seule chose qu’ils pouvaient
encore contrôler: le spectacle. Ils ont été à l’écoute du
marché et se sont adaptés. Plutôt que de combattre la
nouvelle technologie (avec toutes sortes de loi et de
restrictions), ils l’ont embrassée.
Encore une fois, les
décisions de millions de consommateurs et d’entrepreneurs
(dans ce cas-ci, culturels) auront changé la donne. C’est la
beauté du capitalisme. Rien n’est imposé, tout est offert.
Mais outre les
considérations économiques, un autre phénomène pourrait
expliquer ce revirement de situation. Selon Sandall, la
popularité grandissante des baladeurs et des lecteurs MP3 a
transformé la relation entre le consommateur et
l’artiste-entrepreneur. La musique n'est plus simplement une
mélodie qui se promène entre deux oreilles, c’est quelque
chose qui réunit les gens.
Alors que la valeur
relative de la musique diminue aux yeux des consommateurs,
celle des expériences partagées en groupe augmente – surtout
dans un monde où les liens virtuels occupent une place
toujours plus grande. Le guitariste du groupe Anthrax a
exprimé la chose de façon plutôt imagée: « Notre album est
le menu; le concert est le repas. »
Dans son livre e-Topia,
William Mitchell écrit qu’« en effectuant nos transactions
au jour-le-jour, nous considérerons de plus en plus les
avantages des différents degrés de présence qui nous sont
offerts pour en évaluer le coût. Et le fait de se réunir
dans un même endroit, à un même moment, pour partager un
concert, semble être en voie de devenir la plus rare et la
plus précieuse de toute les présences aux yeux des amateurs
de musique. »
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