Montréal, 13 janvier 2008 • No 248

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

SARKOZY EN VOIE DE TRAHIR
L'ESPOIR DES FRANÇAIS

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          Durant la campagne électorale présidentielle, les Français se sont trouvés devant deux programmes clairs: poursuivre la voie de la collectivisation de l’économie en optant pour les socialistes au pouvoir; ou provoquer enfin une rupture de cette tendance qui nous conduit immanquablement à la faillite de l’État, et donc de toute la société française, considérant l’implication envahissante de l’État dans tous les domaines de la vie sociale. Les Français se sont clairement prononcés pour la rupture en votant pour Nicolas Sarkozy, eux qui vivent au quotidien les effets désastreux en termes de destruction du tissu économique et de paupérisation de plus de trente années de socialisation des moyens de production.

 

          Le programme politique qui a permis à Nicolas Sarkozy de conquérir le pouvoir était clair et a suscité un formidable espoir parmi les Français. L’action gouvernementale l’est beaucoup moins. Au nom d’une ouverture nulle part attendue, le nouveau pouvoir a remis en place les mammouths du PS, comme s’ils n’avaient pas fait assez de dégâts durant les années 1980, en conduisant la politique de François Mitterrand à contre-courant de tout ce qui se passait dans les pays développés et les pays en émergence.

          Le gouvernement se paie même le luxe d’emprunter des points du programme de Ségolène Royal sous prétexte que le PS est moribond. Mais les Français ont justement écarté un tel programme. On ne demande pas à l’équipe au pouvoir de réaliser le programme de l’opposition ou de chercher à déstabiliser les partis d’opposition; on lui demande de sauver notre pays d’une faillite certaine à force de persister dans nos préjugés et dans notre aveuglement, dans notre refus de ne pas voir le monde tel qu’il évolue.

          Ainsi, on veut croire encore qu’il suffit de relancer la consommation pour sauver l’emploi et l’on feint ensuite de s’étonner de nos déficits commerciaux. Les Français consomment comme jamais, mais ils ne savent plus fabriquer ce qu’ils consomment.
 

La lubie de la relance de la consommation

          Je me suis rendu samedi dernier, juste après les fêtes, au centre commercial d’Auchan par curiosité. Je voulais voir s’il y avait une panne de consommation car, à force d’entendre nos experts et nos gouvernants, on a l’impression que les clients désertent les grandes surfaces. J’ai tout de suite été frappé par ce monde en furie, en proie à une frénésie de consommation aussi vorace qu’insatiable. Comment pouvait-on encore avoir autant d’argent à dépenser juste après les fêtes? Je savais par expérience que j’observerai le même spectacle à Carrefour ou dans les autres centres commerciaux. Et à regarder ces visages qui s’agglutinaient dans les rayons ou en file d’attente derrière les caisses, je subodorais que je n’avais pas là en face de moi un échantillon de la France d’en haut. Et dire que demander à des étudiants d’acheter leurs propres livres ou de payer des frais spécifiques d’inscription provoquent la révolte des parents…

          Il m’est revenu en souvenir Sergeï, un étudiant ukrainien que j’avais connu à l’occasion de mes missions d’enseignements à Kiev et Simféropol en Crimée, un an après l’indépendance de l’Ukraine. Sergeï était mon guide-interprète après les cours et il s’était montré très intéressé pour suivre des études en management du tourisme à l’Université de Perpignan, ce que je lui permis de faire dans le cadre d’un programme d’échange européen. Comme il m’avait fait visiter sa région lors de mon séjour, je me suis proposé de lui montrer les merveilleux paysages de la Catalogne. Mais il me confia immédiatement: « j’ai aussi de jolis paysages dans mon pays; par contre, je voudrais visiter un centre commercial… chez nous, c’est de la science-fiction… ». Je n’oublierais jamais son regard ébahi quand je l’ai conduis au centre commercial: j’avais l’impression qu’il contemplait la chapelle Sixtine. Il est vrai qu’il n’avait connu que les magasins d’État de l’Ukraine soviétisée désespérément vides et gris.

          Le problème de notre pays n’a jamais été un problème d’insuffisance de la consommation(1). Les études les plus documentées de macro dynamique ont depuis longtemps souligné que l’économie française souffre d’une sous-capitalisation structurelle – elle-même liée à une insuffisance chronique de l’investissement productif – lui empêchant d’atteindre les rythmes de croissance nécessaires à une baisse réellement significative du chômage.

