Mais comment est-il possible qu’il y ait autant de gaspillage
alors que le réseau manque désespérément de tout? Bien sûr, il y
a les fausses cartes soleil, les parents et amis qui n’hésitent
pas à prêter leur carte à des non-Canadiens, les maladies
contractées à l’hôpital à cause du manque d’hygiène
(Clostridium difficile), etc. Toutefois, ces causes sont en réalité les
symptômes d’un problème beaucoup plus profond, exprimé par ce
qu’il est maintenant convenu d’appeler la Loi de Gammon (Gammon’s
Law).
Le Dr Max Gammon, médecin britannique, s’était donné pour
objectif d’expliquer le dilemme suivant: dans les années
soixante, le gouvernement britannique a considérablement
augmenté le budget du système de santé. Toutefois, les services
ne se sont pas améliorés pour autant. Suite à ses recherches, le
Dr Gammon a formulé la loi suivante: « Dans une bureaucratie,
l’augmentation des dépenses sera accompagnée d’une diminution de
production » ("In a bureaucratic system, increase in expenditure
will be matched by fall in production").
Il note que la bureaucratie n’est pas concernée par ce qu’elle
produit, mais plutôt par le processus. Les bureaucraties sont
comme les organismes unicellulaires, leur seul objectif est
celui de survivre. Il y a une sorte d’entropie qui gouverne la
vie des bureaucraties. Elles deviennent de plus en plus organisées
et de moins de travail utile est accompli.
L’être
humain a un désir naturel d’évoluer et de croître. Comment
peut-on croître dans une bureaucratie? Premièrement, vous
devez vous conformer au processus en place. Deuxièmement,
vous devez gravir les échelons de la hiérarchie et augmenter
le nombre de vos subalternes. Voilà pourquoi les
bureaucraties croissent sans cesse.
La priorité donnée au processus et l’aptitude à croître
sans fin des bureaucraties sont les facteurs qui
expliquent la Loi de Gammon. Puisque ces caractéristiques sont
intrinsèques aux bureaucraties, il leur est impossible de
contourner la Loi de Gammon.
Les processus bureaucratiques caractérisent les monopoles, qu’ils soient
publics ou privés. Les monopoles créent des avantages
considérables pour ceux qui les contrôlent. Le système de santé
bénéficie à deux groupes d’intérêt en particulier: les
bureaucrates(1) pour qui le système est leur gagne-pain et la
source de leur pouvoir; les dirigeants des grandes centrales
syndicales à qui les monopoles gouvernementaux assurent un membership captif qu’ils utilisent pour se financer et
promouvoir leurs objectifs politiques.
L’Australie, l’Autriche, la Belgique, la France, la
Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark ont tous grandement
amélioré l’efficacité de leur réseau de santé en mettant fin au
monopole public et à la gratuité. Sommes-nous à ce point bornés
que nous refusons d’adopter des modèles qui ont fait leur
preuve pour en remplacer un qui ne fonctionne pas?
Les solutions aux problèmes du système de santé sont connues.
Malheureusement, l’ampleur du défi est proportionnelle à celle
du budget. Plus de 40% du budget du gouvernement
du Québec lui est consacré. Il faudrait une volonté politique
inébranlable et le goût du risque pour s’y attaquer.
Malheureusement, ces valeurs manquent douloureusement à nos
politiciens.
Je ne peux présumer des recommandations qui émaneront du groupe
de travail présidé par Claude Castonguay. Toutefois, les
Québécois devront s’opposer à toutes suggestions visant à
allouer plus d’argent au système de santé. Il ne sert à rien
d’investir des fonds additionnels dans un système devenu un
grand trou noir.
Croire que le système de santé peut demeurer un monopole d’État
et éviter les effets pervers de la « Loi de Gammon » relève de
la pensée magique. Au minimum, il faut abandonner l’exclusivité
du monopole d’État et imposer un ticket modérateur. Les
comparaisons entre établissements permettront de mieux apprécier
leur efficacité; la concurrence offrira un minimum de choix aux
utilisateurs; et les frais d’entrée, aussi minimes soient-ils,
rappelleront aux utilisateurs que les services de santé ont un
prix.
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