D’après
The Economist (16 février 2007), la Chine, la Russie et
le Mexique pourraient être des candidats à une politique de
relance keynésienne. Le Chine connaissait un solde
budgétaire de -0.6% en 2006, contre +6.4% pour la Russie et
+1.7% pour le Mexique. Néanmoins, ces pays devraient sans
doute se préoccuper davantage de leur situation
inflationniste que de relance.
Si aucun pays riches ne
semblent candidat à une politique keynésienne telle que
proposée par le directeur du FMI, tournons-nous vers les
candidats les plus évidents, les pays producteurs de
pétrole. Ils connaissent un surplus budgétaire. Pourquoi,
dans ces conditions, ne dépensent-ils pas plus et
n’importent-ils pas plus pour relancer la croissance
mondiale? C’est ce qu’ils font à l’heure actuelle, ils ont
accrus leur dépenses, le solde courant de leur balance des
paiements est passé de 21% du PIB en 2006 à environ 17% en
2007, alors que le prix du pétrole reste à des niveaux très
élevés.
Dans les pays du Golfe (GCC)(3),
les investissements s’élèveront à environ $800 milliards au
cours des cinq prochaines années. Ce qui est nouveau dans
leur cas est qu’ils investissent de plus en plus leurs
revenus dans leur pays au lieu de les placer uniquement en
bons du trésor américains, comme c’était le cas dans les
années 1970 et 1980.
Néanmoins dans la mesure
où les pays exportateurs de pétrole avaient des surplus
budgétaires s’élevant à 12% du PIB en 2006 et 10% en 2007,
il semble qu’il y ait possibilité de réduire ces surplus.
Oui et non. Prenons par exemple les Émirats Arabes Unis,
leur surplus budgétaire s’élevait à 29% du PIB en 2006 et
2007. Le FMI a toutefois introduit le concept de solde non
pétrolier (« non-oil fiscal deficit ») pour
déterminer le solde que le pays aurait s’il n’avait pas de
pétrole. Cela revient à considérer les revenus pétroliers
comme des revenus exceptionnels (ce qu’ils sont) et à
estimer le solde budgétaire sans les revenus du pétrole ni
les dépenses dues au pétrole. Dans ce cas, le solde
budgétaire sans le pétrole s’élevait à -15% du PIB en 2006.
Les pays du Golfe ont
tous une monnaie liée au dollar, qui donc se déprécie avec
le dollar (alors qu’ils ont une balance des comptes courants
largement positive, voir figure 1) et ils connaissent une
inflation croissante, avec des taux d’intérêt faibles. Les
fortes entrées de devises combinées à un taux de change fixe
par rapport au dollar se traduisent par un accroissement de
liquidité, ce qui est un facteur inflationniste.
Théoriquement, les pays pétroliers devraient se libérer du
carcan du taux de change fixe avec le dollar et ne pas
réduire leur surplus budgétaire pour diminuer la surchauffe
interne.
On est donc dans une
situation contradictoire selon l’endroit où l’on se place:
si on considère les pays du Golfe comme ayant une
responsabilité au niveau de l’équilibre mondial, alors en
effet on peut plaider pour une politique de relance; mais si
on regarde la situation au niveau national, alors tous ces
pays connaissent une surchauffe qui se traduit par une
poussée inflationniste et les instruments normaux
d’intervention restent la réduction de la croissance
monétaire, donc un taux de change flottant, des taux
d’intérêt qui ne sont pas liés à ceux des États-Unis et une
politique budgétaire plus rigoureuse! Pourquoi? Parce
qu’avoir une politique budgétaire expansionniste pour ces
pays équivaudrait à avoir une politique pro-cyclique. Avoir
un taux de change plus souple pourrait contribuer à réduire
le surplus de leur balance des paiements. M. Strauss-Kahn
pense à une politique anticyclique au niveau mondial, alors
que ces pays pensent à une politique anticyclique au niveau
national.
Le stimulus budgétaire doit
être « temporaire » |
D’après M. Strauss-Kahn, les politiques fiscales
expansionnistes doivent « bien sûr » être temporaires.
