Mais, libérale, l’Union européenne l’est-elle
vraiment? On peut légitimement se poser la question lorsque l’on
connaît la réticence – et parfois même, la très vive opposition –
que certains libéraux professent à l’encontre de la construction
européenne, du moins telle qu’elle est menée aujourd’hui.
Cet article a donc pour modeste objectif d’effectuer quelques mises
au point en vue de démontrer, preuves à l’appui, que l’Union
européenne n’est pas, loin s’en faut, libérale.
Cette démonstration pourra également, de manière accessoire, servir
d’illustration à la thèse du professeur Friedrich
August von Hayek telle qu’exposée dans son livre La route
de la servitude où (mais faut-il encore le rappeler?) le père du
renouveau libéral au XXe siècle nous mettait en garde contre les
dangers d’une planification de la société en temps de paix,
planification héritée pour grande part des nécessités de la guerre.
En l’occurrence, nous verrons comment, malgré des fondements et des
objectifs parfois proches de ceux défendus par les libéraux, la «
reconstruction » de la société civile au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale par des administrations soumises à l’idéologie
planificatrice a abouti à l’émergence de certains traits
caractéristiques de l’Union européenne actuelle.
Des traits caractéristiques qui, il n’en faut pas douter, sont
largement responsables de la crise que traverse aujourd’hui
l’Europe, tant d’un point de vue politique et juridique que sous un
aspect économique global.
Néanmoins, et avant d’aller plus loin dans notre démonstration,
convient-il de retourner aux sources de la construction
communautaire.
Car en fait, « pourquoi l’Europe? » Pourquoi constituer, au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une telle association dont
le but politique était, dès l’origine, évident?
Pour la paix, tout simplement. L’Europe politique et
institutionnelle fut construite pour défendre la paix.
La paix, après des siècles de guerre; et s’il y a bien un élément
que l’on peut mettre aujourd’hui au crédit de l’Union européenne,
c’est sans aucun doute le fait que ce continent (du moins, dans sa
partie occidentale) n’a connu aucune guerre entre États nationaux,
plus précisément entre les États membres de l’Union. On rappellera,
à cet effet, le formidable exemple que fut la réconciliation entre
des pays jusque-là ennemis, comme la France et l’Allemagne, et le
rôle éminent de stabilisation des institutions communautaires(1).
Robert Schuman, l’un des pères fondateurs du traité de Paris qui
institua, en 1951, la Communauté européenne du charbon et de
l’acier, déclara dans l’un de ses plus célèbres discours que « [l]a paix mondiale ne saurait être
sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui
la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut
apporter à la civilisation est indispensable au maintien des
relations pacifiques... »
La Première, comme la Seconde Guerre mondiale, sont nées en Europe.
Aussi, selon Schuman, « [l]’Europe n’a pas
été faite, nous avons eu la guerre ».
L’Europe politique doit donc nécessairement émerger pour maintenir
la paix. Mais « [l]’Europe ne se fera pas
d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des
réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »
Aussi, « [l]e gouvernement français
propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de
charbon et d’acier sous une haute autorité commune [...] première
étape de la Fédération européenne...(2) »
Le charbon et l’acier, nerfs de la guerre et coeurs de l’économie en
temps de paix, devaient donc être gérés au niveau européen et « supranational » afin d’éviter qu’une guerre ne reprenne entre des
pays qui, pourtant, avaient des intérêts économiques communs
indéniables.
Est-ce là une idée libérale? On peut le penser; mais la réponse est,
assurément, à nuancer.
Bien sûr, on sait que les libéraux, ardents défenseurs du
libre-échange, ont toujours affirmé que les relations marchandes
conduisaient à la paix encore plus sûrement que tout accord
politique ou diplomatique ne pourra jamais le faire. C’est là la
doctrine d’un Frédéric Bastiat ou d’un Richard Cobden au XIXe
siècle; une idée certes ancienne, mais qui continue aujourd’hui
d’avoir ses adeptes, au-delà même du cercle des auteurs libéraux(3).
L’idée en est simple: c’est lorsque l’on commerce avec son voisin
que l’on abandonne l’idée de lui faire la guerre, parce qu’alors ce
n’est plus de notre intérêt de se battre avec lui.
Mais ce qui a été fait concrètement en Europe pour la réalisation de
cet objectif, à savoir, l’intervention d’institutions
supra-étatiques, est-ce une approche si libérale que cela?