          Nous vivons tellement dans la consommation que nous ne le voyons plus. Nous avons même tendance à surconsommer par rapport à nos capacités de création, de travail, d’innovation et de production. Les achats de consoles de jeux et autres matériels informatiques ont battu des records à l’occasion des festivités de Noël. Ce ne sont pas forcément des produits aux prix les plus accessibles. Mais ce sont en tout cas des secteurs dans lesquels nous sommes fragilisés aussi bien en tant que concepteurs que producteurs. D’ailleurs, on a tendance à oublier l’origine chrétienne de la fête de Noël pour ne retenir que sa dimension commerciale, qui est une aubaine pour l’industrie du jouet. Si les ménages français consomment quantité de produits qu’ils ne sont plus en mesure de penser, concevoir et fabriquer, il n’est guère étonnant qu’il faille compter sur le président de la République pour vendre des « jouets » aux dictateurs de ce monde. Car, dans le domaine de l’industrie de l’armement, nous sommes particulièrement bien positionnés. On voit cependant que la spécialisation internationale trop étroite de notre économie conduit notre président – et nos institutions – à sortir de son rôle, s’improvisant VRP aux services de quelques grands groupes industriels proches du pouvoir.

          Le président de la République n’a pas à faire des affaires sous le prétexte qu’il donne du travail aux ouvriers de l’industrie de l’armement. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de fabriquer des consoles de jeux, des dessins animés, des voitures, des jouets ou de valoriser les milliers de produits de notre patrimoine dans les meilleures conditions de qualité et de compétitivité, sans avoir besoin de l’Élysée pour nous trouver des clients et des marchés? Il y a d’ailleurs un paradoxe cruel à voir les acteurs économiques se tourner vers l’État pour quémander des aides et autres protections alors que c’est sans doute l’État lui-même qui est à l’origine de la dégradation des conditions de compétitivité, notamment par l’accroissement des charges et des contraintes réglementaires qui pèsent sur les créateurs de richesse.
 

« La gauche veut la croissance économique sans les inégalités, le revenu sans le travail, les meilleurs services publics accessibles gratuitement à tous, la valorisation sans la sélection, le résultat sans l’effort, les droits sans les devoirs, le pouvoir d’achat sans la volonté de créer, d’innover et de produire. »


          Il faut bien reconnaitre aussi que les ménages les plus modestes ne sont pas non plus les derniers à sacrifier à ce rituel de la surconsommation de masse, ayant tendance à dilapider plutôt rapidement un revenu issu de la redistribution plutôt que de la production. Et un revenu que l’on vous donne sans contrepartie apparait toujours insuffisant par rapport aux besoins infinis qu’il donne à entrevoir. C’est parce que notre pays s’est enfermé dans cette logique qui le conduit à surconsommer des produits et services qu’il n’est plus en mesure d’offrir lui-même qu’il ne pourra maintenir son rang de puissance économique. Finalement, la France se retrouve dans la situation des années 1970 où toute politique de relance de la consommation nourrissait l’excédent commercial de l’Allemagne, stimulant l’économie allemande alors que l’on s’enfonçait dans la stagflation sur fond de dévaluation du franc.
 

Le casse-tête des RTT

          Et comment être compétitif si l’on ne travaille pas? L’économie est comme le sport: un sportif qui veut être compétitif se doit de s’entraîner. La quantité et la qualité du travail sont intimement liées. Certes Mozart avait un don, mais c’était une raison supplémentaire pour travailler durement, pour ne pas gaspiller ce don du ciel, ce que le père de Mozart avait bien compris. On commence à atteindre une expérience qui devient un savoir-faire difficile à imiter après des années de travail, à condition que ces années elles-mêmes soient bien utilisées. À force de réduire la durée du travail sur la semaine comme sur toute une vie, en rentrant de plus en plus tard dans la population active et en en sortant toujours plus tôt, nous perdons de considérables effets d’expérience, ce qui se traduit par une perte structurelle de compétitivité.

          Pendant ce temps, Roselyne Bachelot se propose de résoudre rapidement l’imbroglio des RTT, notamment dans le secteur hospitalier où la régulation administrative de l’offre médicale a contribué à la désorganisation générale du secteur sous le prétexte de le protéger des forces prétendument déstabilisatrices du marché. Autrement dit, un gouvernement de droite se retrouve dans la situation de devoir trouver une solution à un problème créé par un gouvernement de gauche. Car n’oublions jamais la paternité de la RTT que l’on doit à Martine Aubry, et à laquelle Dominique Strauss-Kahn – que certains n’hésitent pas à qualifier comme le meilleur économiste de France (encore un!) – n’est pas totalement étranger. A-t-on jamais vu la gauche se soucier de résoudre les problèmes posés par la droite? Non, pour la raison simple que, pour la gauche, les problèmes énoncés par la droite ne sauraient être pertinents. C’est ce qui explique d’une manière générale que la gauche au pouvoir n’a jamais ressenti le besoin de faire une ouverture à droite, alors qu’on mesure aujourd’hui le génie de Nicolas Sarkozy à sa capacité à remettre en selle Attali, Lang ou Rocard. Pour ma part, cette ouverture est moins un signe de victoire de la droite qu’un aveu implicite de faiblesse.