Cependant on constate que les politiques budgétaires
expansionnistes sont rarement temporaires, elles ont plutôt
tendance à devenir permanentes. Premièrement, les
gouvernements tendent à mener des politiques pro-cycliques,
c’est à dire à ne pas réduire les dépenses publiques durant
les périodes de croissance. Dans un pays comme la France par
exemple, il est impossible de supprimer les avantages
acquis. Quand un président veut les réduire, il y a des
manifestations dans la rue de la part des groupes protégés
et les réformes sont annulées. Deuxièmement, comme les
recettes n’arrivent pas à suivre le rythme des dépenses, le
déficit est permanent. C’est la raison pour laquelle la
France avait une dette publique qui s’élevait à 72% du PIB à
la fin 2007.
Être keynésien,
aujourd’hui c’est oublier qu’à l’époque de Keynes, les
dépenses publiques étaient limitées à 20-25% du PIB, alors
qu’aujourd’hui elles atteignent le double. La politique
keynésienne a contribué à accroitre d’une manière excessive
le poids du secteur public (qui n’est pas limité à l’État,
mais aux institutions décentralisées qui sont nombreuses en
France, et à la sécurité sociale dont le budget est
supérieur à celui de l’État). La politique keynésienne
rampante a si bien réussi qu’elle n’est plus possible.
Figure 2
Dépenses publiques en pourcentage du PIB en France |
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Source: OCDE |
Pourquoi devrait-on chercher à accroitre encore plus les
dépenses des administrations publiques de pays comme
l’Allemagne (44% du PIB), les Pays-Bas (46%), le Royaume-Uni
(45%), et la France (53%)? Cela ne peut que contribuer à un
effet d’éviction du secteur privé et est à l’origine de l’« Eurosclérose ».
Enfin, la relation entre
un déficit budgétaire permanent et la croissance économique
semble pour le moins douteuse. Si elle existait, la France
et le Japon auraient la croissance la plus forte du monde,
alors qu’ils ont la plus faible. Une politique budgétaire
keynésienne entraine une croissance permanente des dépenses
publiques, ce qui entraine une croissance des prélèvements
obligatoires, qui ont eux-mêmes pour effet d’étouffer la
croissance.
En fait étant donné le
poids des dépenses publiques dans l’économie des pays
riches, la relation est inverse: la réduction des dépenses
publiques contribue à un cercle vertueux de croissance,
donnant un signal fort au secteur privé que les charges qui
pèsent sur les entreprises vont diminuer. Au lieu d’une
recherche systématique du déficit, les autorités financières
françaises devraient rechercher l’équilibre budgétaire par
une réduction des dépenses publiques liée aux réformes
structurelles, ce qui pousserait la croissance économique,
et l’emploi (comme le recommandait le rapport Pebereau).
Cette expérience de retranchement budgétaire a été appliquée
au Canada, en Allemagne, en Suède et au Danemark avec
succès. Elle a montré qu’elle entraînait un cercle vertueux
de compétitivité accrue (ce dont a besoin la France), une
croissance plus forte et des finances publiques plus saines.
Maintenir un ajustement budgétaire permettrait d’accroitre
la crédibilité érodée du gouvernement dans ses réformes et
rétablirait la confiance du secteur privé, qui verrait une
volonté réelle de l’État d’abaisser les charges du pays.
Il n’y a pas de solutions
faciles à la crise qui va venir. Si la cause est financière
et a commencé aux États-Unis, elle doit être traitée d’abord
à ce niveau. Les États-Unis doivent remettre de l’ordre dans
leurs finances et leur politique monétaire, et Wall Street
pourrait limiter ses « innovations » financières sources de
profit suivis de pertes désastreuses. Les États-uniens
pourraient commencer à épargner. Les pays pétroliers et la
Chine devraient s’orienter résolument vers un taux de change
flottant qui permettrait à leurs monnaies de s’apprécier en
fonction de leur surplus de leur balance des paiements.
Peut-être la France
pourrait-elle commencer à procéder à une politique soutenue
et ordonnée de réformes micro-économiques (ce qui n’a rien à
voir avec la facilité des politiques keynésiennes). Les
rapports Attali et Camdessus paraissent à cet égard fort
utiles. Il n’y a pas de solutions magiques et facile à la
crise, ni à la langueur française. La croissance ne se fera
pas par des déficits, mais par des réformes de structure qui
portent sur l’offre. Malheureusement, plutôt que de faire
face aux vrais problèmes, on préfère nous faire croire
qu’une politique de facilité (la relance par un
accroissement des dépenses publiques) va résoudre le
problème français et le problème mondial. Le keynésianisme a
décidément la vie dure!
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