Pour la première fois depuis le début de la Grande Guerre, 35 000 soldats provenant des quatre divisions du corps expéditionnaire canadien se sont battus en tant qu'unité nationale de combat, au lieu d'être divisés et utilisés pour appuyer et renforcer les divisions britanniques. Trois mille six cent furent tués et 7000 blessés, mais le résultat fut une victoire éclatante.
Comme l'a souligné l'historien britannique John Keegan dans son volume The First World War, « Le succès des Canadiens a été sensationnel. Les épouvantables pentes nues et brisées de la crête de Vimy, sur lesquelles des milliers de Français étaient morts au bout de leur sang en 1915, furent prises en une seule lancée. Le sommet fut atteint et, sur l'abrupt versant opposé donnant vers l'est où s'entassaient l'artillerie et les troupes de réserve allemande, le regard du vainqueur pouvait embrasser toute la plaine de Douai. »
Dans d'autres pays, cette percée mineure, lorsqu'on s'en souvient, n'est vue que comme l'une d'une interminable série de batailles qui ont eu lieu pendant les longues années de la guerre. Keegan la décrit simplement comme « la première journée de la bataille d'Arras ». Mais ici, et en particulier au Canada anglais, cette bataille a pris les proportions d'un mythe national.
Deux jours avant l'anniversaire, le quotidien montréalais The Gazette publiait, sous le titre « La naissance d'une nation » (« The birth of a nation »), un article d'usage sur les étudiants et vétérans en visite sur le site de la bataille et sur le ministre donnant son discours prévisible appelant à « se souvenir de nos riches histoire et patrimoine militaires ». Le jour suivant l'anniversaire, on retrouvait de nouveau la même notion dans le même journal: « Un vétéran de Vimy se souvient de la bataille qui a fait de nous une véritable nation. »
Ce cliché repris un peu partout à chaque année à propos de la naissance d'une nation pendant que des milliers de jeunes hommes s'entretuaient dans un combat féroce provient d'une célèbre phrase du brigadier-général Alexander Ross, qui commandait le 28e bataillon à Vimy: « Le Canada de l'Atlantique au Pacifique défilait. Je me suis dit qu'au cours de ces quelques minutes, je venais d'être témoin de la naissance d'une nation. » Il s'agit en fait de sottises collectivistes à l'état pur, un mélange de mythologie nationaliste et de propagande militariste.
Un lecteur ne connaissant pas trop l'histoire de la Première Guerre mondiale qui lirait une description de la bataille écrite par un commentateur canadien pourrait croire qu'elle a constitué un point tournant pour les alliés. Il apprendrait par exemple qu'elle « a constitué la première victoire majeure des alliés en deux ans et demi de combat. Grâce aux vaillants efforts du Canada, la guerre allait bientôt prendre fin. » Eh oui, ne riez pas!, c'est grâce à nous si les Boches ont finalement été repoussés et défaits. Les Français, les Anglais et les Américains, ils ne faisaient qu'éplucher les patates.
La réalité est évidemment pas mal loin de ces prétentions. Ce n'est pas tellement à cause de la bravoure et de l'endurance surhumaine des soldats canadiens si les Allemands ont subi un tel revers à Vimy, mais plutôt, selon Keegan toujours, à cause d'« une déficience absolue en termes de nombre de divisions dans le secteur de Vimy-Arras. Les Français ont pu en apprécier la contrepartie au Chemin des Dames, où quinze divisions allemandes dédiées à une contre-attaque ont pu être rassemblées derrière les vingt-et-une en position de combat. Si les Allemands avaient été surpris à Vimy-Arras, c'est le contraire qui allait se produire sur l'Aisne [...]. » Sur cet autre front où la bataille eut lieu dans les jours suivants, 29 000 Français furent tués, une défaite qui allait briser tout espoir au sein de l'armée française et mener aux mutineries de l'été 1917.
Le récit de cette guerre n'est qu'une suite sans fin, inimaginable dans son horreur et profondément déprimante d'assauts gigantesques où des dizaines de milliers d'hommes se font tuer, parfois en l'espace de quelques heures, la plupart du temps sans résultat concret. En tout, dix millions de personnes, soldats et civils, sont mortes durant la Première Guerre. Malgré l'ampleur de ce cataclysme, plusieurs croyaient, et croient encore, que c'est la participation du Canada à cette boucherie qui a entraîné « la naissance de la nation canadienne ».
La logique historique tordue qui sous-tend cette idée a un sens surtout pour les Canadiens anglophones, qui conçoivent de manière générale leur pays comme une partie de l'Empire britannique qui a grandi et s'est développé, et a finalement atteint l'âge adulte en tant que nation à toutes fins utiles indépendante après la Première Guerre mondiale.
Le Canada était un dominion autonome au début du 20e siècle et dès que la mère-patrie partait en guerre, les colonies suivaient immédiatement et on s'attendait à ce qu'elles contribuent à l'effort de guerre. La bataille de Vimy est toutefois considérée comme l'élément déclencheur qui a donné une voix autonome au Canada. Après la guerre, il a obtenu un siège distinct à la Conférence de paix de Paris de 1919 et est devenu un acteur respecté sur la scène internationale. Il a également obtenu un siège à la Ligue des Nations. Avec d'autres dominions britanniques, il devenait finalement indépendant par l'adoption du Statut de Westminster en 1931.
Voici quelques perles de mythologie nationaliste canadienne que l'on peut retrouver sur le Web: « Vimy est survenu exactement 50 ans après la Confédération. Jusque-là, les Canadiens avaient toujours combattu en tant que citoyens britanniques. Cette fois, ils sont allés au combat en tant que Canadiens. » « Pour la première fois, des Canadiens d'un océan à l'autre se sont tenus coude à coude et ont reçu des ordres de la part d'officiers canadiens à tous les niveaux d'autorité sauf le plus élevé. » « Pour les troupes canadiennes qui ont combattu à Vimy, il s'agissait de l'un de ces rares moments de vérité
– pour la première fois, ils se reconnaissaient tels qu'ils étaient. Ils gravirent la crête porteurs d'une identité régionale et la redescendirent avec une identité nationale. » « Les milliers de Canadiens qui ont participé à cette féroce bataille peuvent témoigner de ses conséquences sur le nationalisme canadien, eux qui durant ces jours sombres ont compris pour la première fois le concept de la nationalité canadienne par opposition au colonialisme britannique. »
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