Montréal, 15 mai 2008 • No 256

 

OPINION

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 
 

FAIM DANS LE MONDE ET DIRIGISME

 

par Michel de Poncins

 

          Brusquement, comme à la manoeuvre, la presse et les médias mondiaux s'emparent du problème de la faim. Cette uniformité dans l’information est dérisoire et pénible, mais l'on est bien obligé de la subir. Il y a déjà longtemps que le problème existe et il est simplement aggravé par la hausse de certains produits alimentaires, ce qui n'enlève rien à l'ancienneté du mal. L’analyse est compliquée par la disparité des situations et des historiques: quel rapport entre le Zimbabwe, le Cambodge, le Kenya et le Mozambique? Il existe, toutefois, un fil conducteur que personne ne met en lumière: c’est l’intervention abusive des États.

 

          Cela commence par le sommet, c’est-à-dire les organismes internationaux représentatifs et instruments de la véritable dictature mondiale en installation permanente. Il est notoire que la FAO, censée lutter contre la faim, ne sert à rien, sinon à l’enrichissement de son personnel. Il en est de même des branches d’autres organismes dans la mesure où elles se consacrent à l’agriculture. La catastrophe se reproduit à tous les échelons des États eux-mêmes – j’ai montré que chacun des « paysans » que l’on n’a pas encore virés à l’aide sociale en France supporte sur ses épaules un bureaucrate qui travaille vaillamment au chaud ses 32 heures la semaine!

          Une évidence d'abord doit être indiquée, même si elle n'est pas soulignée par les médias: la terre peut nourrir des milliards d'hommes sans problème et l'Afrique, en particulier, victime abusive de la faim aujourd'hui, a toutes les ressources pour nourrir tous les Africains. Le seul problème ce sont les hommes de l'État, qui dans le monde entier agissent dans le cadre du dirigisme planétaire et génèrent la faim à la fois par leurs prélèvements abusifs et par leurs réglementations.

          Un signe de dirigisme planétaire se trouve dans la corruption. Celle-ci est d'autant plus importante que les organismes sont vastes. L'ONU en est un exemple. La secrétaire générale adjointe chargée du contrôle vient d’indiquer: « Nous ne nous attendions pas à découvrir un tel niveau de corruption ». Les enquêteurs ont mis au jour 190 dossiers attestant une corruption largement répandue et intrinsèque au sein des missions de paix au Congo et en Haïti, pays que la faim n’épargne pas. L'enquête établit qu’une trentaine de contrats sont frappés de fraude et de corruption soit 610 millions de dollars sur 1,4 milliard de contrats conclus depuis 2001. La dame est dotée d'un budget de 17 millions de dollars pour lutter contre la corruption. Plus il y aura de corruption plus elle-même s'enrichira – et elle est, par sa présence même et à due concurrence, l'une des causes de la faim dans le monde.

          La corruption gangrène aussi tous les circuits de l'aide étatique aux peuples qui ont faim. Cette aide disparaît dans les sables de l'utilisation malhonnête de l'argent distribué. Très souvent d'ailleurs celui-ci revient sous diverses formes irriguer les pays donateurs. La corruption détruit l’argent, certes, et détruit aussi la morale: le retour de la morale est nécessaire pour donner à manger aux pauvres.

          Les gigantesques impôts nécessaires pour « nourrir » les bureaucraties interétatiques et étatiques dans le monde entier provoquent « l’effet de ruine » et, comme il est de règle, ce sont les pauvres qui souffrent le plus de la dégradation de l’économie et, parmi eux, ceux qui ont faim.

          À la corruption et aux impôts, s'ajoutent les multiples réglementations qui s'abattent sur l'activité agricole en détruisant les informations et décisions qui résulteraient de l’action du marché libre. Les organisations internationales imposent des quotas de pêche qui, apparemment, sont censées protéger le renouvellement des espèces, mais qui en fait répondent simplement au bon plaisir momentané des politiques souvent actionnés par des lobbys: empêcher la pêche fait partie de la culture de mort.
 

