On ne
peut pas faire parler les morts, mais comment ne pas penser
à Kléber Haedens qui, dans son Histoire de la littérature
française, autrement plus originale et savoureuse que
celle de d’Ormesson, écrivait au sujet du nouveau roman:
Autour d’un ingénieur agronome, Alain Robbe-Grillet,
allaient se réunir quelques écrivains falots qui,
tout en prétendant garder leur indépendance, se
rattachaient à une sorte de croyance qu’on appela le
nouveau roman. Qu’est-ce que le nouveau roman? En
dépit des efforts étonnants d’un esprit fort
distingué comme Roland Barthes, en dépit des
explications laborieusement fournies par
Robbe-Grillet lui-même ou par Nathalie Sarraute, la
meilleure définition reste celle que donna Jules
Renard dans son Journal le 6 avril 1892: « La
formule nouvelle du roman, c’est de ne pas faire de
roman ». |
Le petit cercle compassé qui fait croire depuis des années à
Yasmina Reza qu’elle est écrivain parce qu’elle vend des
livres devrait y trouver matière à réflexion.
Je voudrais par la même
occasion m’insurger contre le poncif qui tend à faire de
Nicolas Sarkozy un personnage de roman. Voilà sans doute qui
explique la pauvreté de la veine contemporaine en la matière,
mais j’aimerais tout de même que l’on m’explique en quoi le
fait d’avoir pris la femme d’un célèbre animateur de
télévision trop confiant serait romanesque? L’adjectif « pitoyable » ne conviendrait-il pas davantage? Et si je sais
qu’avec du talent, on peut d’une banale affaire de cocufiage
faire un feuilleton à rebondissement, le moins que l’on
puisse dire est qu’on est ici loin du compte. Ce n’est plus
du roman, mais du boulevard. Car non seulement Cécilia
Sarkozy n’est pas Madame de Reynal, mais il y a entre
Stendhal et Reza, entre Julien Sorel et Sarkozy, le même
fossé que celui qui sépare, pour les amateurs de football,
Michel Platini de Franck Leboeuf.
Un personnage de roman
jusqu’à preuve du contraire, c’est un personnage qui a de
l’épaisseur, de la profondeur, du caractère, une âme quoi!
Et c’est précisément cette épaisseur, cette profondeur et ce
caractère qui font de lui un être mémorable. Et qu’il soit
réel ou imaginaire ne change rien à l’affaire.
...Épaisseur qu’il ne
faudrait d’ailleurs pas confondre avec quelque surpoids.
A-t-on jamais vu dans toute l’histoire de la littérature un
seul petit gros qui ait marqué les esprits? Ah si, Sancho
Pansa! Ne manque donc plus qu’un Don Quichotte pour le
remettre à sa place. Ce qui ne devrait pas être trop
difficile tant en politique, les grands cons ne manquent
pas.
N’en déplaise aux
rhéteurs bouffis et égarés, Sarkozy, à l’instar de son clone
Clavier auquel on doit en passant le plus mauvais Napoléon
qu’il ait été donné de voir à l’écran – Daniel Gélin,
Raymond Pellegrin, Antonin Arthaud, où êtes-vous? – n’est
donc tout au plus qu’un personnage de comédie. Un
souffre-douleur que l’on aurait plaisir à éreinter.
L’idée que tout doit se
prendre par la force, se conquérir, est sans conteste sa
marque de fabrique. On y trouve l’origine de ses récentes
déconvenues conjugales. Déconvenues que Yasmina Reza – par
pudeur? par lâcheté? par compromission? par amour? –
n’aborde en aucune façon mais qui auraient pourtant mérité
qu’elle s’y arrêtât. Non par voyeurisme, que l’on me fasse
grâce de cette accusation insane, mais parce que c’est le
ressort même de son personnage; le fil qui tient la
marionnette.
Qui a lu ou vu Le
silence des agneaux se souvient forcément du moment où
Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) met Clarice Sterling
(Jodie Foster) sur la piste de Buffalo Bill – le petit
nouveau, qui sème la terreur et met le FBI en émoi. À
l’instar des biographes de Sarkozy, Foster énonce un
certain nombre de banalités qui pourraient expliquer la
voracité du sujet. Mais Hannibal les rejette comme autant de
billevesées. Pour lui, Buffalo Bill est mu par un seul et
unique moteur; un péché capital qui le caractérise, le
définit et, qui dans le même élan, le pousse à commettre
l’irréparable. Un péché que les férus de la Bible
connaissent bien puisqu’il s’agit de la bonne vieille
convoitise. Et l’épisode glorifié de la prise de Cécilia –
comme on parlerait de la prise de la Bastille – à Jacques
par Nicolas n’est rien d’autre que l’expression sordide de
cette convoitise exacerbée. Et il est à craindre que toute
la vie de Sarkozy ne se résume qu’à cela. Prendre la femme
de Jacques Martin, prendre la place de Charles Pasqua,
prendre celle de Jacques Chirac... Prendre, prendre, prendre,
mais ne jamais donner ou rendre. Mais toute médaille a son
revers et je ne serais pas étonné qu’un jour, sa montre
même refuse de lui donner l’heure.
Il en est des femmes
comme du peuple, je n’ai jamais cru pour ma part que l’on
pût les conquérir. Sauf à profiter indûment de faiblesses
passagères, ce qui manque singulièrement d’élégance. Je
n’aime pas abuser du mot, mais il me semble que la conquête
est toujours stérile à terme si l’amour en est absent. Voyez
Stendhal et sa Mathilde, rien n’y fit. La conquête n’est que
la victoire insidieuse de la raison sur le coeur. Si une
femme cède à l’usure, par une sorte de lassitude propre à la
complexion de son genre, le retour de bâton n’en sera pas
moins inéluctable. Et ce que vit Sarkozy aujourd’hui avec sa
femme, il le vivra un jour avec la France. Il suffit pour
cela de dessiller les yeux des Français.
