Montréal, 11 novembre 2007 • No 241

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

CAMPUS BLOQUÉS

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          La réforme des universités était annoncée dans le programme du candidat Sarkozy. Qu’il cherche à tenir ses promesses est une chose bien normale et parfaitement démocratique. On ne peut pas rejeter le verdict des urnes sous le prétexte qu’il fâche une infime minorité. Pourtant, une fois élu, le président de la République avait déjà bien édulcoré le projet initial de Valérie Pécresse, notamment après avoir rencontré les principaux syndicats étudiants, dans un souci d’apaiser les esprits(1). Mais encore faut-il avoir à faire à des esprits. Depuis quand les étudiants gèrent-ils l’université? Les étudiants sont-ils les mieux placés pour savoir ce qui est bien pour l’université, et finalement pour eux? Vont-ils bientôt décider eux-mêmes des contenus des cours et des notes qu’ils mettront à leurs propres copies?

 

          Comme beaucoup d’enfants gâtés, certains étudiants veulent toujours moins d’évaluation, moins de sélection, pas de redoublement, plus de droits: autant de sirènes démagogiques auprès desquelles des adultes responsables ne doivent pas succomber. Les parents vont-ils demander à leurs enfants comment il convient de les éduquer? Être à l’écoute (des jeunes) n’est pas être aux ordres (des jeunes). Bien sûr, ces étudiants vont me rétorquer qu’ils sont majeurs. Sans doute! Mais ils sont tout de même à la charge de la « collectivité nationale » tandis qu’un bon nombre d'entre eux vivent encore chez leurs parents. Tant que les contribuables leur financeront des études, ils devront rendre compte. C’est un devoir moral avant d’être une contrainte comptable.

          Les pouvoirs publics ont tout de même rencontré les syndicats étudiants, faisant toutes les concessions demandées. Il s’agissait de rassurer les syndicats en vue d’acheter la paix sociale. Finalement, le projet d’autonomie a tellement été amendé que l’autonomie des universités françaises est renvoyée aux calendes grecques. Par contre, on a quand même les blocus. C’est bien la preuve que le dialogue social « à la française » ne fonctionne pas, mais qu’il a lieu de plus au mépris des urnes et des électeurs. Dans le fond, ce « dialogue » de sourd est révélateur de dérèglements plus profonds et plus inquiétants.

          Premièrement, il est cocasse qu’en France certains étudiants n’aient toujours pas compris que seuls les travailleurs sont en mesure de déclarer et faire une grève dans la mesure où ils ont un travail. Quand les cheminots font grève, cela bloque le pays. Mais quand des étudiants s’arrêtent d’étudier, personne ne s’en aperçoit, surtout s’ils se sont engouffrés dans des formations qui ne correspondent à aucune demande sociale. Dans ces cas-là, l’intelligence et la modestie commandent de faire profil bas.

          On peut nuancer ce propos en considérant que les étudiants ont en réalité un « métier »: c’est celui consistant à étudier. En ce sens ce sont au minimum des « pré-travailleurs » ou de futurs travailleurs en train de constituer et forger leur stock de capital humain. Les enseignants ont pour métier d'enseigner. Les premiers sont donc « de passage » à l'université tandis que les seconds y accomplissent leur vie professionnelle. Seuls donc les seconds devraient être admis à participer à la mise au point d'une réforme universitaire, quelle qu'elle soit! Comment les étudiants peuvent-ils raisonnablement participer à la réforme d'une institution dans laquelle nombre d'entre eux ne passent que 2 à 5 ans en moyenne?

          En tous cas, un étudiant n’est pas encore un travailleur, et il ne le sera jamais s’il ne se donne pas la peine de choisir des filières d’enseignement supérieur qui lui apporteront une réelle qualification. Les étudiants les plus virulents sont inscrits dans des filières qui n’offrent aucune perspective de débouchés. Autrement dit, la collectivité se paie le luxe d’entretenir des individus dont l’utilité ne saute plus aux yeux (et c’est un doux euphémisme) alors qu’elle n’en a plus les moyens.