« La vraie méthode pour nourrir les milliards d’hommes est de leur laisser la liberté de cultiver dans le cadre des marchés comme ils l’ont fait pendant des millénaires et de ne pas les ruiner par des charges étatiques dont le seul effet est l’enrichissement des hommes de l’État. »


          Il en est de même des jachères. Ce n'est que tout récemment que l'Europe a reconnu qu'elle avait eu tort d'imposer la mise en jachère d'une grande partie du territoire européen. Il s'agit d'une pratique tout à fait malthusienne que certains pourraient même qualifier de crime contre l'humanité. Il est facile d'apercevoir à cette occasion un mal intrinsèque des réglementations. Échappant par nature aux indications multiples et permanentes des marchés libres, elles diffusent sur des décennies leurs effets délétères et mettent encore plus de temps à les réparer. Combien faudra-t-il de temps pour que les territoires en jachère redonnent des productions valables? Et quand on s’aperçoit trop tard que le modèle a des défauts, on impose par la force un autre modèle – comme les efforts dérisoires et récents en Europe pour une agriculture que l’on baptise à la hâte du nom porteur d’« agriculture biologique ».

          La voracité des hommes de l'État empilés dans des organismes multiples s’est accompagnée de la volonté fixe d’orienter le monde entier sur une seule forme d'agriculture inspirée de l'agriculture généralement utilisée dans les plaines américaines. Cette forme d’agriculture est fort sympathique, mais il en est des milliers d’autres possibles. Chaque pays et, dans chaque pays, chaque territoire, peut avoir sa forme d'agriculture, les ajustements multiples devant se faire dans le cas du marché libre. À titre d'exemple, les agriculteurs polonais, s'ils ne résistent pas au pouvoir totalitaire européen, vont être punis sévèrement par l'Union européenne pour leur agriculture jugée rétrograde. Nous avons entendu des eurocrates les traiter avec mépris parce qu’ils continuent encore à cultiver avec des chevaux!

          Le résultat inévitable de toute cette construction bureaucratique est que des populations ont été conduites par dizaines de millions à quitter leurs cultures ancestrales pour aller s'entasser dans des bidonvilles dans l'attente d'une manne alimentaire extérieure. Et il se trouve, justement, que la hausse des matières premières les frappe de plein fouet. Quand les États-Unis subventionnent leurs agriculteurs, souvent hélas pour des raisons électorales, et inondent les pays africains de distributions de blé, cela rend obsolètes les cultures vivrières en Afrique et accélère la fuite vers les bidonvilles à la recherche des secours internationaux. Un empereur romain s’était plaint de ce que les distributions de blé à la plèbe réduisaient la production agricole…

          C’est tellement visible que lorsque la décision a été prise d’augmenter les aides aux agriculteurs américains, il y a quelques années, le Washington Post a écrit: « La nouvelle loi va aggraver la situation des pays pauvres exportateurs ». Nancy Birdsall, directrice du Center for Global Development, institut de recherche basé à Washington, a déclaré: « La mesure est très défavorable pour les pays en développement » et encore: « Elle montre avec éclat que les considérations d’ordre politique priment sur tout le reste et quand il y a des conséquences involontaires pour des pays qui n’ont pas vraiment leur mot à dire, c’est vraiment dommage ».

          La vraie méthode pour nourrir les milliards d’hommes est de leur laisser la liberté de cultiver dans le cadre des marchés comme ils l’ont fait pendant des millénaires et de ne pas les ruiner par des charges étatiques dont le seul effet est l’enrichissement des hommes de l’État.

          Plusieurs « sommets » de l’alimentation ont eu lieu. Le deuxième sommet mondial a réuni, en 2002, 180 pays à Rome: fêtes et richesse pour les délégués et inefficacité garantie pour les affamés de toute la Terre. J’ai déjà dénoncé ces « sommets » qui réunissent d’une façon fastueuse ceux-là même qui sont à l’origine du mal que l’on prétend conjurer.

          Bien entendu, si l’agriculture était libérée, il n’y aurait plus nécessités de « sommets », ni « d’assises » ni de « grenelles, » ni d’autres parlottes avec les fêtes en conséquence.