Montréal, 15 avril 2008 • No 255

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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LES LIBERTARIENS ET L'ENVIRONNEMENT

 
 

          Vraiment, vous êtes ancrés profonds dans vos convictions. Cet article présente ce que Suzuki a dit de façon à le faire paraître encore plus extrême. Cet article présente à mon avis une argumentation assez puérile, vraiment pas détachée ni intéressante. Vous vous en prenez à Suzuki parce qu’il qui a fait une faute d’argumentation et a été extrémiste, mais sur le fond vous avez tort et l’écologie a raison: nos politiciens doivent bel et bien prendre l’écologie en considération.

          C’est sûr que c’est extrême de proposer de mettre les politiciens en prison. Mais les politiciens sont effectivement en train de faire des dégâts écologiques pour viser des buts à court terme. Il n’y a rien pour les pousser à faire des sacrifices pour l’écologie – et nous allons le regretter dans un futur relativement proche.

 

          Il y aura toujours des gens pour dire que le réchauffement de la planète n’est pas principalement causé par l’homme, ou qui croient qu’il nous reste encore pour 100 ans de pétrole. Mais il y a aussi une majorité de gens sur notre continent qui sont sceptiques par rapport à la théorie de l’évolution du vivant. Il est possible d’adopter un point de vue difficilement défendable scientifiquement (comme celui qu’il ne faut pas s’en faire pour l’écologie) mais être habile et convaincre plein de gens. C’est assez facile dans le cas de l’écologie puisqu’il y a déjà plein de gens qui ne veulent rien ou presque rien savoir de faire des sacrifices pour l’écologie – il n’attendent que des sceptiques comme vous qui leur amènent des pseudo preuves que tout va bien et que l’écologie c’est un truc pour les extrémistes. La vérité est que trop peu de gens sont assez informés et consciencieux pour être capables de se projeter rationnellement dans le futur et considérer rationnellement une argumentation écologique. La plupart des gens se laisseront convaincre à coup d’arguments-choc et de « peer pressure » (comme vous le faites dans cet article), malheureusement pas par une argumentation rationnelle.

          Au lieu de ridiculiser ces propos certes un peu poussés de Suzuki, pourquoi ne pas discuter et identifier plutôt les conflits d’intérêt entre le libéralisme et les objectifs écologiques, tenter de trouver des solutions, et tenter de voir les inconvénients de ces solutions, critiquer les modèles économiques écologiques et les politiques écologiques? Il y a des moyens de contrer les effets de la pollution: en mettant des taxes sur certains produits pour rediriger la demande et les activités entrepreneuriales vers des domaines et niches de l’économie qui sont plus écologiques. Il faudrait que votre blogue recherche les gens qui parlent de cela, et discute leurs travaux, au lieu de constamment et seulement faire de la propagande libertarienne.

          Peut-être ne croyez-vous pas que ces politiques écologiques soient nécessaires. Mais à mon avis vous vous trompez – autant il est assez vrai que le libéralisme économique est bon pour stimuler l’économie, autant il est vrai que le pétrole est une ressource finie qui va tarir d’ici vingt ans, et que le réchauffement de la planète aura des conséquences catastrophiques. Nos politiques économiques doivent répondre à ces deux contraintes – un peu comme quelqu’un qui a deux jobs et qui doit respecter deux horaires en même temps, et faire des compromis et adopter les meilleures solutions. Il faut arriver à être écologique tout en stimulant l’économie, et c’est possible. Il faut en discuter. Mais si on ne fait pas pression rien ne va bouger et les gens vont rester dans leurs vieilles habitudes de consommation et d’investissements et – je le répète – nous, et nos enfants, et surtout les gens dans le tiers-monde, allons en payer les conséquences dans quelques années.

          Croire dans le libertarianisme à tout prix vous fait éluder ou entrer en contradiction avec des idées importantes; cela arrive fréquemment quand je lis votre blogue. Vous avez à mon avis une position trop catégorique et biaisée. Je crois que la doctrine libertarienne n’est pas la seule chose à considérer pour prendre des décisions politiques. Il faut que vous soyez plus rationnels et moins convaincus à l’avance. La réalité n’est pas si simple – vous dites que « la liberté est la chose la plus importante »… Il faudrait donc laisser les gens être libres de polluer comme ils ont envie? À mon avis, il faut que vous remettiez vos dogmes libertariens en question dans certaines situations.

Cordialement,
N. Chausseau
 

 
   
   

Réponse de Mathieu Bréard

Bonjour N. Chausseau,

          Il ne faut pas chercher à excuser les propos de David Suzuki et encore moins prétendre, comme vous le faites, qu'il s'agit d'une simple erreur d'argumentation. Ce serait un peu trop facile. L'homme est parfaitement conscient de ce qu'il raconte lorsqu'il prétend qu'il faut emprisonner les politiciens. Il le répète déjà depuis des années dans différents colloques et conférences sur l'environnement. Ayant moi-même assisté à sa dernière apparition publique à Montréal, je peux vous affirmer que ce genre de paroles, destiné à émouvoir les foules, est un instrument de marketing parfaitement prémédité. Vous-mêmes dans votre texte vous dénoncez ces formules-choc alors que nous sommes justement en présence d'une rhétorique manichéenne des plus simplistes et destinée à influencer un public très large.