Bien sûr que non; le marché, débarrassé des principales contraintes
étatiques, aurait pu de lui-même former de telles solidarités
de fait, et ce sans que des bureaucrates ne s’en mêlent.
A-t-on jamais vu le gouvernement fédéral américain contrôler
l’économie en vue de favoriser la coopération économique entre les
différents États fédérés? Même au lendemain de la Guerre de
Sécession une telle proposition aurait provoqué l’hilarité générale,
tant il était alors admis que le marché n’a pas besoin de l’État
pour prospérer.
En fait, les hommes n’ont pas besoin de l’État pour marchander et
innover; ils ont besoin de lui pour se protéger et faire régner la
justice. Ni plus, ni moins.
Alors, bien sûr, on rétorquera que l’époque n’était pas la même
qu’aujourd’hui; en 1945, il fallait avant tout reconstruire
l’Europe.
Puisqu’il n’y avait plus d’investisseurs privés suffisamment forts
pour intervenir dans une économie ravagée par les destructions de
toutes sortes (villes rasées par les bombardements, usines sabotées,
ressources pillées par les armées de passage, pénurie générale),
l’État pouvait assez naturellement passer comme étant le seul acteur
économique capable de relancer la machine.
C’était bien sûr là l’essentiel de la doctrine keynésienne, partagée
(entre autres!) par les diverses formations de gauche européenne,
qu’elles soient socialistes, sociale-démocrates, réformatrices,
progressistes, démocrates-chrétiennes ainsi que, dans le cas
français, gaullistes.
Le général de Gaulle avait en effet bien résumé cet état d’esprit
interventionniste lorsqu’il affirmait que, en économie, « [...] deux
leviers sont concevables [...]. Ou bien la contrainte totalitaire.
Ou bien l’esprit d’entreprise. Nous avons choisi le second. [...]
Mais, tout en tenant la carrière ouverte à la liberté, nous rejetons
absolument le "laisser-faire,
laisser-passer" et nous voulons qu’en notre siècle, ce soit la
République qui conduise la marche économique de la France(4). »
L’État aurait donc un rôle à jouer en économie; c’est bien là l’idée
des « pères fondateurs » de la construction européenne.
Ou plutôt: c’est au-dessus des États que devrait se jouer « la marche économique » de l’Europe... Et dépasser l’État, cela
revient à dire que l’on va le remplacer par quelque chose d’autre –
quelque chose qui pourra éventuellement s’avérer « pire » qu’un
État.
Les Européens de l’Ouest voulaient que les relations entre leurs
nations respectives soient désormais fondées sur des principes
pacifiques, conformément à un certain nombre de droits fondamentaux
comme la liberté d’aller et venir, ou la liberté du commerce, ce qui
distinguait alors l’idéal ouest-européen des vues impérialistes de
la réunion des États d’Europe de l’Est, soumis à la dictature
militaire soviétique.
Le 25 mars 1957 fut adopté le traité de Rome, qui institua la
Communauté économique européenne (CEE) ainsi que la Communauté
européenne de l’énergie atomique, plus connue en France sous
l’appellation d’Euratom.
Ces ensembles institutionnels regroupaient alors uniquement la
République fédérale allemande, la France ainsi que les pays du
Benelux: la Belgique, la Hollande et le Luxembourg.
C’est ainsi que commence l’histoire de ce qui est devenu, en 1992,
l’Union européenne et qui aujourd’hui comporte pas moins de 27 États
membres à savoir, et dans l’ordre chronologique, les pays
fondateurs, la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark, la Grèce,
l’Espagne et le Portugal, l’Autriche, la Finlande et la Suède,
Malte, Chypre, la Hongrie, la République tchèque, la Pologne,
l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, la République
slovaque ainsi que, depuis 2007, la Roumanie et la Bulgarie.
Nous chercherons
ainsi à
démontrer que l’Europe a, au fil de ses élargissements successifs
cédé à la tentation protectionniste et constructiviste; car l’Europe
a bel et bien cédé à l’idéologie la plus néfaste du XXe siècle: la
planification.
Les justifications théoriques de la construction européenne |
Nous avons déjà dit que l’Union européenne a comme fondement premier
la paix; par exemple, le projet de traité établissant une
Constitution pour l’Europe établissait formellement que «
[l]’Union a
pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses
peuples(5) ».
