Montréal, 15 mars 2008 • No 254

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

LES DÉFAILLANCES DE MARCHÉ ET LES EXTERNALITÉS NE JUSTIFIENT PAS L'INTERVENTION DE L'ÉTAT

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          L'évolution la plus récente de la théorie économique vise à réhabiliter l'interventionnisme de l'État en se cachant derrière une pseudoscience totalement mathématisée – afin d'éteindre toute contestation possible – qui met en scène les défaillances du marché. La théorie des défaillances du marché repose sur deux types d'arguments: les imperfections du marché d'un côté et l'existence des externalités de l'autre côté.

 

          Ces deux arguments sont basés sur des confusions volontaires qui discréditent toute la portée de l'argumentation même si elle prend l'apparence de la démonstration mathématique. Ils sont pourtant devenus les arguments convenus de ces socialistes qui se résignent en apparence à l'économie de marché tout en considérant qu'elle ne peut fonctionner sans la béquille d'un État dont la nature régulatrice ne saurait être mise en doute.

          Premièrement, ce qu'on désigne généralement par « imperfection du marché » n'est pas une imperfection du marché mais constitue tout simplement l'imperfection de l'action humaine elle-même. L'action humaine étant basée sur l'apprentissage et la découverte, elle est toujours perfectible, ce que résume l'adage populaire « l'erreur est humaine ». Ainsi, les imperfections qui frappent les décisions décentralisées des agents économiques vont aussi caractériser les décisions centralisées des organisations planifiées comme l'État et ses administrations. Dans les deux cas, que ce soient des fonctionnaires ou des actionnaires, ce sont toujours des hommes qui prennent des décisions. Mais les imperfections inhérentes aux choix publics prendront de l'ampleur au fur et à mesure que le décideur s'éloignera du champ d'application de ses décisions.

          De ce point de vue, on ne voit pas comment l'État peut corriger les imperfections contenues dans les choix économiques. Cette capacité à corriger est tout simplement postulée dans les hypothèses des modèles mais jamais démontrée. J'ai déjà par ailleurs longuement discuté dans d'autres articles de la question de l'asymétrie d'information qui constitue un exemple d'imperfection. Or la présence d'asymétrie d'information dans les choix humains est probablement ce qui rend le marché irremplaçable si on admet le principe hayékien selon lequel la concurrence constitue un processus de découverte. Ainsi, le marché permet la comparaison, autrement dit l'émergence de nouvelles informations permettant aux individus de compenser – sinon corriger – l'asymétrie de départ.

          Un planificateur central n'échappe jamais à l'asymétrie d'information qu'il prétend corriger puisqu'il prendra ses décisions à partir des informations que la base veut bien lui rendre accessibles. Ainsi, l'État ne dispose jamais de la bonne information mais il ne le sait pas. Dans cette perspective, on peut même considérer que le marché est un moindre mal, les imperfections inhérentes à la décision humaine se compensant au niveau microéconomique lorsqu'on autorise une liberté d'action des acteurs de l'économie.
 

« Prétendre que l'action de l'État permet de corriger les externalités générées par le marché, c'est postuler encore une fois que cette intervention étatique ne génère pas elle-même d'externalités. Par quel miracle? On ne saurait le dire. »


          Deuxièmement, l'invocation des « externalités » frise l'escroquerie intellectuelle dans la mesure où, dans les sociétés humaines, tout est pratiquement générateur d'externalités. Si je suis en bonne santé, je peux aller travailler alors j'en appelle à la collectivité pour financer ma santé. Mais si je fais des enfants et que je les éduque bien, il y aura plus tard de la main-d'oeuvre, ce qui est utile à la collectivité; et j'en appelle à cette collectivité pour subventionner ma paternité ou réclamer des allocations parentales de toutes sortes. À ce rythme-là, je peux tout me faire subventionner car on peut toujours invoquer une externalité positive, c'est-à-dire un résultat de ma décision privée qui profite à autrui. En effet, si je suis heureux et épanoui, je ne vais pas agresser mon prochain et serai pleinement productif dans mon travail. Il appartient donc à la collectivité de s'occuper de mon bonheur… On parle là des externalités positives mais l'existence des externalités négatives permet de justifier la réglementation des comportements, et notamment la multiplication des interdictions dans la mesure où mes décisions privées provoquent aussi des effets qui nuisent à autrui.

          Il ne s'agit pas de remettre en cause l'existence des externalités, même si leur mesure exacte pose de sérieux problèmes, ce qui limite grandement l'opérationnalité de ce type de théorie. Mais il faut bien être conscient que l'existence d'externalités n'est pas là encore un phénomène spécifique au marché. On peut même avancer que l'existence du marché est liée à l'exploitation de ce phénomène, la compétition étant par exemple une externalité positive issue de la division du travail. De plus, prétendre que l'action de l'État permet de corriger les externalités générées par le marché, c'est postuler encore une fois que cette intervention étatique ne génère pas elle-même d'externalités. Par quel miracle? On ne saurait le dire.

          L'action de l'État implique un financement public et la mise en place d'une technocratie qui entraînent un accroissement de la pression fiscale, laquelle déclenche toute une série d'externalités négatives (évasion fiscale, corruption, développement de l'économie parallèle, modification des mentalités, effet d'éviction…). Comment savoir si la somme de ces externalités négatives n'est pas plus coûteuse et plus grave que le problème initial qui a motivé et justifié l'intervention de l'État?

          Dans la pratique, on observe que, dans un nombre croissant de domaines, on réintroduit peu à peu des mécanismes de marché pour compenser les défaillances accumulées par la gestion publique, en opposition flagrante au dogme officiel qui postule qu'il convient de faire appel à l'État pour corriger les défaillances du marché.