Montréal, 28 octobre 2007 • No 239

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

SYSTÈME DE SANTÉ: LA LOI DE GAMMON

 

par Serge Rouleau

 

          Les médias rapportent quotidiennement les ratés et les frasques du système de santé. Tout aussi régulièrement, le ministre Philippe Couillard augmente les budgets des instances régionales et locales de santé et annonce de nouveaux investissements en équipement et immeuble. En septembre 2007 seulement, le ministre a annoncé des augmentations de budget de plus de 220 millions $ et des projets d’investissement de plus de 60 millions $. Pourtant, rien n’y fait, les services se détériorent, les listes d’attente stagnent ou s’allongent et les infections nosocomiales continuent de faire des ravages.

 

          Pourquoi sommes-nous incapable de comprendre que la gestion « à la soviétique » d’un système aussi complexe que celui de la santé est vouée à l’échec?
 

Le système de santé canadien

          L’Institut Fraser, dans son étude intitulée « How Good Is Canadian Health Care? » publiée en décembre 2006, note qu’en 2003 le réseau canadien de la santé se classait deuxième au niveau des dépenses parmi 24 pays industrialisés de l'OCDE.
 

          Malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le Canada se classe également:
 

• 21e sur 24 pour la mortalité infantile;
• 16e sur 24 pour le pourcentage de la vie vécu en bonne santé;
• 14e sur 24 pour la mortalité périnatale;
• 10e sur 24 pour la mortalité due au cancer du sein;
09e sur 24 pour le nombre d’années perdues à cause de la maladie.

          Qu’ont en commun les pays offrant les meilleures performances? La plupart d’entre eux imposent notamment un ticket modérateur et réservent une place au privé.

          Les auteurs de l’étude, Michael Walker et Nadeem Esmail, concluent:
 

          The comparative evidence is that the Canadian health care model is inferior to those that are in place in other countries of the OECD. It produces inferior age-adjusted access to physicians and technology, produces longer waiting times, is less successful in preventing deaths from preventable causes, and costs more than any of the other systems that have comparable objectives. The models that produce superior results and cost less than Canada’s monopoly-insurer, monopoly-provider system have: user fees; alternative, comprehensive, privately funded care; and private hospitals that compete for patient demand. The overwhelming evidence is that, in comparative terms, Canada’s system of health care delivery under-performs and needs to emulate the more successful models available elsewhere in those countries that offer their citizens universal access to health care.

 

Le système de santé québécois

          Le Canada traîne dans le peloton de queue des pays de l’OCDE et le Québec traîne dans le peloton de queue des provinces canadiennes. Le rapport Ménard nous apprend qu’en 2002 les dépenses totales de santé en pourcentage du PIB du Québec excédaient de 0,4% la moyenne canadienne.
 

          Si le Québec obtenait le même niveau d’efficacité que la Suède ou le Danemark, cela aurait représenté des économies de plus de 2 milliards de dollars en 2002.
 

« La bureaucratie n’est pas concernée par ce qu’elle produit, mais plutôt par le processus. Les bureaucraties sont comme les organismes unicellulaires, leur seul objectif est celui de survivre. »

 

La Loi de Gammon

          Mais comment est-il possible qu’il y ait autant de gaspillage alors que le réseau manque désespérément de tout? Bien sûr, il y a les fausses cartes soleil, les parents et amis qui n’hésitent pas à prêter leur carte à des non-Canadiens, les maladies contractées à l’hôpital à cause du manque d’hygiène (Clostridium difficile), etc. Toutefois, ces causes sont en réalité les symptômes d’un problème beaucoup plus profond, exprimé par ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la Loi de Gammon (Gammon’s Law).

          Le Dr Max Gammon, médecin britannique, s’était donné pour objectif d’expliquer le dilemme suivant: dans les années soixante, le gouvernement britannique a considérablement augmenté le budget du système de santé. Toutefois, les services ne se sont pas améliorés pour autant. Suite à ses recherches, le Dr Gammon a formulé la loi suivante: « Dans une bureaucratie, l’augmentation des dépenses sera accompagnée d’une diminution de production » ("In a bureaucratic system, increase in expenditure will be matched by fall in production").

          Il note que la bureaucratie n’est pas concernée par ce qu’elle produit, mais plutôt par le processus. Les bureaucraties sont comme les organismes unicellulaires, leur seul objectif est celui de survivre. Il y a une sorte d’entropie qui gouverne la vie des bureaucraties. Elles deviennent de plus en plus organisées et de moins de travail utile est accompli.

          L’être humain a un désir naturel d’évoluer et de croître. Comment peut-on croître dans une bureaucratie? Premièrement, vous devez vous conformer au processus en place. Deuxièmement, vous devez gravir les échelons de la hiérarchie et augmenter le nombre de vos subalternes. Voilà pourquoi les bureaucraties croissent sans cesse.

          La priorité donnée au processus et l’aptitude à croître sans fin des bureaucraties sont les facteurs qui expliquent la Loi de Gammon. Puisque ces caractéristiques sont intrinsèques aux bureaucraties, il leur est impossible de contourner la Loi de Gammon.

          Les processus bureaucratiques caractérisent les monopoles, qu’ils soient publics ou privés. Les monopoles créent des avantages considérables pour ceux qui les contrôlent. Le système de santé bénéficie à deux groupes d’intérêt en particulier: les bureaucrates(1) pour qui le système est leur gagne-pain et la source de leur pouvoir; les dirigeants des grandes centrales syndicales à qui les monopoles gouvernementaux assurent un membership captif qu’ils utilisent pour se financer et promouvoir leurs objectifs politiques.
 

Un grand trou noir

          L’Australie, l’Autriche, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark ont tous grandement amélioré l’efficacité de leur réseau de santé en mettant fin au monopole public et à la gratuité. Sommes-nous à ce point bornés que nous refusons d’adopter des modèles qui ont fait leur preuve pour en remplacer un qui ne fonctionne pas?

          Les solutions aux problèmes du système de santé sont connues. Malheureusement, l’ampleur du défi est proportionnelle à celle du budget. Plus de 40% du budget du gouvernement du Québec lui est consacré. Il faudrait une volonté politique inébranlable et le goût du risque pour s’y attaquer. Malheureusement, ces valeurs manquent douloureusement à nos politiciens.

          Je ne peux présumer des recommandations qui émaneront du groupe de travail présidé par Claude Castonguay. Toutefois, les Québécois devront s’opposer à toutes suggestions visant à allouer plus d’argent au système de santé. Il ne sert à rien d’investir des fonds additionnels dans un système devenu un grand trou noir.

          Croire que le système de santé peut demeurer un monopole d’État et éviter les effets pervers de la « Loi de Gammon » relève de la pensée magique. Au minimum, il faut abandonner l’exclusivité du monopole d’État et imposer un ticket modérateur. Les comparaisons entre établissements permettront de mieux apprécier leur efficacité; la concurrence offrira un minimum de choix aux utilisateurs; et les frais d’entrée, aussi minimes soient-ils, rappelleront aux utilisateurs que les services de santé ont un prix.

 

1. Le terme bureaucrate exclut tous les professionnels et travailleurs de la santé qui sont victimes de la bureaucratie tout comme les usagers (voir « Bureaucratie et immobilisme », le QL, no 212).

 

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