          Lorsque j’entends et observe David Suzuki, il me conforte dans mes positions. Il ne contribue en rien à faire avancer le débat sur l'environnement et je ne comprends vraiment pas pourquoi on s'obstine à lui accorder autant d'importance. Loin de mettre des arguments pertinents sur la table, il semble plutôt avoir un vilain penchant pour l'obscurantisme religieux. Autrement dit, nous avons une arme à feu sur la tempe et il faudrait lui signer un chèque en blanc. « Vous êtes avec nous ou contre nous. » « Nous sommes le bien et eux le mal. » « Nous avons les preuves et les autres font de la falsification ». « Nous avons la vérité et ceux qui la contestent sont des hérétiques. » Bref, Suzuki se moque éperdument des opinions contraires, car pour lui nous sommes déjà en enfer.

          Cette radicalisation du discours fait très mal à la cause environnementale dans son ensemble. Et pourtant, la science est si abondamment chargée d'interprétations autrefois tenues pour vérités que les intellectuels ont le devoir de se remettre en question. Les personnes ayant une formation poussée dans l'une ou l'autre branche du savoir ont, au cours des siècles, fixé des conventions et établis des critères d'acceptation ou de rejet des nouvelles connaissances. Dans la mesure où ces conventions et ces critères font l'objet d'un consensus parmi les savants, la science n'est que ce que les savants s'entendent pour croire qu'ils savent, c'est-à-dire l'ensemble systématisé des connaissances partagées à une époque, par les scientifiques dans leurs disciplines respectives. Une théorie est faite pour être contestée et le nombre d'adhérents ne lui confère pas le titre de vérité. Il faudrait peut-être le rappeler à tous ces citoyens prêts à se prosterner genoux à terre devant les conclusions du rapport du GIEC.

          La technologie de nos jours progresse si rapidement que beaucoup d'hypothèses pourraient être infirmées dans quelques années. Après tout, les amis de Suzuki n'avaient-ils pas annoncé sur un ton dramatique, lors de la réunion du Club de Rome dans les années 1970, la disparition de toutes les ressources naturelles pour la décennie 90? Les fameuses discussions sur le pic pétrolier sont aussi vieilles que la découverte du premier gisement de pétrole en Pennsylvanie. Et la catastrophe se fait encore attendre. Certes, nous n'avons pas créé plus de pétrole, mais nous avons amélioré nos techniques de détection, d'extraction et de récupération. Il y a quelques années, il était impossible d'extraire une bonne partie du pétrole dans les eaux profondes de la mer du Nord. Notons également que les sources de pétrole non conventionnelles ne sont pas prises en compte dans le calcul des réserves prouvées. Faut-il déduire que la diminution du pétrole est l'avènement annonciateur des tribulations qui nous mèneront au jugement dernier? Certainement pas, car nous nous sommes déjà engagés dans une économie qui va au-delà du pétrole. Soixante pour cent de la consommation énergétique en Amérique provient d'autres sources comme le gaz naturel, le nucléaire, l'hydroélectricité et les énergies alternatives qui elles ne sont pas encore suffisamment concurrentielles faute d'efficacité.

          Finalement, lorsque vous affirmez, en fin de texte, que la philosophie libertarienne prône une liberté absolue de polluer, vous commettez encore une erreur. Je le dis, car ce n'est pas la première fois que vous tenez ce genre de propos. En fouillant les archives du Québécois Libre, je suis tombé sur une réplique en date du 22 avril 2007 où mon collègue André Dorais vous explique que la pollution et les problèmes environnementaux peuvent être réglés si l'on respecte davantage les droits de propriété grâce à un appareil judiciaire efficace.

          Lorsque la fumée d'une usine pollue l'air de ses voisins, il s'agit d'un acte invasif. Le propriétaire de l'usine est responsable devant la loi des inconvénients que l'exploitation de sa ressource aura sur la propriété d'autrui. Si les droits de propriété incluent le droit de modifier l’air au-dessus de sa terre, alors on peut polluer à condition que cette pollution ne déborde pas dans l’espace aérien de l’autre. Mais vous l’avez deviné, c’est impossible compte tenu du principe de circulation de l’air. Ce qui oblige le propriétaire à prévenir ses émissions en les stockant ou en cherchant des moyens techniques pour atténuer le problème. Autre exemple: mon voisin ne peut pas se débarrasser de son surplus de déchets dans mon jardin, ce qui l’oblige à n’en produire moins, à recycler davantage ou encore à signer une attente avec un intermédiaire qui va s’occuper de les détruire ou de les enfouir selon un certain coût. Ce même intermédiaire ne pourrait pas se débarrasser de ses détritus dans le lac ou la forêt, propriété d’une réserve autochtone.

          Lorsque les émetteurs de pollution sont tenus responsables des dommages envers d’autres propriétés, ils ont des raisons économiques de chercher de meilleures solutions de rechange pour contrôler la pollution. Ainsi, il est dans l’intérêt du propriétaire de déterminer qu’elle est la meilleure façon d’utiliser l’environnement sous son contrôle. La protéger, c’est-à-dire à préserver son actif, est préférable au gaspillage et au comportement délinquant. Malheureusement, dans l’ensemble de leurs recommandations, les écologistes ne vont jamais mentionner les droits de propriété. Ils préfèrent la promotion de concepts futiles comme les allégements fiscaux pour l’achat d’une voiture hybride, un droit d’échange des émissions entre les entreprises, l’octroi de permissions de polluer à condition de verser des redevances, les fameuses écotaxes qui seront refilées aux citoyens, et bien sûr, des scénarios apocalyptiques pour alimenter la peur au quotidien.

Bien à vous,
M. B.
 

 

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