Délire aux yeux de certains, liberté de culte pour d’autres, il n’en
demeure pas moins que l’ampleur du phénomène ne peut être pris à la
légère. Lorsque des évangéliques s’installent à Washington et
cherchent à influencer au nom de leurs croyances religieuses l’orientation de la politique étrangère,
ainsi que l’attribution des
fonds fédéraux, difficile de ne pas grincer des dents.
Personne ne peut nier le pluralisme religieux qui règne au pays de
l’Oncle Sam. Des temples hindous du Tennessee aux monastères
bouddhistes du Minnesota, en passant par les lieux de pèlerinage sikhs de la Californie, des communautés tout entières se sont
construites et organisées sur une base volontaire d’un océan à
l’autre. Au milieu des années 1960, des vagues successives
d’immigration en provenance d’Asie ont amené une panoplie de
nouveaux rites et coutumes qui ont eu un impact sur l’architecture,
l’art, la musique et la gastronomie de nombreuses villes. Une
richesse dont l’ampleur n’aurait jamais pu être imaginée par les
Pères fondateurs des États-Unis au moment où ils ont rédigé le
premier amendement de la Constitution.
À l’époque, témoin des guerres religieuses sanglantes qui ont
embrasé le continent européen(2)
et des tentatives ratées de certaines colonies américaines d’établir
et de maintenir une religion d’État, Thomas Jefferson se met à
l’écriture d’un projet de loi garantissant pour tous la liberté de
culte en Virginie. Bien qu’il soit lui-même croyant (déiste), il
prend conscience en regard de l’histoire de tout le danger d’un État
qui impose une religion nationale. Le citoyen lésé dans son droit
naturel de croire à ce qu’il souhaite, se voit contraint de payer
des taxes et des impôts pour financer des institutions auxquelles il
n’adhère pas. Sans oublier toutes les incitations à la violence et la
discrimination de masse que peut engendrer ce genre de politique.
Bien que controversée, cette proposition de Jefferson a un effet
d’entraînement sur les autres colonies. Elle aboutira, au lendemain
de la révolution, à cette entente commune: le Congrès ne fera
aucune loi qui touche l’établissement ou interdit la libre pratique
d’une religion. En d’autres termes, chaque citoyen demeure libre de
choisir ce à quoi il souhaite croire, ou pas, en fonction de sa
conscience et ses propres convictions(3).
D'ailleurs, la devise traditionnelle de l’Amérique n’est pas In
God We Trust, mais plutôt E Pluribus Unum – qui signifie
une nation unie dans sa diversité.
Une pluie de subventions pour la grâce de
Dieu |
« Tout ceci est une fraude, une distorsion de l’histoire », tels
sont les mots utilisés fréquemment par Pat Robertson pour fustiger
la séparation entre l’Église et l’État. Loin d’être l’opinion d’un
simple citoyen, il s’agit du fondateur du Christian Broadcast
Network, une organisation puissante et respectée qui rejoint
quotidiennement des millions d’Américains en âge de voter. Son
cheval de bataille: faire des États-Unis une nation chrétienne. À
partir d’une certaine interprétation du récit biblique, mêlant les
différents versets des prophètes, elle lutte farouchement contre
l’homosexualité, l’émancipation des femmes, la recherche sur le
clonage thérapeutique, et prône le retour de la prière dans toutes
les écoles.
Des revendications qui ont trouvé écho auprès de l’actuel président
républicain George W. Bush. Convaincu d’être lui-même un born
again, il célèbre ouvertement la moralité chrétienne dans ses
politiques. À la différence de ses prédécesseurs, il va entretenir
dès le début de son mandat des liens étroits – pour ne pas dire
compromettants, sur le plan constitutionnel – avec le lobby
évangélique(4).
Il n’hésite pas à faire dénouer les cordons de la bourse pour créer
au sein même de la Maison-Blanche l’Office of Faith-Based Initiative
chargé de distribuer des milliards de dollars en subventions à des
églises ou encore à des associations religieuses. Ce programme fait
preuve de favoritisme envers les organismes chrétiens en conformité
avec les croyances monothéiste du président(5).
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