Montréal, 15 avril 2008 • No 255

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

LA FIN PROCHAINE DU MONOPOLE
ÉTATIQUE SUR L'ÉDUCATION

 

par Martin Masse

 

          J'ai gaspillé une partie de mon enfance à me tourner les pouces sur les bancs d'école. Dans ce système d'éducation égalitariste, même si on avait déjà compris la leçon du jour, on devait attendre que les trente autres élèves aient eux aussi compris avant que l'institutrice puisse passer à autre chose. Il fallait tous avancer en même temps. Le programme pédagogique était optimalisé pour les élèves les plus lents capables de passer la note minimale; les quelques-uns qui étaient moins bons redoublaient, alors que tous les autres devaient apprendre à un rythme plus lent que ce dont ils étaient capables.

 

          On pouvait évidemment lire en dehors des classes pour apprendre autre chose plus rapidement. Mais à dix ans, on n'a pas nécessairement l'ambition d'avoir l'air plus nerd et différent du groupe qu'il le faut, surtout dans un tel contexte où ça cause du trouble à l'enseignant et au reste de la classe. De plus, on oublie facilement à quel point il était difficile à cette époque pas si lointaine d'avoir accès à de l'information, n'importe quelle information.

          En secondaire 2 par exemple – vers 1978 –, je m'intéressais à l'astronomie. J'en avais appris les notions de base dans une encyclopédie antique que nous avions à la maison. J'avais aussi lu les quelques vieux volumes de la bibliothèque scolaire dans lesquels on parlait encore de voyages sur la lune à venir et du télescope du Mont Palomar (le plus gros au monde après sa mise en service en 1948 et jusqu'en 1975) comme de la référence incontournable dans le domaine de l'observation astronomique. Cette même année pourtant, on débutait la construction du télescope spatial Hubble (qui allait être lancé après plusieurs délais douze ans plus tard). Impossible évidemment d'en savoir plus là-dessus, à moins de s'abonner à de coûteux magazines scientifiques français.

          J'ai finalement réussi à acheter dans une librairie montréalaise, lors de l'excursion de magasinage d'avant les Fêtes aux Galeries d'Anjou que nous faisions chaque année, avec mon propre argent de poche, un superbe petit livre d'introduction aux plus récents développements dans le monde de l'astronomie, qui a été ma fierté pendant quelques temps. Mais après l'avoir lu et bien compris, c'était encore à recommencer. Il en faut de la volonté à cet âge pour faire progresser ses connaissances quand on doit faire de tels efforts. Je ne peux que rêver à tout ce que j'aurais pu apprendre de plus, à un coût presque nul, si j'avais eu accès à l'Internet.
 

La disparition des barrières

          Ces barrières presque insurmontables à l'obtention d'information sont aujourd'hui à toutes fins utiles disparues. Et nous ne faisons que commencer à vivre les effets de cette révolution, en particulier en ce qui concerne le système d'éducation, de loin l'institution étatique qui a le plus d'influence sur chacun d'entre nous pendant les deux premières décennies de notre vie. Une influence de plus en plus néfaste depuis qu'elle sert ouvertement à inculquer non pas le savoir et la compréhension du monde, mais plutôt la doctrine égalitariste, socialiste, écologiste, féministe, tiers-mondiste et multiculturaliste de la secte de bien-pensants qui contrôle le ministère de l'Éducation et les facultés d'enseignement.

          Dans un monde où la transmission de l'information est contrôlée par ces élites étatiques, il est impossible de se soustraire à cette influence. Mais comme je l'évoquais récemment pour illustrer le fait que le point de vue de gauche est en voie de devenir périmé (voir « La gauche périmée - le contrôle étatique est de moins en moins possible »), Internet et les nouvelles technologies de communication sont en train de miner les fondations de ce contrôle.

          L'éducation à distance – ou même chez soi avec un professeur qu'on pourra télécharger et qui donnera son cours sous la forme d'un hologramme dans son salon, comme le personnage du Docteur dans Star Trek Voyager – va faire en sorte qu'on pourra bientôt outrepasser les écoles de l'État. Ce secteur connaît une expansion fulgurante à travers le monde, avec des milliers de programmes différents maintenant offerts par des institutions de partout sur la planète.

          Il est dorénavant possible de télécharger sur le Web tous les cours magistraux donnés par le Massachussetts Institute of Technology, et cela gratuitement! Chacun peut donc théoriquement suivre les mêmes cours qu'un étudiant qui paie 35 000 $ par année pour y assister en personne. Et ça ne se limite pas à la formation universitaire. Les parents qui choisissent l'enseignement à la maison ont maintenant accès à une grande quantité de ressources sur Internet. Des programmes d'enseignement complets, du primaire à l'université, seront bientôt disponibles et accessibles partout dans le monde.
 

« On n'est plus limité à l'école du quartier ou à l'université de la plus proche ville. Il devient possible de comparer et de choisir les programmes les meilleurs, les plus pertinents et les moins corrompus par les multiples idéologies collectivistes à la mode. Cette concurrence détruit le pouvoir des élites. »


          Évidemment, ces programmes virtuels sont souvent offerts par d'autres institutions étatiques, mais la concurrence mondiale change totalement la dynamique. On n'est plus limité à l'école du quartier ou à l'université de la plus proche ville. Il devient possible de comparer et de choisir les programmes les meilleurs, les plus pertinents et les moins corrompus par les multiples idéologies collectivistes à la mode. Cette concurrence détruit le pouvoir des élites.

