Autrefois, après un crime, on invoquait la justice divine,
si ce n'est le Dieu des armées, mais maintenant l'homme
invoque la police et les tribunaux. Faisons donc la petite
histoire de ce remplacement, de cette suppléance inédite et
encore trop peu connue.
Il
s'agit, disons-le, d'une histoire occidentale, et d'abord
européenne: à mesure que le Dieu chrétien agonisait, et que
l'Église périclitait, l'État se fortifiait. Ainsi, lentement
mais sûrement, les ministres remplacèrent les évêques, et
les députés les curés.
Au lieu de prier et de
jeûner, l'homme moderne se mit à remplir frénétiquement des
formulaires de subventions et d'exemptions, et les permis
remplacèrent lentement les traditionnelles bénédictions.
En cessant de demander de l'aide à Dieu, l'homme se mit à en
demander à l'État, qui devint finalement la nouvelle
Providence. Ses fonctionnaires devinrent donc le nouveau
clergé, les nouveaux directeurs de conscience, et
l'abolition de la dîme, en 1789, faisait qu'on pouvait
finalement – et surtout plus facilement – maintenir et même
augmenter les impôts.
En désapprenant leur
catéchisme, les enfants se mirent à apprendre l'obéissance
civile et les lois récemment votées au Parlement. Ils
oublièrent d'aller se confesser auprès des prêtres, pour
mieux le faire auprès de leurs instituteurs agnostiques et
sceptiques.
Les guerres entre
religions, entre Églises, furent abandonnées au profit des
guerres entre États et nations, sans toutefois que le goût
du meurtre et de la rapine change pour autant. L'Histoire a
quand même ses constantes!
Mais la République devait
finir par prendre la place de l'Église et de la chrétienté,
sauf que cette République devait aussi, pour se faire aimer,
ou simplement se maintenir, jouer la Providence et faire le
bon Dieu, sinon gare à elle!
Car les Français
entretenaient quand même une certaine nostalgie, ou plutôt
une nostalgie certaine; un besoin poignant résidait
toujours, inaltérable, en leurs âmes et consciences: le
besoin d'une puissance supérieure, d'un Être à adorer. Le
socialisme en a d'ailleurs fait son fond de commerce.
Cet Être suprême, c'est
aujourd'hui l'État-providence, qui vaut bien le veau d'or
des Hébreux. Car il s'agit bien d'un succédané, d'une
divinité de remplacement.
Cette histoire est de
celles que personne n'ose raconter aux enfants, ni même à
leurs parents. Il faut dire que c'est une histoire quelque
peu honteuse et scandaleuse. Comme si Dieu avait été
kidnappé, ou à tout le moins travesti et détourné… sauf que
c'est plutôt le contraire qui est arrivé: c'est l'État qui
s'amuse maintenant à jouer le bon Dieu qui sait tout et peut
tout. Une bien mauvaise tragicomédie! Hélas, et malgré tous
les ratés de ce spectacle, il semble impossible de se faire
rembourser…
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