Il faut donc rompre en effet avec la comédie tronquée du « dialogue
social » consacrée par les accords de Grenelle en mai 68. Mais
l’histoire officielle a tendance à sacraliser ces accords pour en
faire une référence incontournable, ce qui a conduit un président
élu par une majorité de droite à baptiser la conférence sur
l’environnement « Grenelle de l’environnement » au moment où le
Parti socialiste explose et où tous les partis qui se définissaient
comme antilibéraux sont laminés.
Malgré le verdict
indiscutable des urnes, le vrai pouvoir échappe au nouveau
gouvernement.
L’histoire officielle, dans une amnésie suspecte, aura occulté la
partie essentielle de la pièce qui s’est jouée en ce printemps de 68(1).
Elle oublie notamment de rappeler que, malgré la signature des
accords de Grenelle, la grève continua, les syndicats estimant que
ce n’était pas suffisant. Dans leurs perspectives révolutionnaires
et anarchistes, aucune concession obtenue dans le cadre de
l’économie de marché ne pouvait être suffisante. Quelques jours plus
tard, un million de Français excédés descendent les Champs Elysées
et en appellent au Général de Gaulle. Ce dernier dissoudra
l’Assemblée nationale pour provoquer des élections législatives en
juin 1968 qui voient le triomphe du Parti gaulliste.
Le moins que l’on puisse
dire, c’est que la légitimité des fameux accords signés rue de
Grenelle était entachée dès ses origines. La récréation était
terminée parce qu’il y avait l’homme de la situation. Mais la brèche
était ouverte. Les leaders de mai 68 avaient pénétré le monde de
l’éducation et des médias, manipulant les appareils et les esprits,
ce qui allaient leur permettre de réécrire histoire à travers des
manuels scolaires et des organes de presse outrageusement orientés.
Ce qu’il y a de tragique
dans cette affaire, c’est que les accords de Grenelle ont consacré
une pratique du dialogue social qui court-circuite les institutions
démocratiques, ce qui est fondamentalement anticonstitutionnel. Dans
les pays démocratiques, la discussion avec le peuple se produit au
moment des campagnes électorales. À l’issue des campagnes, les
électeurs votent; et le nouveau gouvernement passe à l’action sur la
base des programmes annoncés.
On ne peut pas discuter à
l’infini, surtout avec des individus qui ne respectent aucunement
les principes de l’État de droit et dont l’objectif est le désordre
comme une finalité en soi. Depuis 1968, quel que soit le
gouvernement qui sera désormais élu dans notre pays, il devra
valider sa copie devant des « partenaires sociaux » qui n’ont
pourtant aucune légitimité, mais qui s’appuient sur un chantage et
la menace de recourir à la rue et à la violence. Voilà ce qui a été
consacré à Grenelle et voilà ce qu’il faut maintenant dénoncer si
l’on veut sortir de cette impasse. Comment peut-on rendre hommage à
cette date qui rentrera dans l’histoire comme le début de la spirale
infernale d’endettement de l’État français dont la seule issue est
la faillite?
Depuis cette date, les
politiques économiques sont orientées dans un seul et même sens:
baisse autoritaire du temps de travail, accroissement du SMIG devenu
SMIC, conventions collectives imposées qui ne tiennent aucunement
compte de la réalité du fonctionnement du marché du travail au
risque d’aboutir à un chômage structurel qu’aucune mesure
conjoncturelle ne pourra réduire, et enfin culte proprement aveugle
de la politique de relance de la demande dont les fondements
théoriques sont pourtant totalement dépassés aujourd’hui.
Toute politique
économique jugée par ces partenaires sociaux incompatible avec le
modèle social français sera immédiatement caricaturée, affublée de
l’étiquette « ultralibérale » pour mieux être disqualifiée et
écartée. Pour notre malheur, cette attitude grotesque et immature a
conduit la France à être absente d’un mouvement de prospérité sans
précédent qui a profité au monde entier, ou du moins aux pays plus
ouverts qui ont fait les réformes adaptées. Et c’est aussi cette
direction prise qui mine de l’intérieur toute la pérennité de notre
système social, et notamment l’équilibre de notre système de
retraite.
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