Montréal, 17 février 2008 • No 253

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

CROISSANCE ÉCONOMIQUE:
IL EST TEMPS D'AGIR

 

par Serge Rouleau

 

          Le niveau de vie des Québécois est considérablement en retard par rapport à celui de leurs partenaires économiques. Le PIB du Québec se situe au 54e rang des 60 entités économiques nord-américaines avec lesquelles le Québec échange plus de 80 % de ses biens et services.

 

          Heureusement, depuis la publication du manifeste des « lucides » à l’automne 2006, l’opinion publique évolue rapidement. Il est maintenant possible de discuter de croissance économique sans être accusé de « suppôt de Satan ». Les politiciens ont senti que le vent tourne. Ils font l’apologie de la croissance économique. Toutefois, le plus difficile reste à faire. Il faut les convaincre de la nécessité de faire reculer l’interventionnisme étatique pour libérer les forces créatives et entrepreneuriales des Québécois. Ce mouvement va à l’encontre de la nature profonde du politicien.
 

Pourquoi notre niveau de vie est-il aussi bas?

          Selon une étude de Claude Séguin, l’important retard du Québec (de l'ordre de 6 300 $ par habitant) découle principalement de l’écart des heures travaillées (2 500 $), des taux d’emploi et d’activité plus faibles (1 400 $) et de la piètre productivité des Québécois (2 400 $).
 

(Source: CPQ)


L’écart des heures travaillées et le taux d’emploi

          De nombreux facteurs contribuent à réduire le nombre d’heures travaillées et le taux d’emploi des Québécois. Les principaux sont le régime fiscal et l’étatisme.

          Un régime fiscal trop progressif rend peu attrayant les gains marginaux (le dernier dollar gagné) des travailleurs. Dans certains cas, le taux marginal d’imposition peut excéder 100%. Le budget de mai 2007, en relevant les seuils d’imposition, permet aux Québécois de la classe moyenne de prospérer davantage sans être soumis aussi rapidement qu’avant aux taux d’imposition les plus lourds. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que le Québec puisse prétendre avoir un régime représentant une prime au travail.

          De plus, des compensations généreuses et faciles d’accès favorisent le chômage, allongent les convalescences et motivent les retraites anticipées.
 

(Source: CIRPÉE, « Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec »,
Jean-Yves Duclos, Bernard Fortin, Andrée-Anne Fournier, Août/August 2006)

          L’étatisme est aussi un facteur important qui contribue à réduire le nombre d’heures de travail des Québécois. Selon l’ENAP, en 2005, l’effectif public total de tous les niveaux de gouvernement excédait 700 000 travailleurs. Cela représente près de 30% de l’ensemble des travailleurs québécois. Les conditions de travail des fonctionnaires sont généralement plus généreuses que celles des autres travailleurs. Plus de congés, plus de vacance et une semaine de travail réduite se traduisent nécessairement en un nombre d’heures travaillées moindre. Le nombre réduit d’heures travaillées par les fonctionnaires tire vers le bas la moyenne québécoise.
 

L’écart de productivité

          La productivité du travail est exprimée en PIB réel par heure travaillée. Elle mesure la valeur de ce qui est produit pour chaque heure travaillée. Donc, l’augmentation de la productivité découle de l’utilisation d’outils modernes, de l’organisation du travail et de l’habilité des travailleurs. Il ne s’agit donc pas de travailler plus, mais de travailler « mieux ». Selon le Centre d’étude des niveaux de vie, la productivité de l’ensemble des industries au Québec s’élève à 35,44 $ contre 39,14 $ en Ontario. La moyenne canadienne, à 37,54 $, est seulement au 16e rang des pays de l’OCDE!

          La productivité est un élément clé de la compétitivité d’une économie. Plus le niveau de productivité est élevé, plus la production par ressource utilisée est grande. Le Québec est en retard sur ses partenaires. Le Québec accuse un retard de productivité de 26,7% pour chaque heure travaillée par rapport aux Américains et 5,9% par rapport aux Ontariens.

          La montée continue du dollar canadien par rapport à la devise américaine accentue la problématique de la productivité.
 