On a beaucoup reproché,
et on avait sans doute raison, à Jacques Chardonne, Marcel
Jouhandeau, Ramon Fernandez, André Fraignau, Robert
Brasillach et Pierre Drieu La Rochelle d’avoir, au cours
d’un voyage resté fameux, été se fourvoyer au congrès des
écrivains de Weimar. Là même où un Goebbels écumant aurait
lancé à la cantonade: « Quand j’entends le mot culture, je
sors mon revolver ». Et encore n’avait-il pas connu Jack
Lang! Et si nul ne songerait à comparer les nombreux voyages
effectués par Yasmina Reza en compagnie de Nicolas Sarkozy
avec ce sulfureux précédent, il n’en demeure pas moins que
son « envoûtement » n’est pas sans me rappeler celui du
Chardonne de l’époque. Style mis à part tant la pauvre
Yasmina est surpassée et surclassée en ce domaine par le
Maître charentais. Mais faut-il parler en la matière de
simple crédulité ou y voir au contraire l’expression d’un
mal qui serait plus profond?
Grand admirateur de
Chardonne, mais sans illusion aucune sur ses opinions, il se
trouve que je possède un des rares exemplaires du Ciel de
Nieflheim, ouvrage controversé, daté de 1943, et qui ne
fut tiré qu’à quelques exemplaires. Et si l’on a beaucoup
glosé à son sujet alors que rares sont ceux qui l’ont
vraiment lu, il n’en demeure pas moins confondant de
connerie. Il n’y a pas d’autre mot même s’il me coûte de le
prononcer tant mon admiration pour ce prosateur hors-pair
est grande. Certes, « Nos écrits sont excusables à leurs
dates », mais quand même! On y voit un Chardonne louvoyant,
idolâtre et malsain qui, pas à une ineptie près, et au moyen
de ces petites touches impressionnistes faisant d’ordinaire
le charme de ses récits et qui, du coup en deviennent
d’autant plus odieuses, écrit: « Le national-socialisme
élargit la notion du sacré sans l’altérer. Ce peuple est
pénétré de religion. » Ou pire encore: « Les S.S. usent
convenablement de leur pouvoir absolu, et la population ne
s’en plaint pas, après une certaine accoutumance ». On
passera sur le facile: « Sur la question juive, le livre de
Bernard Lazare qui était juif me paraît décisif. Aucun
doute: quand Israël est roi, un pays est perdu. » Où comme
le pire des antisémites et afin d’accréditer ainsi ses
thèses répugnantes, il tronque et sort de leur contexte pour
mieux les trahir les propos de l’excellent Bernard Lazare.
Est-ce ce mot
« d’accoutumance » ou bien en est-ce l’esprit ou le ton,
cette désinvolture que l’on me reproche aussi parfois mais,
et c’est la seule chose dont je crois devoir m’excuser
auprès de Yasmina Reza, son livre me fait terriblement et
furieusement penser à celui de Chardonne. Peu enclin à
l’usage des adverbes, ces « terriblement » et
« furieusement » résonne en moi de manière d’autant plus
inquiétante.
La guerre passée,
Chardonne retournera à ses chères études et reviendra, sinon
à de meilleurs sentiments (on attend la publication de sa
correspondance avec Morand pour s’en faire une idée
précise), du moins à la littérature. Et si l’on devait
donner un seul conseil à Yasmina Reza, ce serait de se
plonger dans son oeuvre. Qui sait si, à s’y frotter, elle
n’apprendrait pas enfin à écrire.
Mais revenons à nos
moutons. On ne saurait écrire sous Sarkozy ce que Hallier
écrivait sous Giscard. Les temps ont changé et pas en bien.
Plus de jeu de massacre ou de carabine à répétition même si
dans les banlieues on tire à balle réelle. Quant aux
soufflets, ils retombent aussi vite que leurs homonymes de
pâtisserie.
Voilà pourquoi je ne
pourrais pas écrire un pamphlet contre Nicolas Sarkozy. En
lieu et place, je vous propose de partager mes cauchemars.
Cauchemars où comme dans tous les cauchemars, on retrouvera
à la fois des personnages bien réels et d’autres qui ne le
sont pas moins mais dont les noms, les visages ou
l’apparence pourront se mélanger, s’inverser, s’échanger, se
chevaucher, se télescoper, se superposer pour des raisons
que seul le subconscient serait en mesure d’expliquer.
Il y a quelques mois,
alors que je me promenais dans les rues de Seattle aux
États-Unis, j’ai cru perdre le sens de la mesure. Et je ne
parle pas de mes écrits. Devenu Gulliver l’espace d’un
instant, je voyais des nains partout. La statistique
ordinaire s’opposant à ma perception visuelle, je me suis
cru la proie d’un étrange malaise qui me faisait paraître
plus grand que je n’étais. Il me fallut un long moment pour
comprendre que la ville accueillait en fait le congrès
américain des gens de petite taille.
Je ne sais pas s’il faut
y voir un lien de cause à effet, mais c’est là que mes
délires ont commencé. Et depuis, toutes les nuits, je ne
vois pas des nains mais un nain! Toujours le même: teigneux,
prognathe, adipeux, arrogant, versatile, méchant, injuste,
cruel et démoniaque. Il gesticule, il sue, il éructe, il
accuse, il condamne, il harangue. En bref, il me fait peur.
Et pour tout dire, j’aimerais bien m’en débarrasser...
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