Un aspect important de la comparaison des
attitudes des deux banques centrales, BCE et Fed, réside
dans la différence entre les messages qu’elles ont adressés
à leurs économies respectives. Un changement de taux
d’intérêt de base est précisément un message en soi, adressé
tant aux entreprises qu’aux particuliers (lire à ce sujet
l’article «
Dans la crise financière, les banques centrales ne sont pas
innocentes » de Pascal Salin publié le 14 octobre 2007
dans Le Figaro).
De janvier 2001 à juin 2004, soit en 40 mois, la
Fed a
fait varier son taux d’intérêt de base de 6,5% à 1%, adressant ainsi à
l’économie les messages suivants: le taux d’intérêt de l’argent est une
composante élastique de l’économie. Qu’il monte ou qu’il baisse, cela n‘a
aucune importance. Si les citoyens ont besoin de consommer et n’ont pas
d’argent disponible, aucun problème, la Fed peut en fabriquer selon les
besoins. Elle n’hésite pas à prêter aux banques au taux de 1% quand celui de
l’inflation est de 2,5%, soit une véritable distribution gratuite de dollars.
L’argent n’a plus vraiment de prix, seule compte la consommation, même si les
produits achetés viennent de l’étranger. Les États-Unis sont tellement
puissants qu’ils sont le seul pays de la planète à pouvoir fabriquer de la
monnaie en toute impunité depuis les accords de Bretton Woods signés en 1944. Ces
messages sont très clairs et directement responsables du montage financier des
subprimes.
Et puis brusquement, de juillet 2004 à juin 2006,
changement de décor, le taux d’intérêt repart à la hausse pour aboutir à 5,25%
où il culmine sur l’éclatement d’une bulle astronomique jetant sur le trottoir
des dizaines de milliers de famille dont on reprend la maison pour défaut de
paiement. Mais les messages continuent dans la même veine: les banques
étasuniennes sont proches de la faillite? Qu’à cela ne tienne! Tiens, voilà des
liquidités, et si vous en voulez d’autres, vous n’avez qu’à
demander. Quant aux sans-logis, Dieu les a punis de leur
naïveté. Ils l’ont bien cherché!
Ne paniquons pas, les messages de la Fed continuent!
Retour en six mois à un taux d’intérêt de 2%, en dépit d’une
inflation passée à 3,6%. Consommez maintenant!
Pendant ce temps, une BCE décriée par tous maintient
l’Europe sur une ligne de stabilité (relative) des prix. Début 2006, son taux
directeur est de 2,25% et passe à 2,50% en mars, 2,75% en juin, 3% en août,
3,25% en octobre, 3,50% en décembre, 3,75% en mars 2007. Il est finalement
porté à 4% en juin 2007, et est resté à ce taux depuis. On peut admirer ce long
glissement de 1,75% en deux ans par rapport aux dents de scie désordonnées des
taux américains. À chaque nouvelle petite touche, le même message passe: le danger
de l’inflation se maintient en s’accroissant lentement. Aucun effet de panique
et le cours de l’euro s’accroît progressivement dans le même temps sans
à-coup notable. Les entreprises et les particuliers en comprennent le message
et agissent en conséquence, même si un certain agacement se manifeste devant
cette lente progression. L’euro prouve ainsi sa stabilité, et par là, sa
vocation à devenir LA monnaie internationale par excellence, car la mission
d’une telle monnaie, appelée à soutenir une économie de plus en plus
mondialisée, consiste précisément à maintenir fermement la valeur d’achat de
son unité, pour la meilleure régularité possible des transactions
internationales.
Nous y voilà! Comme je le soupçonnais déjà
dans un précédent article, la stratégie actuelle de la BCE semble destinée à offrir au monde
une monnaie stable et efficace pour le règlement des transactions
internationales, en remplacement du dollar, devise actuellement en perdition,
seulement soutenue par une mystique historique dont le substrat est devenu
largement obsolète. Dans ce précédent article, j’énumérais un certain nombre
d’initiatives prises par des entreprises, des pays et des institutions, pour
utiliser l’euro de manière de plus en plus générale.
Il est certain que dans une conjoncture politique mondiale
lourde de tensions stratégiques et économiques, il n’est pas possible qu’une
initiative de cette taille puisse être proposée de but en blanc par une
autorité politique nationale. Tout le monde y pense, mais personne n’ose en
parler. La classe politique attend sagement la suite du dépérissement du
dinosaure impérial, dont on craint les convulsions.
Le remplacement du dollar se fera donc très lentement, au
niveau de l’économie d’entreprise, propulsée par le bouche-à-oreille. Combien
de temps cela prendra-t-il pour qu’une partie significative du commerce soit
traitée en euros? Personne ne peut actuellement le dire. Mais en
attendant, Jean-Claude Trichet et son équipe continueront sans doute à veiller
au maintien de l’euro dans son statut d’alternative crédible au dollar:
stabilité, dosage dans la conduite de la politique du crédit, concertation avec
les autres banques centrales, sérieux et discipline, toutes qualités destinées
à forcer le respect.
|