Parmi toutes les objections auxquelles
le Dr Matas s’attaque, la peur qu’on
exploite les pauvres est sans doute
celle qui constitue le principal
obstacle pour la plupart des gens. Les
pauvres seraient évidemment plus
susceptibles de vendre leurs reins, mais
peut-on vraiment parler d’un cas
d’exploitation lorsque l’individu
possède toute l’information pour prendre
une décision éclairée? Il explique que:
Nous n’empêchons pas les pauvres
d’accepter des emplois risqués
dont les riches ne voudraient
pas (par exemple, comme mineurs,
pompiers, policiers ou soldats)
et dans tous les autres domaines
de notre société, nous leur
permettons de prendre des
décisions de façon autonome.
Lorsqu’il s’agit de la vente de
reins cependant, « en violation
surprenante avec nos notions
habituelles concernant la
liberté individuelle, nous
interdisons à des adultes
d’entrer librement dans une
relation contractuelle de
laquelle les deux parties
s’attendent à tirer des
bénéfices, et sans que personne
d’autre ne subisse de tort
apparent ». En empêchant les
pauvres de vendre un de leurs
reins, on les condamne à rester
pauvres et on leur enlève une
occasion d’améliorer leur vie.
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Le Dr Matas souligne que c’est dans le
contexte d’un marché noir non réglementé
que les pauvres subissent vraiment une
exploitation et qu’il n’existe aucun
argument valable pour s’opposer à la
mise en place d’un marché légal,
réglementé, avec des mesures de
protection adéquates. Un marché légal
remplacerait d’ailleurs le marché noir
dangereux.
R. R. Kishore, le
fondateur de l’Indian Society for Health
Laws and Ethics, utilise un argument
similaire dans un texte publié en 2005
dans le Journal of Medical Ethics,
« Human
organs, scarcities, and sale: morality
revisited ». Selon lui,
« l’interdiction de la vente d’organes a
empiré le sort des pauvres. Les
acheteurs refusent souvent de payer le
prix qui a été convenu. Le vendeur ne
peut faire valoir son droit à cause de
la peur d’être poursuivi en justice.
Ainsi, la stratégie qui visait à
protéger les pauvres a eu un effet
exactement contraire. » Comme c’est le
cas dans bien d’autres domaines, c’est
l’interdiction qui provoque la
souffrance.
À qui ce
corps appartient-il? |
Vous pourriez croire que votre corps
vous appartient mais du point de vue de
la loi, il est évident que vous vous
trompez. Vous ne pouvez pas faire ce que
vous voulez de votre corps pendant que
vous être vivant, et vous n’êtes pas non
plus tout à fait libre d’en disposer
après votre décès. Étrangement, vous
pouvez donner un rein, mais pas le
vendre. Mais si l’on conçoit que vous
pouvez le donner parce qu’il vous
appartient, pourquoi alors cette
possession de votre rein ne vous
permet-elle pas de le vendre?
Il est intéressant de
noter que lorsqu’Amit Kumar a été
arrêté, il a nié avoir participé à
quelque crime que ce soit. Les cours
indiennes détermineront si cela peut
être prouvé hors de tout doute
raisonnable. Les principes en cause sont
toutefois clairs: si M. Kumar a
effectivement forcé des personnes à
céder leur rein, il devrait être puni.
S’il a omis de les informer des risques
encourus par le don d’un rein, ou failli
à son obligation d’honorer sa partie du
contrat en termes de compensation
monétaire ou de soins postopératoires,
il devrait également être sanctionné.
Mais lorsque quelqu’un donne toutes les
informations nécessaires au donneur,
négocie librement un prix avec lui, et
remplit ses engagements à l’avantage
mutuel de toutes les parties, sur la
base de quel code moral peut-on le
déclarer coupable de quoi que ce soit?
S’il est mal de forcer
quelqu’un à céder un rein, il est tout
aussi répréhensible, et pour les mêmes
raisons, d’empêcher quelqu’un d’en
vendre un. La question centrale est
celle de l’utilisation de la force, qui
n’est jamais justifiée. Elle n’est pas
non plus pratique, puisqu’en rendant
illégal le commerce de reins, on
s’assure que seuls les hors-la-loi en
achèteront et en vendront, et les
criminels qui viendront combler ce
besoin seront vraisemblablement beaucoup
moins scrupuleux que les commerçants
légitimes.
Pendant qu’on constate
les pires effets d’un commerce illégal
de reins dans des pays comme l’Inde, et
que les sociétés riches du monde
développé continuent de se démener avec
des listes d’attente qui ne cessent de
s’allonger, on trouve un endroit dans le
monde où la situation est, contre toute
attente, tout à fait différente: l’Iran.
Il est ironique de constater que le seul
gouvernement au monde qui n’interdise
pas de compenser monétairement les
donneurs de reins soit aussi l’un des
régimes les plus répressifs de la
planète sous la plupart des autres
aspects. Tel que
le rapportait en 2006 le Clinical
Journal of the American Society of
Nephrology, « Un programme de
greffes rénales ayant recours à des
donneurs vivants, non apparentés au
patient et rémunérés, a été adopté en
1988. La conséquence en a été que le
nombre de greffes rénales réalisées a
augmenté de façon substantielle, à tel
point que la liste d’attente pour des
greffes a été complètement éliminée dès
1999. »
La possibilité d’offrir
un rein à tous ceux qui en avaient
besoin en Iran n’a d’ailleurs pas été le
seul résultat positif de ce programme,
bien qu’il s’agisse d’une réalisation
considérable. Renversant
l’interprétation habituelle du dilemme
éthique, les auteurs de l’article du
CJASN notent que les parents qui
donnent un rein ne le font pas toujours
de façon tout à fait volontaire. Ils
concluent qu’« il peut s’avérer plus
éthiquement approprié de réaliser une
greffe rénale avec un donneur payé qui
n’est pas apparenté qu’avec un donneur
de la même famille ou un conjoint qui
subit dans une certaine mesure une
pression des autres membres de la
famille ou se sent obligé de le faire
sur le plan émotionnel. »
Nos réactions
instinctives à propos du caractère sacré
du corps humain et nos préoccupations
bien intentionnées vis-à-vis
l’exploitation des pauvres ne devraient
pas occulter les arguments rationnels et
les faits. Ces deux guides fiables
confirment l’efficacité et la justice
d’un système qui permet à chacun de
faire ses propres choix. Et le Dr Matas
n’exagère pas lorsqu’il décrit le
présent système fondé sur l’interdiction
comme l’équivalent d’une condamnation à
mort. Nous sommes confrontés à une
situation où des milliers de personnes
meurent inutilement chaque année, et où
des dizaines de milliers d’autres
doivent subir pendant des années le
supplice qu’est la dialyse. Il est clair
que la légalisation du commerce de reins
est en fin de compte la seule option
possible qui soit éthiquement
acceptable.
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