Montréal, 25 novembre 2007 • No 243

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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LES RETOMBÉES DE L'ÉTHANOL

 

Re.: ÉTHANOL: CE QU'ON VOIT ET CE QU'ON NE VOIT PAS, le QL, no 241

 

          L'utilisation d'un alcool d'origine végétal a été utilisé en grand par la Wehrmacht, dont les avions et blindés ne pouvaient plus être approvisionnés en dérivés du pétrole, celui-ci provenant essentiellement du Moyen-Orient par des voies maritimes tenues par les Britanniques. Les Allemands tiraient le méthanol de la distillation du bois.

          Quarante ans plus tard, le Brésil, pour réduire sa « facture pétrolière » a transformé les jacinthes d'eau qui prolifèrent sur les grands fleuves du pays en alcool qui a été mélangé à l'essence dans une proportion de l'ordre de 20%.

          Dans ces deux cas, la production de carburant d'origine végétale n'avait pas d'incidence sur l'agriculture.

          Fut une époque où, en Union européenne, après que celle-ci ait imposé de laisser en friche des superficies importantes, on avait proposé d'ensemencer ces dernières en topinambours. Il s'agit de tubercules qui se multiplient rapidement, dès l'instant où quelques-uns ont été enfouis dans le sol, pour peu que celui-ci et le climat conviennent (ce qui n'est pas le cas en Afrique subsaharienne où la latérite, une chaleur et une humidité excessive permettent à la plante de faire des feuilles mais seulement de minuscules tubercules inutilisables). Là encore, il n'était pas question de concurrencer l'agriculture à finalité alimentaire puisque, quoique comestible, le topinambour est peu prisé et que les superficies qui lui auraient été consacrées étaient, par décision administrative, laissées en friche.

 

          Lorsque des céréales, tel le maïs, sont détournées de leur finalité historique pour être transformées en carburant, leur marché est gravement perturbé. De surcroît, cette initiative intervient alors que la demande à des fins alimentaires humaine ou animale est elle-même croissante. S'ensuit une hausse affolante des cours et, par conséquent, des prix des denrées offertes à la consommation qui résultent directement de la transformation du maïs (pain, pop-corn, etc.) ou de la viande d'animaux nourris au maïs (porcs, volailles, etc.).

          Le retour à une séparation des marchés par l'emploi exclusif de plantes non-alimentaires ou peu appétées (jacinthes d'eau, topinambours) ou de déchets forestiers pour la production d'alcool à usage de carburant est indispensable. À défaut, les peuples aux revenus les plus minces vont connaître plus encore que par le passé les affres de la faim. Dans les pays industriels avancés, les couches les plus modestes de la populations encourent le même risque.

          Peut-être que les personnes qui souhaitent voir diminuer la population humaine globale en tireront satisfaction, pour peu qu'elles se bouchent soigneusement les yeux et les oreilles...

Claude Garrier

Réponse d'Yvon Dionne

          Au Québec, nous avons déjà produit du sucre à partir de la betterave. Ce n'était pas rentable. On peut certes produire à la maison de l'éthanol à partir du sucre à moindre coût que ce qui est vendu par la SAQ, mais comme carburant automobile même au Brésil (dont l'éthanol est produit à partir de la canne à sucre) cette production serait inexistante sans une réglementation gouvernementale. Aux États-Unis, la production d'éthanol serait inexistante sans le lobby subventionné des producteurs de maïs (en Iowa) et sans le lobby des écolos. Pour ce qui est du méthanol, si mes connaissances sont exactes, il était produit en Allemagne à partir du charbon en grande partie et ce n'est pas un bon carburant, en particulier pour les blindés qui fonctionnent au diesel! De plus, la production en Allemagne « bénéficierait » d'une main-d'oeuvre composée d'esclaves...

          La compagnie Mercedes-Benz, avant la guerre, avait développé un prototype de voiture de course pouvant atteindre une grande vitesse, dont le moteur était un moteur transformé de Messerschmitt, fonctionnant avec un mélange de méthanol, d'éthanol, d'acétone, etc. Mais le méthanol est très corrosif... Ce prototype est maintenant dans un musée. Tant mieux pour la recherche. De nouvelles technologies seront probablement développées. Mieux vaut investir dans la recherche que de gaspiller dans des productions qui s'avèrent néfastes pour l'économie. Pour l'instant, le distillé de pétrole que nous mettons pour faire le plein est encore le carburant le moins coûteux, et il le serait encore moins si ce n'était des taxes et du recyclage des pétrodollars par des pays producteurs menés par des oligarques et des terroristes.

Au plaisir,
Y. D.
 