          D'ailleurs, maintenant qu'on peut s'éduquer tout seul le plus simplement du monde sur tous les sujets imaginables grâce à l'Internet, la valeur d'une éducation formelle en institution n'est-elle pas en train de diminuer graduellement? Si j'avais aujourd'hui 18 ans, je ne perdrais certainement pas les quelques années à venir de ma vie sur les bancs d'une université montréalaise. J'ai eu la présence d'esprit, il y a vingt ans, d'abandonner rapidement une maîtrise (et possiblement un doctorat plus tard) en science politique à l'Université de Montréal. Ça m'a évité un endettement encore plus grand et des années de niaisage avec des profs conventionnels, totalement ignorants de la philosophie autrichienne par exemple.

          Aujourd'hui, c'est le baccalauréat qui sauterait aussi, même si j'ai apprécié mes trois années à McGill. En sciences humaines en particulier, il n'y a aucune raison de suivre des cours formels avec un professeur. Je m'arrangerais pour travailler à temps partiel et pour m'éduquer à partir des sites de l'Institut Ludwig von Mises et d'autres organisations pertinentes. Faire reconnaître mes compétences et connaissances serait sans doute un défi, puisque les diplômes traditionnels ont encore une valeur sur le marché du travail, mais un défi qui vaut bien d'éviter des années de perte de temps. Plus il y aura de jeunes dynamiques et intelligents qui prendront cette voie, plus vite le marché s'adaptera.
 

Éviter l'embrigadement

          Ce nouveau système mondialisé et concurrentiel d'éducation et de formation permettra de contourner un autre problème d'embrigadement collectif qui est en voie de prendre des proportions grandissantes. De la même façon que la nationalisation du système de santé justifie aujourd'hui toutes sortes d'interventions de l'État dans nos vies, sous prétexte que c'est « la collectivité » qui paie pour nos soins de santé (voir l'article « À qui appartient notre corps? »), l'éducation publique est en train de devenir une autre façon d'asservir les citoyens.

          Il y a deux semaines par exemple, on débattait à l'émission Il va y avoir du sport à Télé-Québec de la nécessité de garder les jeunes au Québec après la fin de leurs études. Voici comment on présentait le problème:
 

          Le Québec perd de nombreux jeunes diplômés au profit de Toronto ou encore de grandes villes américaines. Ils quittent souvent pour des salaires plus élevés et des conditions de travail plus alléchantes. On peut bien entendu comprendre la force d'attraction que peut exercer la Californie et New-York pour des jeunes qui sortent de l'université. Mais quand on sait qu'un étudiant en médecine coûte au moins 20 000$ par année à l'État québécois et même plus avec une spécialité en poche, il y a lieu de s'inquiéter du phénomène. Que ce soit pour un médecin ou pour un informaticien, la formation est un investissement de société et le déficit est grand quand un jeune part sans même donner une seule année de travail. Que faire pour garder nos jeunes diplômés au Québec ? Leur demander de rembourser leurs études est-il un bon incitatif ?

          Selon cette logique, les jeunes ne vont plus à l'école pour eux-mêmes, pour se former et investir dans leur avenir. Parce que c'est encore une fois « la collectivité » qui paie, l'éducation est plutôt devenue un « investissement de société ». Aujourd'hui, on débat de la pertinence de faire rembourser ses études universitaires à un jeune médecin qui veut aller pratiquer ailleurs. Mais imaginez le gigantesque investissement que constitue l'éducation d'un bambin qui entre à deux ans dans un Centre de la petite enfance subventionné et qui restera dans le réseau public pendant deux décennies. Débattrons-nous bientôt de la nécessité de faire rembourser toute cette éducation à tout jeune adulte qui voudra quitter le Québec sans avoir passé des décennies à payer des impôts? Et les plus vieux, qui ont bénéficié de nombreux autres services publics, devront-ils payer une « taxe de dédommagement à la collectivité », dépendamment du nombre d'années pendant lesquelles ils auront contribué à ces services avec leurs impôts versus la quantité de services utilisés?

          La socialisation des coûts et des responsabilités est une notion totalisante qui mène inévitablement sur une pente glissante. Le système communiste, où la société est devenue une prison d'où il est devenu impossible de s'échapper, en est l'aboutissement logique. Où cela s'arrêtera-t-il?

          La privatisation de l'éducation – comme celle de la santé – grâce à la mondialisation et à l'arrivée de nouvelles technologies est une façon d'échapper à cette logique infernale. Plus il y aura de jeunes qui seront éduqués autrement que dans des institutions étatiques traditionnelles, plus il deviendra difficile de faire cette équation immédiate entre éducation et dette envers la société. L'éducation sera vue comme un service qu'on paie à son enfant ou à soi-même, exactement comme n'importe quel autre bien de consommation. Les folies des grandes réformes avec leurs compétences transversales et autres notions socioconstructivistes pourront être ignorées: elles ne seront plus débattues que par des fanatiques retranchés dans un système de plus en plus marginalisés.

          Nous n'en sommes pas encore là. Au-delà des possibilités techniques, il faut aussi une prise de conscience de la part de demandeurs potentiels pour qu'un nouveau marché se développe. Ceux qui souhaitent contribuer à la construction d'une société plus libre, et qui sont étudiants ou ont des enfants qui le sont, peuvent accélérer ce mouvement en faisant le bon choix: celui d'éviter dans la mesure du possible tout contact avec le monopole public d'éducation et de se tourner dès maintenant vers l'une des nombreuses solutions alternatives qui se développent.

 

Suggestions de lectures
Le tutorat privé: une autre brèche dans le monopole de l'éducation qui énerve les étatistes
Comment percer dans le marché de l'emploi par des moyens non conventionnels
Les effets pervers de l'égalitarisme en éducation : les EHDAA
L'université étatique en voie de sombrer dans l'insignifiance

 

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