Encore faut-il savoir comment l’on permet à la paix de se
développer...
C’est donc toute la problématique institutionnelle qui mérite d’être
ici évoquée. En effet, la construction européenne a toujours connu
une divergence, profonde, entre deux conceptions théoriques qui
marquent de leur empreinte, aujourd’hui encore, l’essentiel du débat
communautaire.
La première approche est celle des « eurosceptiques », mais c’est la
seule approche à être réaliste. Elle ferait de l’Europe
institutionnelle une organisation internationale permettant la tenue
de conférences entre États membres qui, dans l’hypothèse où
apparaîtrait comme utile et nécessaire une action de type politique
commune, donnerait lieu à la ratification d’actes juridiques
adéquats.
La seconde, celle des « européens convaincus », et qui est par
essence idéaliste, voudrait faire de l’Europe une institution
internationale de type supranational sans pour autant qu’il
s’agisse, par exemple, d’un État, d’un État de type fédéral
notamment.
Parenthèse: on peut déjà nous reprocher de décrire cette seconde
approche comme étant par trop « idéaliste ». En fait, nous utilisons
ce terme à dessein, puisqu’un tel « idéal » ne s’approche de rien de
connu: cherchez, et vous vous apercevrez qu’il n’existe aucune
organisation internationale dont l’objectif serait de se substituer
aux États préexistants, ou de s’imposer à eux sans pour autant
tendre vers une forme étatique fédérative, compétente tant en
économie qu’en politique... Ni l’ONU, ni l’OMC, ni l’ALENA, ni
l’OPEP, ni le Saint Empire Romain germanique ne peuvent prétendre
servir de modèles à l’Union européenne, qui – les pro-européens nous
le répètent déjà à satiété – se veut être une expérience « originale
» et « inédite », c’est-à-dire, entièrement « novatrice ».
Or, en droit pas plus qu’ailleurs, les bons sentiments ne donnent
pas nécessairement de bons fruits; comme l’a dit avec justesse le
grand libéral Edmund Burke, « [i]l en va
de la science de composer un État, de le renouveler, de le réformer
comme de toutes les autres sciences expérimentales; elle ne
s’apprend pas a priori(6). » L’Union européenne est donc, en elle-même, un projet de type «
constructiviste », qui ne se rapproche de rien de connu, à moins de
prendre comme base les principes d’un régime étatique fédéral. Car
l’Union européenne est bien, pour certains, l’ébauche d’un « super »
État fédéral. En l’état actuel des choses, à l’heure où tous
s’accordent à dire que l’Europe est en crise, et qu’elle souffre
d’un « déficit démocratique » profond, avouons qu’il s’agit bien
d’un idéal plus que d’une réalité...
Revenons-en aux institutions. La Communauté européenne, héritière de
la Communauté économique européenne de 1957, est la principale
structure communautaire.
Elle « a pour mission, par l’établissement d’un marché commun, d’une
Union économique et monétaire [...] de promouvoir dans l’ensemble de
la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des
activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale
élevé, l’égalité entre les hommes et les femmes, une croissance
durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de
convergence des performances économiques, un niveau élevé de
protection et d’amélioration de qualité de l’environnement(7).
»
Le marché commun, venant dépasser en mérites une simple zone de
libre-échange ou même une union douanière, sème alors, et pendant
longtemps, la confusion: l’Europe va-t-elle oeuvrer en vue de
l’érection d’une vaste zone de libre-échange renforcée, débouchant
parfois sur des normes juridiques communes, selon la technique des
traités internationaux? L’Europe va-t-elle s’inspirer de l’approche
pragmatique et réaliste, l’Europe va-t-elle correspondre à l’idéal
libéral d’une vaste zone de paix, de liberté et d’échanges
marchands?
De nombreux libéraux vont y croire.
Néanmoins, alors que des libéraux s’engageaient fermement pour la
construction européenne (notamment en Allemagne et en Italie),
certains d’entre eux s’opposaient vigoureusement à l’idée d’une
Europe purement artificielle, rompant en quelque sorte les liens
avec ses fondements historiques, culturels et même, religieux.
