Montréal, 13 janvier 2008 • No 248

 

OPINION

 

Jules Bourque habite en Belgique.

 
 

LE BON DIEU ET L'ÉTAT-PROVIDENCE:
UNE HISTOIRE DE SUPPLÉANCE

 

par Jules Bourque

 

          Autrefois, à la suite d'une catastrophe ou d'une injustice, l'individu se tournait d'abord vers le clergé et son Dieu, mais maintenant il se tourne en premier lieu vers monsieur le ministre et son gouvernement.

 

          Autrefois, après un crime, on invoquait la justice divine, si ce n'est le Dieu des armées, mais maintenant l'homme invoque la police et les tribunaux. Faisons donc la petite histoire de ce remplacement, de cette suppléance inédite et encore trop peu connue.
 

Une histoire occidentale

          Il s'agit, disons-le, d'une histoire occidentale, et d'abord européenne: à mesure que le Dieu chrétien agonisait, et que l'Église périclitait, l'État se fortifiait. Ainsi, lentement mais sûrement, les ministres remplacèrent les évêques, et les députés les curés.

          Au lieu de prier et de jeûner, l'homme moderne se mit à remplir frénétiquement des formulaires de subventions et d'exemptions, et les permis remplacèrent lentement les traditionnelles bénédictions.

          En cessant de demander de l'aide à Dieu, l'homme se mit à en demander à l'État, qui devint finalement la nouvelle Providence. Ses fonctionnaires devinrent donc le nouveau clergé, les nouveaux directeurs de conscience, et l'abolition de la dîme, en 1789, faisait qu'on pouvait finalement – et surtout plus facilement – maintenir et même augmenter les impôts.

          En désapprenant leur catéchisme, les enfants se mirent à apprendre l'obéissance civile et les lois récemment votées au Parlement. Ils oublièrent d'aller se confesser auprès des prêtres, pour mieux le faire auprès de leurs instituteurs agnostiques et sceptiques.

          Les guerres entre religions, entre Églises, furent abandonnées au profit des guerres entre États et nations, sans toutefois que le goût du meurtre et de la rapine change pour autant. L'Histoire a quand même ses constantes!

          Mais la République devait finir par prendre la place de l'Église et de la chrétienté, sauf que cette République devait aussi, pour se faire aimer, ou simplement se maintenir, jouer la Providence et faire le bon Dieu, sinon gare à elle!

          Car les Français entretenaient quand même une certaine nostalgie, ou plutôt une nostalgie certaine; un besoin poignant résidait toujours, inaltérable, en leurs âmes et consciences: le besoin d'une puissance supérieure, d'un Être à adorer. Le socialisme en a d'ailleurs fait son fond de commerce.

          Cet Être suprême, c'est aujourd'hui l'État-providence, qui vaut bien le veau d'or des Hébreux. Car il s'agit bien d'un succédané, d'une divinité de remplacement.

          Cette histoire est de celles que personne n'ose raconter aux enfants, ni même à leurs parents. Il faut dire que c'est une histoire quelque peu honteuse et scandaleuse. Comme si Dieu avait été kidnappé, ou à tout le moins travesti et détourné… sauf que c'est plutôt le contraire qui est arrivé: c'est l'État qui s'amuse maintenant à jouer le bon Dieu qui sait tout et peut tout. Une bien mauvaise tragicomédie! Hélas, et malgré tous les ratés de ce spectacle, il semble impossible de se faire rembourser…