François Furet écrivait dans L’atelier de
l’histoire:
L’État d’Israël nous propose
l’exemple d’une nation improbable
d’immigrants tardifs, fuyant, deux à
trois siècles après les
dissenters anglais, la
malédiction européenne pour peupler
une Terre promise, revêtue de la
bénédiction divine. En ce sens, il
présente à l’historien français un
problème comparable à celui des
États-Unis: un modèle de
construction nationale et un type de
société contradictoires avec ceux
dont il a la familiarité, puisque
fondés sur le choix récent de ses
artisans, à partir d’une religion,
d’une idéologie ou simplement du
malheur, sans qu’il y ait d’ailleurs
incompatibilité entre ces raisons
d’inventer. Mais le fait israélien
constitue un sujet d’étonnement et
de réflexion plus profond encore que
le surgissement américain, dans la
mesure où il mêle une croyance
infiniment plus ancienne et un
projet historique beaucoup plus
récent… |
Les Français devraient méditer sur les «
refondations » modernes, car le débat sur la
nécessaire réforme de la société française
tourne autour de ce thème, celui du retour à
une Terre promise. En effet, bien que les
Français se refusent à l’avouer, la France
est devenue pour eux une Terre promise, un
pays dont ils s’estiment dépossédés, un
idéal à ressusciter. Dans leur majorité
n’éprouvent-ils pas la nostalgie lancinante
d’un paradis perdu où ne coulaient peut-être
pas le lait et le miel, mais où il faisait
bon vivre? Ils rêvent de le retrouver tel
qu’en leur souvenir ou telle qu’en survit la
légende chez les vieilles gens. Ils savent
cependant que leur retour sera d’autant plus
difficile qu’ils sont restés sur place. Non,
jurent-ils, ils n’ont pas voulu ça: ni la
présence arrogante d’étrangers qui imposent
leurs lois ni le joug d’une administration
cynique et avide.
Néanmoins conscients de
leur responsabilité dans l’avenue de leur
malheur, ils ont naïvement voté pour un
« libérateur », comme si le simple jeu des
chaises musicales du système politique avait
pouvoir de changer profondément leur destin.
L’Élu, un ex-ministre de l’Intérieur (tiens,
comme en Russie on a choisi un flic), avait
pourtant un jour promu la « tolérance zéro »
comme la priorité des priorités
(automobiles). Cette profession de foi en
l’intolérance, il la partageait d’ailleurs
avec les fameuses banlieues au sein
desquelles il ne parvenait pas à instaurer
l’état de droit. Il faut convenir qu’il est
nettement plus facile et plus lucratif de
verbaliser les contribuables sur fond
d’hypocrisie consensuelle.
Le citoyen ordinaire vit
aujourd’hui comme un nouveau persécuté
auquel l’État applique la maxime de Sun Tzu
(in l’Art de la Guerre) au sujet des
ennemis: « tue les en détail » (= ne leur
laisse nul répit). Il faut néanmoins
rappeler que le même Tzu conseillait: « À un
ennemi encerclé vous devez laisser une voie
de sortie » ou « s’ils manquent de tout,
prévenez leur désespoir » car « si, réduits
au désespoir, ils viennent pour vaincre ou
pour périr, évitez leur rencontre ». Une
telle sagesse politique n’est pas de mise en
France où aucune échappatoire n’est ouverte,
aucun oxygène libéré et où l’intransigeance
piétine les libertés privées des citoyens
isolés et humiliés. Ce sont les
circonstances choisies pour évoquer en haut
lieu la nécessité d’« un nouveau projet de
civilisation », rien de moins, mais en haut
lieu on n’hésite pas à manier le concept à
pleines mains. Même pas drôle.
Il ne faut donc pas
s’étonner si le moral des Français est au
plus bas depuis 12 ans. Ils ne croient ni à
la reprise économique, ni à l’amélioration
de leur pouvoir d’achat (cf. Le Figaro
Economie du 30 janvier). Ils ont préféré
l’égalité à la liberté et ne peuvent
désormais guère qu’envier leurs voisins du
fond de leur étouffoir.
Le « Pauvre France » de
Fabri ne fait plus rire. À la vitesse de
l’Histoire, l’impensable est en train de se
produire. Une vieille et glorieuse nation va
disparaître. Non sans une longue et
douloureuse agonie.
Daniel Jagodzinski
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