Une telle réflexion continue d’avoir son importance aujourd’hui;
ainsi, il y a peu, le débat sur les racines judéo-chrétiennes de
l’Europe(8),
de même que la volonté de rupture des citoyens européens (pour qui
l’Europe est, quoi qu’on en dise, en crise) nous a montré que
l’Union européenne, du moins telle qu’elle est conçue aujourd’hui,
ne répond pas à une attente réelle de la population européenne, et
ne saurait être comprise comme étant le fruit d’une évolution
spontanée de la société(9).
Car le déficit démocratique de l’Union, c’est avant tout la faillite
d’un système plus constructiviste que pragmatique. En effet, l’idée
d’un grand marché européen a progressivement débouché sur l’idée
d’une nouvelle force économique entièrement régie par un cadre
juridique unique, une idée qui n’est plus vraiment libérale.
Qu’on en juge; les défenseurs de la construction européenne vont de
plus en plus parler d’un projet de « fédération » européenne venant
à la suite des États-nation traditionnels, les dépassant même pour
aboutir à une forme politique nouvelle; l’Europe aurait en outre la
charge de développer des institutions communes et d’harmoniser les
politiques sociales entre États membres.
« L’instauration [du marché commun] n’était pas conçue comme une fin
en soi, mais comme un premier pas devant être suivi par des
développements ultérieurs. Il s’agissait, selon cette conception
participant d’un fédéralisme fonctionnaliste, de mettre en place des
solidarités sectorielles, en particulier dans le domaine économique,
devant conduire, par le jeu d’un engrenage auquel ne pourraient se
dérober les États concernés, à une unification politique(10). »
Aussi, à partir de ce moment, l’Union européenne n’est plus
libérale.
Bien sûr, certains prétendent que l’Europe est, malgré tout,
libérale, car elle défend prioritairement des objectifs de nature
économique également poursuivis par les libéraux. Nous allons
essayer de démontrer l’erreur d’une telle conception en débutant
avec un exemple simple, la Politique agricole commune (PAC) que
l’Union européenne supervise pourtant au nom de l’établissement
d’un marché commun.
Apparue en 1962, la PAC avait pour but initial d’accroître la
productivité du secteur agricole des divers États membres de la CEE,
tout en garantissant aux consommateurs des prix suffisamment
compétitifs. Ça, c’est ce que l’on en dit souvent. Voyons maintenant
ce qu’il en est réellement.
De l’abondance au gâchis, petite histoire de l’agriculture
européenne |
Cela fait de nombreuses années que les économistes libéraux nous
éclairent sur les dangers de la PAC(11),
qui symbolise à elle seule les pires dérives de la planification
administrative d’un secteur économique donné, et dont on peut
retracer – et simplifier – l’évolution en quatre phases distinctes.
Première phase, justifiée par les nécessités de l’époque: celle du
contrôle de l’État dans l’immédiat après-guerre.
En effet, à la Libération, l’Europe occidentale a connu les
privations héritées de la guerre, les coupons de ravitaillement et
les longues files d’attente devant des épiceries presque vides, en
un mot: la pénurie. Il fallait certainement investir en bloc dans
l’agriculture, la moderniser, et encore une fois, à l’époque c’est
l’État qui, seul, avait la capacité de le faire.
Néanmoins, l’idée selon laquelle il faudrait « planifier »
l’agriculture va vite prendre forme dans l’esprit des gouvernements
européens qui vont peu à peu se donner comme objectif de faire de
l’Europe un continent pouvant vivre en autarcie, au moins du point
de vue alimentaire.
D’où le glissement rapide vers la deuxième phase, c’est-à-dire le
passage du contrôle de l’État à la mise en place d’une idéologie
d’indépendance et d’autarcie, certes pas totalement contestable, eu
égard à l’expérience passée, mais qui allait profondément marquer le
fonctionnement de l’agriculture européenne. Pour ce faire, les États
vont favoriser l’agriculture et orienter les productions, l’État
devenant ainsi « acteur » de l’économie, conformément à la doctrine
keynésienne en vogue à l’époque, une doctrine qui trouvera son point
d’aboutissement dans les institutions européennes naissantes. C’est
à ce moment que naissent officiellement la PAC et le Fonds européen
d’orientation et de garantie agricoles (FEOGA).
