Il y aura toujours des gens pour dire que le
réchauffement de la planète n’est pas
principalement causé par l’homme, ou qui
croient qu’il nous reste encore pour 100 ans
de pétrole. Mais il y a aussi une majorité
de gens sur notre continent qui sont
sceptiques par rapport à la théorie de
l’évolution du vivant. Il est possible
d’adopter un point de vue difficilement
défendable scientifiquement (comme celui qu’il ne
faut pas s’en faire pour l’écologie) mais
être habile et convaincre plein de gens.
C’est assez facile dans le cas de l’écologie
puisqu’il y a déjà plein de gens
qui ne veulent rien ou presque rien savoir
de faire des sacrifices pour l’écologie – il
n’attendent que des sceptiques comme vous
qui leur amènent des pseudo preuves que tout
va bien et que l’écologie c’est un
truc pour les extrémistes. La vérité est que
trop peu de gens sont assez informés et
consciencieux pour être capables de se
projeter rationnellement dans le futur et
considérer rationnellement une argumentation
écologique. La plupart des gens se
laisseront convaincre à coup
d’arguments-choc et de « peer pressure »
(comme vous le faites dans cet article),
malheureusement pas par une argumentation
rationnelle.
Au lieu de ridiculiser
ces propos certes un peu poussés de Suzuki,
pourquoi ne pas discuter et identifier
plutôt les conflits d’intérêt entre le
libéralisme et les objectifs écologiques,
tenter de trouver des solutions, et tenter
de voir les inconvénients de ces solutions,
critiquer les modèles économiques
écologiques et les politiques écologiques? Il y a des moyens de
contrer les effets de la pollution: en
mettant des taxes sur certains produits pour
rediriger la demande et les activités
entrepreneuriales vers des domaines et
niches de l’économie qui sont plus
écologiques. Il faudrait que votre blogue
recherche les gens qui parlent de cela, et
discute leurs travaux, au lieu de
constamment et seulement faire de la
propagande libertarienne.
Peut-être ne
croyez-vous pas que ces politiques écologiques
soient nécessaires. Mais à mon avis vous vous
trompez – autant il est assez vrai que le
libéralisme économique est bon pour stimuler
l’économie, autant il est vrai que le
pétrole est une ressource finie qui va tarir
d’ici vingt ans, et que le réchauffement de la
planète aura des conséquences
catastrophiques. Nos politiques économiques
doivent répondre à ces deux contraintes – un
peu comme quelqu’un qui a deux jobs et qui
doit respecter deux horaires en même temps, et
faire des compromis et adopter les
meilleures solutions. Il faut arriver à être
écologique tout en stimulant l’économie, et
c’est possible. Il faut en discuter. Mais si
on ne fait pas pression rien ne va bouger et
les gens vont rester dans leurs vieilles
habitudes de consommation et
d’investissements et – je le répète – nous,
et nos enfants, et surtout les gens dans le
tiers-monde, allons en payer les
conséquences dans quelques années.
Croire dans le
libertarianisme à tout prix vous fait éluder
ou entrer en contradiction avec des idées
importantes; cela arrive fréquemment quand
je lis votre blogue. Vous avez à mon avis une
position trop catégorique et biaisée. Je
crois que la doctrine libertarienne n’est
pas la seule chose à considérer pour prendre
des décisions politiques. Il faut que vous
soyez plus rationnels et moins convaincus à
l’avance. La réalité n’est pas si simple –
vous dites que « la liberté est la chose la
plus importante »… Il faudrait donc laisser
les gens être libres de polluer comme ils
ont envie? À mon avis, il faut que vous
remettiez vos dogmes libertariens en
question dans certaines situations.
Cordialement,
N. Chausseau
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Réponse de Mathieu Bréard |
Bonjour N. Chausseau,
Il ne faut pas chercher à
excuser les propos de David Suzuki et encore
moins prétendre, comme vous le faites, qu'il
s'agit d'une simple erreur d'argumentation.
Ce serait un peu trop facile. L'homme est
parfaitement conscient de ce qu'il raconte
lorsqu'il prétend qu'il faut emprisonner les
politiciens. Il le répète déjà
depuis des années dans différents colloques
et conférences sur l'environnement. Ayant
moi-même assisté à sa dernière apparition
publique à Montréal, je peux vous affirmer
que ce genre de paroles, destiné à émouvoir
les foules, est un instrument de marketing
parfaitement prémédité. Vous-mêmes dans
votre texte vous dénoncez ces formules-choc
alors que nous sommes justement en présence
d'une rhétorique manichéenne des plus
simplistes et destinée à influencer un
public très large.
Lorsque j’entends et
observe David Suzuki, il me conforte dans
mes positions. Il ne contribue en rien à
faire avancer le débat sur l'environnement
et je ne comprends vraiment pas pourquoi on
s'obstine à lui accorder autant
d'importance. Loin de mettre des arguments
pertinents sur la table, il semble plutôt
avoir un vilain penchant pour
l'obscurantisme religieux. Autrement dit,
nous avons une arme à feu sur la tempe et il
faudrait lui signer un chèque en blanc.
« Vous êtes avec nous ou contre nous. » « Nous
sommes le bien et eux le mal. » « Nous avons
les preuves et les autres font de la
falsification ». « Nous avons la vérité et
ceux qui la contestent sont des hérétiques. »
Bref, Suzuki se moque éperdument des
opinions contraires, car pour lui nous
sommes déjà en enfer.