 

L'ÉCONOMIE MONDIALE EN TANT QUE CONSTRUCTION

 

          Excellent article! J’ai beaucoup aimé certains passages même si je ne suis pas un expert en économie. Pour une fois j’ai senti, dans un texte sur l’économie, une vision de l’économie mondiale en tant que constructions très élaborées et parfois fragiles d’habitudes, d’institutions, de conventions qui sont des stratégies apparues historiquement parfois pour des raisons qui paraissent aujourd’hui absurdes et inadaptées, mais qui fonctionnent et ont apporté satisfaction à leurs utilisateurs au moment de leur invention/adoption.

          Cette vision me fait penser à une machine assez complexe, une accumulation et empilement graduel de stratégies les unes sur les autres, une machine qui pourrait s’arrêter de fonctionner de façon catastrophique si l’un ou l’autre de ses mécanismes ou tuyaux d’alimentation venait à faire défaut.

          Cela me fait penser encore à une vision d’un écosystème dont l’équilibre général parfois précaire peut être bouleversé de façon catastrophique par le mauvais fonctionnement de l’une ou l’autre de ses nombreuses relations fonctionnelles.

          Est-ce que ce point de vue pourrait, selon vous, rapprocher l’économie de l’écologie et de la biologie dans leur méthode et leur objectif de compréhension scientifique du fonctionnement d’un écosystème ou organisme complexe? Une telle étude de l’économie contemporaine rejoindrait peut-être dans son principe et son orientation les études anthropologiques d’historiens comme Jared Diamond lorsqu’il étudie les économies primitives et les relations des humains à leur environnement, et le principe de l’écologie culturelle.

Bien à vous,
N. Chausseau
 

Réponse d'André Dorais

Bonjour,

          En simplifiant, il y a deux visions de l’économie: l’une qui se veut l’apanage des spécialistes reconnus ou bien par leurs titres ou bien par leur popularité, l’autre, qui, au contraire, cherche la plus grande diffusion possible de la « chose » économique. L’« embourgeoisement » de l’économie n’est pas nécessairement voulu par les premiers, mais s’établit malgré eux dès lors qu’ils accordent plus d’importance à une méthode de travail qu’à la tentative d’expliquer les enjeux de l’économie. Je fais allusion ici essentiellement à l’usage abusif des mathématiques pour la décrire.

          Pour l’École autrichienne d’économie, celle-ci non seulement n’a nul besoin des mathématiques pour décrire son objet de recherche, mais il s’agit d’une erreur de méthode d’en faire usage, car cet objet, l’action humaine, ne s’y prête pas. En un mot, l’étude de l’économie est l’étude de l’action humaine qui vise un but. On ne décrit pas l’action humaine avec une logique mathématique, mais plutôt avec une logique verbale (prédécesseur de la logique mathématique).

          Les gens apprennent à parler avant d’apprendre des symboles mathématiques, ce qui implique que l’économie est plus proche du peuple, plus facile à comprendre lorsqu’elle est présentée sans symboles et formules mathématiques. Toutefois, l’économie présentée par l’École autrichienne ne cherche pas la facilité (relative) pour la facilité. Elle utilise la méthode verbale, car celle-ci décrit mieux l’action humaine que ne le peuvent les mathématiques. L’homme n’est pas un être vivant inanimé, il possède la faculté de penser que les autres êtres vivants, ou disons la plupart d’entre eux, n’ont pas. Traduire mathématiquement l’interdépendance de l’esprit et de l’action d’une part et d’autre part, l’interdépendance des gens entre eux est une chose pratiquement impossible, à moins d’établir des hypothèses tirées par les cheveux.

          Il s’ensuit qu’on ne peut comparer l’étude de l’économie (l’action humaine) à l’étude de la biologie, si ce n’est pour dire que les deux sont complexes. L’usage des mathématiques dans les sciences de la nature, notamment la physique, est utile car l’objet étudié est ou bien inanimé, ou bien animé mais dépourvu de volonté. Dans ces « mondes », les choses se répètent plus exactement qu’en économie. Votre allusion à la biologie est valide dans mesure où il existe également une interdépendance entre les hommes, mais on doit se rappeler que chaque individu réagit différemment à un même phénomène. De sorte que la répétition qu’on retrouve dans les phénomènes relatés par les sciences pures ne se retrouve pas en économie.

          En somme, pour l’économiste autrichien, il faut toujours aller au-delà des chiffres et des moyennes statistiques pour revenir à l’individu. Une science n'en est pas une du seul fait d'utiliser des mathématiques, encore faut-il que celles-ci servent à bien décrire un phénomène.

          En étudiant l’économie du point de vue autrichien, on est conduit à étudier l’histoire, la politique, le droit et l’éthique, soit des sciences de l’action humaine qui se recoupent beaucoup. L’idée d’établir des rapprochements avec les autres sciences, notamment les sciences « pures », m’apparaît remplie de dangers.

Au plaisir,
A. D.
 

 

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