(Source: CPQ)

          Plusieurs facteurs contribuent à la piètre productivité des Québécois. Les principaux sont les investissements en outils et machinerie et l’organisation du travail.
 

Productivité et investissements

          Les entreprises qui investissent au Québec considèrent un ensemble de facteurs: la fiscalité, l’aide fiscale (ou les subventions), la réglementation, les lois du travail, le niveau de syndicalisation, les services d’utilité publique, les infrastructures, etc.
 

« Les deux principaux facteurs qui nuisent à l’organisation du travail dans les entreprises québécoises sont: la règlementation du marché du travail et la syndicalisation des travailleurs. »


          L’indice de liberté économique (economic freedom) de l’Institut Fraser mesure l’attractivité du Québec pour les entrepreneurs et les investisseurs. En 2006, le Québec se classait 59e sur 60. Pire, dans une étude de CAI Global 1, datant de 2006, 52% des répondants estimaient que le Québec était moins compétitif pour l’attraction d’investissement direct étranger qu’il y a 10 ans. Le Québec recule par rapport à ses principaux partenaires économiques.
 

Productivité et organisation du travail

          L’organisation du travail permet d’optimiser la productivité des travailleurs. Les deux principaux facteurs qui nuisent à l’organisation du travail dans les entreprises québécoises sont la règlementation du marché du travail et la syndicalisation des travailleurs.

          Selon un rapport de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), le Québec devance de loin les autres provinces pour ce qui est du nombre de pages de règlements produites annuellement entre 1990 et 1999, avec une moyenne de plus de 5 000 pages par année contre moins de 1 600 pages en Ontario et en Alberta.

          Les conséquences d’une réglementation du marché du travail toujours plus volumineuse et souvent anachronique sont particulièrement néfastes dans l’industrie de la construction. Elle entraîne des coûts plus élevés qu’ailleurs. Le manque de polyvalence dans les métiers de la construction et dans les métiers réglementés hors construction impose aux entrepreneurs un nombre de travailleurs plus élevé que nécessaire.

          Le Québec est reconnu en Amérique du Nord comme l’endroit où il coûte le plus cher de construire une usine. Pourtant, on se serait attendu au contraire. Normalement, un niveau de vie moindre réduit les coûts de production.

          De plus, le marché du travail québécois est le plus syndicalisé en Amérique du Nord. Le taux de syndicalisation est d’un peu moins de 40% par rapport à moins de 30% au Canada et moins de 12% aux États-Unis.

          Il est urgent de revoir les lois du travail pour les adapter aux réalités d’une économie mondialisée. Le droit de grève dans les monopoles d’État, les demandes d’accréditation syndicale non sanctionnée par un vote secret, la formule Rand, le dogme intouchable de l’ancienneté, etc., sont des droits qui appartiennent à une autre époque.

          Comme d’habitude, l’opinion publique évolue plus rapidement que le législateur. Par exemple, 79% des Québécois pensent que le vote au scrutin secret devrait être obligatoire pour faire une demande d’accréditation syndicale.
 

(Source: Sondage du CPQ)

 

Tourner le dos à l’interventionnisme

          Il ne fait aucun doute que le Québec doit agir pour accroître sa productivité et sa richesse. Depuis cinq ans, l’augmentation de la richesse des Québécois stagne à 2% par année. Au cours de la même période les Canadiens et les Américains se sont enrichis au rythme de 2,7% et 2,9% respectivement. En 2006, le niveau de vie se chiffrait à 33 966 $ au Québec. Il s’élevait à 41 117 $ en Ontario et à 45 247 $ aux États-Unis. Entre 1982 et 2006, le niveau de vie des Québécois, comparé à celui des principaux pays de l’OCDE, est passé du 12e au 17e rang alors que celui des Irlandais passait du 24e au 4e rang.

          Comment expliquer la contre-performance de l’économie québécoise face au miracle Irlandais? C’est simple, pendant que les Québécois se complaisaient dans l’immobilisme engendré par l’État-fait-tout, les Irlandais tournaient le dos à l’interventionnisme étatique.