Cette radicalisation du
discours fait très mal à la cause
environnementale dans son ensemble. Et
pourtant, la science est si abondamment
chargée d'interprétations autrefois tenues
pour vérités que les intellectuels ont le
devoir de se remettre en question. Les
personnes ayant une formation poussée dans
l'une ou l'autre branche du savoir ont, au
cours des siècles, fixé des conventions et
établis des critères d'acceptation ou de
rejet des nouvelles connaissances. Dans la
mesure où ces conventions et ces critères
font l'objet d'un consensus parmi les
savants, la science n'est que ce que les
savants s'entendent pour croire qu'ils
savent, c'est-à-dire l'ensemble systématisé
des connaissances partagées à une époque,
par les scientifiques dans leurs disciplines
respectives. Une théorie est faite pour être
contestée et le nombre d'adhérents ne lui
confère pas le titre de vérité. Il faudrait
peut-être le rappeler à tous ces citoyens
prêts à se prosterner genoux à terre devant
les conclusions du rapport du GIEC.
La technologie de nos
jours progresse si rapidement que beaucoup
d'hypothèses pourraient être infirmées dans
quelques années. Après tout, les amis de
Suzuki n'avaient-ils pas annoncé sur un ton
dramatique, lors de la réunion du Club de
Rome dans les années 1970, la disparition de toutes les
ressources naturelles pour la décennie 90?
Les fameuses discussions sur le pic
pétrolier sont aussi vieilles que la
découverte du premier gisement de pétrole en
Pennsylvanie. Et la catastrophe se fait
encore attendre. Certes, nous n'avons pas
créé plus de pétrole, mais nous avons
amélioré nos techniques de détection,
d'extraction et de récupération. Il y a
quelques années, il était impossible
d'extraire une bonne partie du pétrole dans
les eaux profondes de la mer du Nord. Notons
également que les sources de pétrole non
conventionnelles ne sont pas prises en
compte dans le calcul des réserves prouvées.
Faut-il déduire que la diminution du pétrole
est l'avènement annonciateur des
tribulations qui nous mèneront au jugement
dernier? Certainement pas, car nous nous
sommes déjà engagés dans une économie qui va
au-delà du pétrole. Soixante pour cent de la consommation
énergétique en Amérique provient d'autres
sources comme le gaz naturel, le nucléaire,
l'hydroélectricité et les énergies
alternatives qui elles ne sont pas encore
suffisamment concurrentielles faute
d'efficacité.
Finalement, lorsque vous
affirmez, en fin de texte, que la
philosophie libertarienne prône une liberté
absolue de polluer, vous commettez encore
une erreur. Je le dis, car ce n'est pas la
première fois que vous tenez ce genre de
propos. En fouillant les archives du
Québécois Libre, je suis tombé sur une
réplique en date du 22 avril 2007 où mon
collègue André Dorais vous explique que la
pollution et les problèmes environnementaux
peuvent être réglés si l'on respecte
davantage les droits de propriété grâce à un
appareil judiciaire efficace.
Lorsque la fumée d'une
usine pollue l'air de ses voisins, il s'agit
d'un acte invasif. Le propriétaire de
l'usine est responsable devant la loi des
inconvénients que l'exploitation de sa
ressource aura sur la propriété d'autrui. Si
les droits de propriété incluent le droit de
modifier l’air au-dessus de sa terre, alors
on peut polluer à condition que cette
pollution ne déborde pas dans l’espace
aérien de l’autre. Mais vous l’avez deviné,
c’est impossible compte tenu du principe de
circulation de l’air. Ce qui oblige le
propriétaire à prévenir ses émissions en les
stockant ou en cherchant des moyens
techniques pour atténuer le problème. Autre
exemple: mon voisin ne peut pas se
débarrasser de son surplus de déchets dans
mon jardin, ce qui l’oblige à n’en produire
moins, à recycler davantage ou encore à
signer une attente avec un intermédiaire qui
va s’occuper de les détruire ou de les
enfouir selon un certain coût. Ce même
intermédiaire ne pourrait pas se débarrasser
de ses détritus dans le lac ou la forêt,
propriété d’une réserve autochtone.
Lorsque les émetteurs de
pollution sont tenus responsables des
dommages envers d’autres propriétés, ils ont
des raisons économiques de chercher de
meilleures solutions de rechange pour contrôler la
pollution. Ainsi, il est dans l’intérêt du
propriétaire de déterminer qu’elle est la
meilleure façon d’utiliser l’environnement
sous son contrôle. La
protéger, c’est-à-dire à préserver son actif,
est préférable au gaspillage et au
comportement délinquant. Malheureusement,
dans l’ensemble de leurs recommandations, les
écologistes ne vont jamais mentionner les
droits de propriété. Ils préfèrent la
promotion de concepts futiles comme les
allégements fiscaux pour l’achat d’une
voiture hybride, un droit d’échange des
émissions entre les entreprises, l’octroi
de permissions de polluer à condition de
verser des redevances, les fameuses écotaxes
qui seront refilées aux citoyens, et bien
sûr, des scénarios apocalyptiques pour alimenter la peur au quotidien.
Bien à vous,
M. B.
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