Malheureusement, les États vont inciter les agriculteurs à produire
dans tel ou tel secteur d’activité, et ce sans lien réel avec les
exigences du marché, et en grandes quantités bien sûr... Les
politiques vont donc mettre sur pied, par le biais de la PAC, une
agriculture intensive totalement déconnectée des attentes des
consommateurs, même si l’objectif affiché est de répondre à leurs
attentes; mais comment le pourrait-on si l’on ignore les « indices »
que sont les prix librement débattus sur le marché?
Un tel bouleversement de l’ordre économique ne pouvait que conduire
à la crise, avec des marchés saturés et d’autres totalement
dépourvus des ressources susceptibles de satisfaire une demande
pourtant bien existante, d’où une politique européenne absolument
antilibérale puisque d’inspiration keynésienne et interventionniste.
« Un poste [...] important des dépenses visibles est celui des
fonds versés par les pays membres de la Communauté européenne à
leurs agriculteurs au travers de la PAC. Les dépenses invisibles de
soutien des prix sont en majeure partie cachées dans les prix de la
consommation. Ceux-ci sont tenus artificiellement à un niveau plus
élevé qu’ils ne le seraient sans le soutien de l’État(12).
» |
Et, naturellement, c’est sur le citoyen européen que pèse le poids
de cette politique: en tant que consommateur, il pourrait obtenir
des produits étrangers à un prix meilleur; en tant que
contribuable, on rappellera qu’évidemment, c’est lui qui finance
cette production agricole...
Vient alors la troisième phase: devant la réussite apparente de
l’entreprise, il va falloir faire passer l’agriculture européenne de
l’autarcie à l’exportation à grande échelle.
Désormais et pour s’en sortir, l’Europe doit vendre, et, si elle ne
peut pas vendre, alors elle doit donner (ou vendre à perte, ce qui
revient plus ou moins au même) à tous ceux que les politiques
européens considèrent comme des alliés potentiels. De fait, en
pleine guerre froide, les dictatures communistes vont profiter des
largesses d’une Europe qui cherchait désespérément à se débarrasser
de marchandises dont elle ne savait trop quoi faire... Donner au
grand adversaire politique de l’époque du blé et de la viande de boeuf, véritable « cadeau » que l’on refuse à sa propre population,
voilà le vrai visage de l’Europe d’alors!
Certes, d’autres pays en manque vont également profiter de ces
exportations à prix réduit, des pays d’Afrique notamment. Mais c’est
bien cette logique d’assistanat qui a empêché l’Afrique de vivre de
sa propre production et de développer une agriculture qui pourrait
faire sa force. Car, faut-il le rappeler?, si les mêmes Européens
abolissaient enfin leurs tarifs protectionnistes, et importaient les
produits africains sans les taxer, en d’autres termes, si l’Europe
vivait vraiment le libre-échange qu’elle prône,
les peuples d’Afrique pourraient vivre dignement du propre fruit de
leur travail, plutôt que de la solidarité internationale.
Quatrième étape, contingente aux progrès de la mondialisation
économique dans les années 1990: la montée en puissance de nouveaux
acteurs économiques comme la Chine, l’Inde, le Brésil, qui bouleversent une nouvelle fois la donne. Donc,
nouvelle crise des marchés agricoles... L’Union européenne doit
réagir, et décide de fixer des quotas en vue d’empêcher les
agriculteurs de produire à hauteur de leurs capacités, eux que l’on
forçait jusque-là à produire en grandes quantités!
D’où le mécontentement du monde rural, d’où les manifestations
d’agriculteurs devant les préfectures, d’où les émeutes en province,
d’où les ports bloqués par des pêcheurs en révolte.
D’où, également, la nécessité politique des gouvernements à
continuer le versement des aides sociales aux mêmes agriculteurs qui
vivent désormais de ces aides plus que de la vente de leur
production.
L’Europe a fait de ses agriculteurs de véritables « assistés sociaux
».
Pour résumer, en intensifiant la production agricole tout en
bloquant artificiellement les prix et en multipliant les allocations
de toute sorte, l’Union européenne a conduit, par sa logique
planificatrice, à l’échec économique et financier de l’agriculture
en Europe.
Ce n’est qu’aujourd’hui que l’opinion publique commence à prendre
conscience de l’ampleur de cette crise, notamment par le biais de
différentes officines écologistes qui pointent du doigt les méfaits
de l’agriculture intensive en Europe: pollution des sols due à
l’utilisation systématique d’engrais chimiques (dont l’affaire du
lisier breton est une illustration éclatante), scandales
alimentaires divers comme celui de la vache folle, mise en place de
quotas qui favorisent certaines catégories d’agents économiques au
détriment d’autres, ... les maux en sont bien connus.
