Si l’on se projette dans l’avenir, notre force est la
cohérence de notre corpus doctrinal et le respect
absolu du principe de réalité; notre talon d’Achille est non
pas nos individualités, mais la capacité de nuisance de
chacun d’entre nous de créer notre chapelle, notre
groupuscule, notre mini-secte qui fait que l’on se complaît
dans les détails qui divisent au lieu de nous unir sur
l’essentiel, sur lequel nous sommes tous d’accord, la
supériorité des principes et procédures de la liberté. On
dirait qu’il y a un mauvais sort qui s’acharne, cette
capacité à nous autodétruire qui fait vite du reste basculer
certains dans le fantasme de la théorie du complot contre
les libéraux alors que la faille est en nous-mêmes.
À ce petit jeu, on s’épuise et on oublie l’essentiel:
c’est-à-dire combattre sans relâche et traquer les fausses
idées qui se finissent toujours – le 20e siècle nous l’a
montré – dans les abominations collectivistes et
concentrationnaires. Pourtant les Américains nous ont montré
la voie dans la grande coalition libéraux-conservateurs «
majorité morale ». Il y a en Europe, particulièrement en
France, un génie de la division qui nous fait considérer que
la pureté doctrinale appartient à quelques-uns et nous prive
dans le combat contre le totalitarisme de précieux alliés
naturels, découragés par le raffinement sans limite de
quelques pseudo intellectuels chez qui l’esthétique de la
formule remplace la profondeur des idées et le courage du
combat à mener.
Quel est votre positionnement
dans la galaxie libérale? |
Par tempérament profond, ma sympathie va
totalement vers les anarcaps [anarcho-capitalistes]
et je réfute totalement l’idée qu’on puisse être
excessif dans la défense de la liberté. Ce n'est ni le coeur
ni la raison, mais uniquement la sagesse tactique qui me
porte à écouter les autres familles libérales.
J’aime faire mon miel tant chez Lucas que chez Barro, tant
chez Becker que Friedman, tant chez Stigler que chez
Buchanan, tant chez Coase que chez Mises, tant chez Hayek et
même jusqu’à Posner.
Cela dit, rien ne peut égaler la défense des indéfendables
de Walter Block qui me semble d’une cohérence interne
inégalée. C’est pourquoi je m’en réjouis pour lui, il n’aura
jamais aucune distinction académique, ce qui est flatteur
pour un non-courtisan et, pour parodier Sacha Guitry à
propos des médailles: la John Bates Clark ou le Nobel, ça ne
se demande pas, ça ne se refuse pas, ça ne se porte pas.
J’espère chez Steven Levitt que les fruits à venir porteront
les promesses des splendides fleurs de Freakonomics.
Encore un mot pour saluer l’audace intellectuelle de cette
percée méthodologique qui n’a pas fini de porter des
conséquences, c’est-à-dire saluer l’invention de l’économie
non-marchande chez Gary Becker.
Si vous ne deviez retenir que
trois auteurs? |
Enseigner c’est choisir. Choisir c’est
évincer, votre question oblige à des choix cruels. Dans
l’ordre: D’abord Bastiat, ensuite Bastiat, enfin Bastiat.
Si Frédéric Bastiat était
vivant, qu’aimeriez-vous lui dire? |
Puisque vous avez été le vrai Nostradamus
et que vous savez tout de ce qui est arrivé depuis 160 ans,
reprenez votre plume et plus exactement sans doute votre
clavier. Allez sur libéraux.org et pourfendez de votre
incroyable talent et science les précieuses ridicules, les
bouffons, les ignorants, les incultes, les Trissotins, les
médiocres, les hommes de l’État, les socialistes, les
altermondialistes et tous les ennemis des hommes libres.
Encore un mot, cher Frédéric Bastiat, donnez-moi
l’inspiration d’écrire un jour une page ou une phrase qui
ferait dire à un seul de mes étudiants: « Quand j’écoute mon
prof, on dirait Bastiat ». Et puisque vous êtes au panthéon
et même au paradis des libéraux, gardez-moi une petite place
dans le forum paradisdeslibéraux.org pour qu’on puisse avec
délice un jour crucifier Marx, l’autre, rire des âneries de
Fourier et nous régaler des
soirées avec Molinari et, par charité libérale, sauver
Proudhon – qui le mérite quand même – et surtout lapider
Attali!
Quels sont vos projets à venir?
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Il y a deux catégories d’intellectuels
libéraux, ceux qui prêchent et ceux qui écrivent: certains
ont les deux talents. La vérité, point la méchanceté,
m’oblige à dire que j’en ai rencontré peu.
Je suis du côté de ceux qui prêchent la croisade de la
liberté et en toute humilité mais honnêteté, je peux dire
qu’en 40 ans plusieurs milliers de mes étudiants sont
devenus des libéraux à la vie à la mort alors qu’en arrivant
en première année, j’en avais connu de nombreux qui étaient
évidemment sociaux-démocrates, quelques fois communistes
acharnés. Je crois, mais c’est aux étudiants de le dire, que
j’ai reçu dans ma dotation de base un vrai talent pour
enseigner et pour la seule fois de ma vie, je serais
Ricardien, j’accepte de me spécialiser dans le domaine dans
lequel je suis relativement le plus apte. Mais j’avoue que
ce serait un immense bonheur si un jour un étudiant avancé
pouvait dialoguer avec moi des heures durant pour en faire
un concert à deux voix et m’épargner ce qui me pèse le plus:
la formalisation définitive.
Je voudrais que les internautes me sache d’une extrême
sincérité en leur disant un immense merci de m’avoir
distingué car il est une chose que désormais plus personne
ne pourra jamais m’enlever; j’aurais été le premier lauréat
de ce prix. Longue vie à libéraux.org et vive les hommes
libres.
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