1. On dit en Roumanie, comme en France,
que les hypermarchés font accroître artificiellement les
prix des produits. Que pensez-vous de cette idée?
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Il est étrange que l'on puisse défendre cette
idée. L'expérience et le raisonnement prouvent le contraire: les
hypermarchés ont été un fantastique moyen de réduire les prix (au
point que certains se plaignent des difficultés rencontrées par les
« petits commerces » du fait de la concurrence des hypermarchés).
Cela se comprend aisément. En effet, par l'importance de leurs
achats de marchandises, ils sont capables de négocier des rabais
importants à leurs fournisseurs; ils peuvent réduire les coûts – et
donc les prix de vente – par exemple en rationalisant la gestion des
stocks; ils peuvent avoir du personnel spécialisé capable de trouver
à travers le monde les produits les meilleurs et les moins chers,
etc.
Mais on peut présenter le problème autrement. Imaginons que,
conformément à ce que croient certains, les hypermarchés fassent
augmenter les prix des produits. Il faudrait alors se poser la
question suivante: comment est-il possible que les consommateurs,
toujours rationnellement soucieux de faire des économies, aillent
faire leurs courses dans les hypermarchés? Ceux-ci auraient fait
faillite depuis longtemps s'ils vendaient à des prix plus élevés. En
outre, il faut tenir compte du fait que les hypermarchés font gagner
du temps à leurs clients, en leur permettant d'acheter toutes sortes
de produits très variés sans avoir à courir d'une boutique à une
autre, ou en leur offrant des parkings très accessibles et gratuits.
Autrement dit, un litre de lait acheté dans un magasin dans un
centre ville encombré n'est pas identique à un litre de lait vendu
par un hypermarché (l'acheteur achète à la fois le litre de lait et
le « gain de temps »). Ainsi, même si le litre de lait vendu par un hypermarché était plus élevé – ce qui n'est généralement pas le cas –
le consommateur serait gagnant en obtenant un service de plus grande
valeur pour lui: s'il va dans un hypermarché, c'est qu'il y trouve
un gain !
2. En Roumanie, on a développé une
vraie obsession pour le système français d'assurances
sociales (assurances de santé et tout le système de
protection sociale), qui est pris pour modèle absolu de
justice sociale. Quels sont les atouts de ce système? |
Il est difficile de trouver des atouts à ce système car il fait
peser un poids considérable sur l'économie française et il est en
partie responsable de la faible croissance française et du taux de
chômage élevé. En effet, dans la mesure où son financement est
assuré par des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations
sociales), il conduit à une double destruction des incitations à
produire, à travailler, à épargner, à investir et à innover:
• d'une part,
plus on fait d'efforts productifs plus on paie d'impôts;
• d'autre part, même si on ne fait aucun effort productif,
on bénéficie des mêmes services d'assurance que les autres. |
Par ailleurs, l'administration de la Sécurité
sociale française est un monopole. Or, les monopoles sont toujours
mauvais. Si la concurrence existait, les assureurs imagineraient des
contrats d'assurance mieux adaptés aux besoins réels des assurés.
Ainsi, en France, on rembourse un médicament qui vaut un ou deux
euros, mais si un père de famille disparaît, sa famille risque de se
retrouver sans ressources. La liberté de choix de son assureur (par
exemple pour l'assurance-maladie) n'empêcherait pas de garantir aux
plus démunis un niveau satisfaisant de protection: il suffirait,
par exemple, de leur attribuer des « vouchers » (bons d'assurance)
qu'ils remettraient à l'assureur de leur choix.
3. En Roumanie, on vient de passer d'un
système de pensions basé sur un seul pilier – les pensions
publiques, d'État – a un système avec trois piliers:
pensions publiques, pensions obligatoires en administration
privée et pensions privées facultatives. Que fait la France
de ce point de vue? |
La France est un très mauvais exemple. Il existe
essentiellement un système public de retraites qui conduit à des
décisions arbitraires et injustes de la part de l'État, et des
compléments de retraite privés qui n'ont qu'un rôle limité.
L'essentiel dans ce domaine consiste à adopter un système de
retraite par capitalisation, comme l'ont fait avec succès un grand
nombre de pays dans le monde. Un système de capitalisation repose
sur la responsabilité personnelle, puisque chacun sait que son
niveau de vie, lorsqu'il sera à la retraite, dépend de son effort
d'épargne au cours de sa vie. Dans un système de répartition on est
plus irresponsable, puisque ce niveau de vie ne dépend pas de son
propre effort d'épargne, mais de ce que l'État obligera les actifs à
payer aux retraités.
4. Les syndicats et certains partis
politiques de Roumanie demandent la modification de la loi
des pensions obligatoires en administration privée pour y
introduire l'obligation des administrateurs de fonds de
pensions de garantir un rendement annuel minimal au moins
égal avec l'indice de l'inflation. Qu'est-ce que vous pensez
de cette initiative législative? |
Il n'est pas possible de garantir à l'avance un
taux de rendement, car celui-ci dépend de circonstances économiques
imprévisibles. Mais, normalement, dans une économie en croissance,
le taux de rendement nominal est supérieur au taux d'inflation. La
meilleure garantie vient, une fois de plus, de la concurrence:
celle-ci pousse chaque fonds à essayer d'obtenir un meilleur
rendement que les autres afin d'attirer des clients. La loi ne
permet jamais d'obtenir ce que la concurrence permet d'obtenir.
5. La France et la Roumanie ont encore
un point commun: le chômage accentué parmi les jeunes.
À votre opinion, quelle est l'explication de cette
similitude entre les deux pays? |
Je ne connais pas suffisamment bien les
caractéristiques du système roumain pour effectuer une comparaison
entre la Roumanie et la France. En tout cas, dans le cas de la
France, on peut évidemment évoquer les carences de l'éducation ou le
manque de motivation de certains jeunes. Mais il me semble surtout
essentiel de souligner deux obstacles à l'emploi des jeunes:
• L'existence
d'un salaire minimum obligatoire. Un jeune qui commence à
travailler a, en général, une productivité faible et il doit
passer par une période d'apprentissage. Si sa productivité
est plus faible que le salaire minimum, il ne sera pas
embauché. La suppression du salaire minimum peut apparaître
comme une mesure anti-sociale, mais elle en est exactement
le contraire. Ce qui est important c'est de permettre à un
jeune d'entrer sur le marché du travail, d'améliorer ainsi
sa formation et sa productivité et d'être capable
d'augmenter régulièrement son revenu. Le salaire minimum –
créé pour des raisons démagogiques – est en fait une
terrible barrière à l'emploi des jeunes.
• La rigidité du contrat de travail. Celui-ci rend très
difficile et très coûteux le licenciement d'un salarié par
une entreprise. Par conséquent, les employeurs potentiels
hésitent avant d'embaucher un jeune qui a peu d'expérience
et dont on ne sait pas à l'avance dans quelle mesure il sera
capable de s'adapter au travail qu'on pourrait lui proposer.
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