Mais attention: ce que les écologistes critiquent aujourd’hui en
parlant d’agriculture « industrielle », c’est le système économique
capitaliste, et non le véritable responsable, à savoir: la
planification administrative, les écologistes étant aujourd’hui
complètement inféodés aux partis politiques qui ne font rien d’autre
que de vouloir asservir encore un peu plus les hommes à l’État. Car
le libertarien conséquent est bien plus proche de la nature que les
écologistes; la véritable politique écologique est libertarienne,
car elle est la seule à être à la fois respectueuse des droits de
propriété et des capacités productives de chacun, tout en demeurant
source de progrès technique.
Une grande dame de la politique (que l’on accepte ou non
l’intégralité de son héritage), a toujours combattu la PAC et a, à
diverses reprises, tenté de la démanteler. Il s’agit de Margaret
Thatcher, qui ne comprenait pas pourquoi le contribuable britannique
devait subventionner l’agriculture française. Son intransigeance
(formulée de manière lapidaire pas le trop fameux « I want my money
back ») en a fait l’une des plus ferventes opposantes à la
construction européenne. Mais, contrairement à ce que l’on dit
souvent, ce n’est par antipathie à la construction européenne, mais
bien par crainte des dérives de cette même construction que Lady
Thatcher demanda que l’on mette fin à la PAC. Il est incontestable
que le système actuel est sclérosé, source de nombreuses dérives et,
à terme, d’inégalités profondes. Par exemple, d’après l’économiste
suédois Johan Norberg – se basant sur les statistiques de l’OCDE – 20% des producteurs agricoles européens
les plus riches accaparent environ 80% des subventions de la PAC.
Plus significatif: 40% du budget total de l’Union est redistribué
à... moins de 1% de la population européenne!
Même les
adversaires du libéralisme ne peuvent que partager avec nous ce
constat d’échec; la PAC, en plus d’être inutile et inefficace, est
aussi source de très nombreuses inégalités.
Pour résumer, avec sa politique agricole l’Union européenne montre
bien son mépris du libre-échange (et son attachement à un
protectionnisme économique qui n’a rien à voir avec le libéralisme
authentique) ainsi que l’accroissement inconsidéré de la « technocratie » et de la « bureaucratie » communautaire.
On pourrait multiplier les exemples en énumérant les innombrables
politiques économiques artificielles de l’Union européenne: dans le
domaine industriel, dans le domaine bancaire, dans le domaine
monétaire... l’euro sera un autre bon exemple de notre propos.
Nous n’avons certes pas la prétention de réaliser ici un cours
d’économie, ni même d’étudier en profondeur la question du
bien-fondé du choix, ou non, de la monnaie unique appelée « euro »,
là encore souvent critiquée par les libéraux(13).
Nous n’en avons pas les compétences; aussi, nous nous bornerons à
étudier si les choix économiques de l’Union européenne
correspondent, ou non, aux grands principes du libéralisme classique
et/ou du libertarianisme contemporain.
Il existe désormais une « super » banque centrale, chapeautant
les banques centrales nationales, la Banque centrale européenne.
Création en soi purement artificielle, comme toutes les banques
centrales (le marché pourrait s’en passer), les technocrates
communautaires ont au moins désiré rendre cette banque centrale
indépendante du pouvoir politique, ce qui est à saluer.
En fait, l’Union européenne a conçu au fil des ans une Union
économique et monétaire (l’UEM) dont les avantages sont, eux aussi,
bien connus: adopter une monnaie unique en vue d’obtenir une vérité
des prix au sein de l’Euroland tout en entraînant une réduction des
coûts liés au change des monnaies et à la couverture des risques de
change.
Nous ne les remettons pas en cause; toutefois, l’euro – et, avant
lui, l’écu (European Currency Unit), mais qui n’avait pas une
utilisation forcée – est une monnaie purement « artificielle », tout
le contraire d’une décision « spontanée » du marché.
La question de l’euro correspond en fait à un choix monétaire entre
des taux de change fixes et des taux de change flottants.
Mais cela, quel homme politique l’a expliqué en ces termes?
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