          Deuxièmement, partout dans le monde (civilisé), l’autonomie des universités est l’expression et la garantie de la liberté de l’enseignement supérieur et la condition du progrès des sciences et des connaissances; mais c’est une liberté dans la responsabilité, celle-là même qui effraie nos anarchistes assistés. On ne peut plus développer en France des formations parking qui condamnent les étudiants au chômage aux frais du contribuable: on plume ainsi les parents pour duper les enfants! Les universités sont libres de proposer les formations qu’elles désirent du moment que ces formations s’autofinancent. Et elles s’autofinanceront dans la mesure où les bénéficiaires directs de ces formations universitaires – les étudiants, les fondations, les collectivités locales et les entreprises – seront disposés à en assumer le coût.
 

« Les universités sont libres de proposer les formations qu’elles désirent du moment que ces formations s’autofinancent. Et elles s’autofinanceront dans la mesure où les bénéficiaires directs de ces formations universitaires seront disposés à en assumer le coût. »


          Ces derniers seront d’autant plus disposés à en assumer le coût qu’ils considéreront que ces formations constituent un investissement pour eux, c’est-à-dire qu’elles apportent une réelle qualification, donc un emploi et une perspective de carrière pour l’étudiant, des compétences et des perspectives de résultats pour l’entreprise ou la collectivité.

          Enfin, nous payons le prix de la démagogie et de la démission en bloc des adultes fascinés par un jeunisme qui est un aspect de la rectitude politique ambiante (et qui conduit certains parents à être littéralement aux ordres de leurs enfants). Dans un passé encore récent, seule une minorité avait accès à l’université, ce qui n’était guère démocratique, il faut en convenir. Mais cette minorité éclairée remplissait les filières académiques qui faisaient la fierté de nos universités car c’est bien dans ces filières que se transmettaient, depuis des lustres, les savoirs les plus fondamentaux.

          Aujourd’hui, le financement des études est pris en charge par le contribuable et les universités sont ouvertes à tous tandis que plus de 80% des élèves de terminal obtiennent le baccalauréat. Or les filières académiques (en sciences physiques, sciences naturelles, droit et sciences économiques) se vident; elles ne survivent que parce que nous « importons » des cerveaux de l'étranger (principalement en provenance des pays d’Asie et de l’Afrique) tandis que se multiplient des formations alibis pour accueillir ces bacheliers d’un nouveau type, qui fuient les savoirs fondamentaux jugés difficiles.

          Et c’est parce que nous nous sommes trop facilement laissés aller sur cette pente de la facilité immédiate que les universités françaises sont en train de sombrer dans les abysses de tous les classements internationaux.

          Le drame qui se joue à l’université française est représentatif de ce qui se produit au niveau national lui-même. Les autorités légitimes qui assurent normalement le gouvernement de l’université (les différents conseils centraux, dont le conseil d’administration) sont court-circuitées, le président de l’université se retrouve à entériner les décisions prises dans des assemblées générales aussi illégales qu’illégitimes. On ne sait pas qui assiste à ces assemblées (aucun contrôle d’identité) et les votes sont réalisés à main levée. Mais les institutions déraillent quand les adultes n’assument plus leurs responsabilités.

          Il en est de même au niveau du pays. La démocratie est normalement la loi de la majorité. Pour qu’une majorité se dégage, les différents candidats entrent en campagne et confrontent leurs projets. Puis le peuple tranche et le nouveau gouvernement doit alors se mettre au travail. Évidemment, il y aura toujours une minorité mécontente. Mais voilà que cette minorité fait plier le gouvernement, prenant en otage la rue pour bloquer des réformes.

          Quand la gauche accède au pouvoir dans ce pays, elle parvient à faire voter et appliquer les lois les plus délirantes, qui nous conduisent aujourd’hui à une situation de quasi-banqueroute. Et lorsqu’un gouvernement de droite, presque gêné d’avoir remporté les élections, tente de mettre en oeuvre des réformes pour redresser la situation, il s’en trouve empêché par des syndicats extrémistes et provocateurs, qui sont les acteurs d’un coup d’État permanent, révélant ainsi le plus grand mépris qu’ils manifestent pour le jeu normal de nos institutions.

 

1. Le président Sarkozy avait rencontré les dirigeants de l’UNEF avant l’été, dans un élan d’ouverture, notamment en faisant toutes les concessions demandées par l’UNEF, ce qui revenait à vider de sa substance le projet initial de réformes des universités. Aujourd’hui, l’UNEF appelle à l’extension du conflit. Ainsi, ce syndicat ne respecte même pas sa propre parole, cherchant à récupérer un conflit manipulé et orchestré par l’extrême-gauche la plus radicale.