Excellent article! J’ai beaucoup aimé
certains passages même si je ne suis pas un
expert en économie. Pour une fois j’ai
senti, dans un texte sur l’économie, une
vision de l’économie mondiale en tant que
constructions très élaborées et parfois
fragiles d’habitudes, d’institutions, de
conventions qui sont des stratégies apparues
historiquement parfois pour des raisons qui
paraissent aujourd’hui absurdes et
inadaptées, mais qui fonctionnent et ont
apporté satisfaction à leurs utilisateurs au
moment de leur invention/adoption.
Cette vision me fait
penser à une machine assez complexe, une
accumulation et empilement graduel de
stratégies les unes sur les autres, une
machine qui pourrait s’arrêter de
fonctionner de façon catastrophique si l’un
ou l’autre de ses mécanismes ou tuyaux
d’alimentation venait à faire défaut.
Cela me fait penser
encore à une vision d’un écosystème dont
l’équilibre général parfois précaire peut
être bouleversé de façon catastrophique par
le mauvais fonctionnement de l’une ou
l’autre de ses nombreuses relations
fonctionnelles.
Est-ce que ce point de
vue pourrait, selon vous, rapprocher
l’économie de l’écologie et de la biologie
dans leur méthode et leur objectif de
compréhension scientifique du fonctionnement
d’un écosystème ou organisme complexe? Une
telle étude de l’économie contemporaine
rejoindrait peut-être dans son principe et
son orientation les études anthropologiques
d’historiens comme
Jared Diamond lorsqu’il étudie les
économies primitives et les relations des
humains à leur environnement, et le principe
de l’écologie culturelle.
Bien à vous,
N. Chausseau
Bonjour,
En simplifiant, il y a
deux visions de l’économie: l’une qui se
veut l’apanage des spécialistes reconnus ou
bien par leurs titres ou bien par leur
popularité, l’autre, qui, au contraire,
cherche la plus grande diffusion possible de
la « chose » économique.
L’« embourgeoisement » de l’économie n’est
pas nécessairement voulu par les premiers,
mais s’établit malgré eux dès lors qu’ils
accordent plus d’importance à une méthode de
travail qu’à la tentative d’expliquer les
enjeux de l’économie. Je fais allusion ici
essentiellement à l’usage abusif des
mathématiques pour la décrire.
Pour l’École autrichienne
d’économie, celle-ci non seulement n’a nul
besoin des mathématiques pour décrire son
objet de recherche, mais il s’agit d’une
erreur de méthode d’en faire usage, car cet
objet, l’action humaine, ne s’y prête pas.
En un mot, l’étude de l’économie est l’étude
de l’action humaine qui vise un but. On ne
décrit pas l’action humaine avec une logique
mathématique, mais plutôt avec une logique
verbale (prédécesseur de la logique
mathématique).
Les gens apprennent à
parler avant d’apprendre des symboles
mathématiques, ce qui implique que
l’économie est plus proche du peuple, plus
facile à comprendre lorsqu’elle est
présentée sans symboles et formules
mathématiques. Toutefois, l’économie
présentée par l’École autrichienne ne
cherche pas la facilité (relative) pour la
facilité. Elle utilise la méthode verbale,
car celle-ci décrit mieux l’action humaine
que ne le peuvent les mathématiques. L’homme
n’est pas un être vivant inanimé, il possède
la faculté de penser que les autres êtres
vivants, ou disons la plupart d’entre eux,
n’ont pas. Traduire mathématiquement
l’interdépendance de l’esprit et de l’action
d’une part et d’autre part,
l’interdépendance des gens entre eux est une
chose pratiquement impossible, à moins
d’établir des hypothèses tirées par les
cheveux.
Il s’ensuit qu’on ne peut
comparer l’étude de l’économie (l’action
humaine) à l’étude de la biologie, si ce
n’est pour dire que les deux sont complexes.
L’usage des mathématiques dans les sciences
de la nature, notamment la physique, est
utile car l’objet étudié est ou bien
inanimé, ou bien animé mais dépourvu de
volonté. Dans ces « mondes », les choses se
répètent plus exactement qu’en économie.
Votre allusion à la biologie est valide dans
mesure où il existe également une
interdépendance entre les hommes, mais on
doit se rappeler que chaque individu réagit
différemment à un même phénomène. De sorte
que la répétition qu’on retrouve dans les
phénomènes relatés par les sciences pures ne
se retrouve pas en économie.
En somme, pour
l’économiste autrichien, il faut toujours
aller au-delà des chiffres et des moyennes
statistiques pour revenir à l’individu. Une
science n'en est pas une du seul fait
d'utiliser des mathématiques, encore faut-il
que celles-ci servent à bien décrire un
phénomène.
En étudiant l’économie du
point de vue autrichien, on est conduit à
étudier l’histoire, la politique, le droit
et l’éthique, soit des sciences de l’action
humaine qui se recoupent beaucoup. L’idée
d’établir des rapprochements avec les autres
sciences, notamment les sciences « pures »,
m’apparaît remplie de dangers.
Au plaisir,
A. D.
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