          Souhaitons donc bien du courage au ministre de la Santé car le casse-tête des RTT est proprement insoluble dans la mesure où les idées de gauche, généralement inspirées par l’immédiateté démagogique et la volonté farouche de prendre le pouvoir à n’importe quel prix, n’ont pas de solutions concrètes puisqu’elles se réfèrent à un monde idéal qui n’a jamais existé dans les faits. En effet, la gauche veut la croissance économique sans les inégalités, le revenu sans le travail, les meilleurs services publics accessibles gratuitement à tous, la valorisation sans la sélection, le résultat sans l’effort, les droits sans les devoirs, le pouvoir d’achat sans la volonté de créer, d’innover et de produire.

          Une droite courageuse – et réellement décomplexée – doit clairement affirmer qu’elle n’a pas à résoudre les problèmes nés des aspirations contradictoires et insolubles de la gauche. C’est encore faire une politique de gauche que de vouloir résoudre les problèmes posés par la gauche. Il faut carrément abolir les 35 heures et redonner la liberté aux acteurs du marché du travail – comme cela avait été annoncé pendant la campagne électorale – plutôt que de se fourvoyer à nouveau dans une nouvelle complexité technocratique dont la France a le secret (que personne ne nous envie). De ce point de vue, je me suis réjoui de l’annonce du président de la République à ce sujet à l’occasion de sa première conférence de presse. La gauche a poussé ses habituels cris d’indignation (ce qui était bon signe à mes oreilles ravies)… et le président s’est alors rétracté.

          Ce n’est pas la peine d’ironiser sur la faiblesse de l’opposition quand cette opposition parvient à faire reculer un gouvernement clairement élu sur pratiquement tous les dossiers de réformes.

          C’est à l’occasion du contrat de travail volontairement négocié par des employeurs et des salariés libres de nouer des relations contractuelles que seront fixés les paramètres clés qui décideront de l’embauche, notamment le salaire et le temps consacré au travail. Et c’est précisément cette liberté contractuelle que nient les conventions collectives et que refusent les partenaires sociaux. Pourtant, les paramètres fondamentaux du contrat de travail ne peuvent ni être figés une fois pour toutes dans une loi, ni être les mêmes pour tous.
 

La victoire de Bové

          Enfin, José Bové peut terminer sa grève de la faim, judicieusement commencée après les fêtes, il a été entendu. Là encore, durant sa campagne, le candidat Sarkozy avait promis qu’il n'imposerait plus aucun moratoire qui nous condamnerait à un recul scientifique et technologique proprement suicidaire. Avec Attali comme conseiller pour les questions économiques, Rocard pour l’enseignement, voilà Bové intronisé conseiller sur les questions scientifiques et technologiques. Avec une telle armada d’experts, la faillite annoncée n’est pas loin.

          Car quel est le sens de l’interdiction des OGM en France?

          Imaginons-nous un instant à l’époque où Edison dépose le brevet de l’ampoule électrique. À ce moment, les Anglais et les Allemands sont particulièrement en avance sur les applications industrielles et commerciales de l’électricité alors même que les scientifiques n’ont pas une connaissance précise et affirmée du phénomène en cause. Certains voient donc dans l’électricité un « miracle », tandis que ses détracteurs en font l’incarnation du mal absolu.

          Mais la connaissance théorique progresse souvent grâce aux applications. Imaginons que la France ait mis en place à ce moment une haute autorité, pétrie de principe de précaution et de bons sentiments, et surtout puissamment influencée par le lobby des fabricants de chandelles. Celle-ci recommande d’interdire le brevet de l’ampoule électrique en France, ce que s’empresse de promulguer le président de la République. Il s’agit en effet de protéger les activités traditionnelles qui font vivre tant de familles et font tout le charme du terroir national tout en sauvegardant les emplois de ces milliers d’ouvriers qui allument et éteignent chaque jour les rues des grandes villes françaises. Vous rendez-vous compte que ce diable d’Edison se propose de mettre au point un procédé par lequel il suffit d’appuyer sur un interrupteur pour éclairer tout Paris et ses plus beaux monuments. Quelle catastrophe pour l’emploi national!

          D’autant que les rapports officiels stigmatisent les nombreux accidents qui peuvent survenir dans les foyers à vouloir diffuser une technologie comme l’électricité que nous connaissons si peu. N’a-t-on pas vu un père de famille s’électrocuter en voulant changer une maudite ampoule qui avait grillé? Voyez comme cette technologie n’est ni fiable ni sûre… Alors que tous les autres pays augmentent l’effort de R&D après avoir pris conscience du potentiel économique de l’électricité, la France s’isole dans un moratoire...

          Avec le recul, cette fable peut prêter à sourire. C’est pourtant cette posture que nous adoptons en ce moment même adoptant des moratoires insensés sur les OGM ou les nanotechnologies au nom d’une vision proprement délirante du principe de précaution.

          Encore une fois, cette sagesse affichée n’est que du protectionnisme déguisé, sur fond de montée de l’obscurantisme, qui renvoie aux calendes grecques la rupture espérée.

 

1. Pour une analyse plus détaillée, voir mon article « On ne peut pas espérer s'enrichir en consommant », Réforme no 3246, 8-14 novembre 2007, Paris, p. 15.

 

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