Montréal, 15 septembre 2008 • No 259

QUESTIONS / RÉPONSES

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

DES QUESTIONS DE BASE
SUR LE LIBERTARIANISME

 

par Martin Masse

 

          Le nouveau « fil de discussion libre » sur le Blogue du QL semble susciter beaucoup de questions se rapportant aux principes de base du libertarianisme et à son application dans tel ou tel domaine. Un lecteur, Simon Tremblay, en pose quelques-unes.
 

 

S. T.: La première question que je me pose est à savoir s'il est correct de dire que sur certains sujets de la vie on peut avoir une position libertarienne ou bien s'il faut être libertarien à tous les points de vue? Bref, ça reviendrait à dire d'accepter le fait que l'État ait un rôle restreint à jouer...

M. M.:
Il est évidemment possible d'être libertarien seulement sur certains sujets. Une personne peut par exemple préconiser la libéralisation des drogues (une position libertarienne, dans la mesure où notre corps nous appartient et qu'on devrait pouvoir en faire ce qu'on veut), mais être en faveur des programmes pour redistribuer la richesse (une position socialiste). Est-ce que c'est toutefois faire preuve d'incohérence si l'on se dit libertarien tout en admettant un rôle pour l'État? Je dirais que oui, puisque logiquement les principes de base du libertarisme s'appliquent à tous les aspects de la vie en société. Mais au sein même du mouvement libertarien, certains veulent garder un État minimal, et d'autres considèrent que même cet État minimal serait nécessairement fondé sur une forme de coercition et donc contraire aux principes libertariens. Donc, sauf pour ces derniers, qui sont des libertariens « anarcho-capitalistes » et qui ont une position nette et radicale, la réponse à votre question n'est pas si évidente. Ma position de principe est celle des anarcho-capitalistes, mais je suis également réaliste et pragmatique et je pense que pour le moment du moins (la situation pourrait être différente dans 100 ou 200 ans...), on devrait surtout se préoccuper de réduire le rôle de nos États gargantuesques dans la mesure du possible.

S. T.:
Ensuite, à moins que je ne me trompe, un monde libertarien serait un monde sans État. Est-ce qu'il y aurait quand même un code de conduite global que les gens devraient suivre (des sortes de lois en fait!)?

M. M.:
Voir la réponse précédente. Bien évidemment, il y aurait d'autres institutions (fondées sur la coopération volontaire et la concurrence plutôt que sur la coercition et l'imposition d'un pouvoir monopolistique sur un vaste territoire) pour administrer les lois, protéger les gens et empêcher les agressions dans une société sans État (ou, selon un modèle alternatif, avec une multitude de micro-États). Les anarcho-capitalistes croient d'ailleurs que les relations entre les individus seraient beaucoup plus rationnelles et stables dans un tel monde où la violence étatique aurait disparu, même si la nature humaine reste bien sûr imparfaite, qu'il y aurait toujours des problèmes et qu'il ne peut exister d'utopie. De plus, chacun pourrait évidemment toujours adhérer volontairement au code de conduite qu'il souhaite – par exemple, à l'un de ceux proposés par les religions. Les libertariens anarchistes ne proposent absolument pas une société « anarchiste » dans le sens péjoratif du terme, c'est-à-dire un free for all sans aucune règle morale et légale où règne la violence, mais plutôt une autre façon d'administrer ces règles et de gérer les rapports entre les individus.

S. T.:
Est-ce que c'est correct de dire qu'un libertarien peut se poser des questions qui relèvent de l'éthique?

M. M.:
En fait, le libertarianisme découle entièrement d'une proposition éthique: il est immoral d'utiliser la violence (ou la menace de violence) pour imposer quelque chose à quelqu'un. Mais c'est une proposition éthique qui n'a que des conséquences politiques et juridiques. Pour le reste, lorsqu'on parle par exemple de moralité sexuelle, les libertariens n'ont aucune réponse à proposer. On peut donc être libertarien et conservateur religieux, ou libertarien et adepte de l'échangisme.
 

« Les libertariens anarchistes ne proposent absolument pas une société "anarchiste" dans le sens péjoratif du terme, c'est-à-dire un free for all sans aucune règle morale et légale où règne la violence, mais plutôt une autre façon d'administrer ces règles et de gérer les rapports entre les individus. »


S. T.: Et si oui à cette question, alors je ne sais plus trop quoi penser présentement. Je suis partagé sur plusieurs points. Je pense que c'est logique de vouloir que chaque individu jouisse de la plus grande liberté individuelle qui soit et chaque fois que je vois une entité telle que l'État restreindre la liberté des gens sur différents points de la vie courante je trouve ça complètement fou.

M. M.:
Vous exprimez ici une attitude fondamentalement libertarienne.

S. T.: Maintenant, je me dis que chaque personne doit vouloir son propre bien d'abord et avant tout et comme conséquence souvent que les personnes qui l'entourent doivent être heureuses pour que la première le soit. Bref, les échanges vont bien entre les gens, ceux-ci sont heureux, etc. Mais de penser que magiquement, que ce soit l'État ou l'économie qui régule la vie des gens vers un bonheur, il me semble que ça ne tient pas la route.

M. M.:
En effet, vous seul, en interaction avec les gens qui vous entourent, êtes l'artisan de votre bonheur, l'État ne peut certainement pas vous l'apporter, même si des politiciens démagogues prétendent pouvoir le faire. L'économie en soi ne peut rien apporter non plus, ce n'est pas un phénomène qui existe au-dessus de nos têtes mais simplement le résultat des interactions entre individus. Les libertariens préconisent toutefois quelque chose de crucial: faire en sorte que ces interactions se fassent uniquement sur une base volontaire. Donc, vous pouvez agir comme vous le voulez pour atteindre vos objectifs, réaliser vos désirs – ce qui inclut aider les autres (si c'est ce que vous souhaitez faire), entretenir votre bonheur – tant que vous n'empiétez pas sur la liberté et la propriété des autres. L'État contredit évidemment ce principe d'une multitude de façons tous les jours dans la vie de chacun d'entre nous.

S. T.:
Finalement, y a-t-il un intérêt économique à conserver en vie des personnes invalides (bref, qui ne peuvent travailler, peu importe la raison)? Si non, alors est-ce qu'un monde libertarien ferait en sorte que de telles personnes n'existeraient plus? (Je mélange peut-être des choses, mais je tente de poser ma question le plus clairement possible.)

M. M.:
Un « intérêt économique », c'est simplement la demande de certaines personnes qui s'exprime par leurs actions dans un marché libre. Les personnes invalides ont des familles et des amis qui tiennent à elles et qui s'occupent d'elles. Il n'y a aucune raison pour que cela ne soit plus le cas dans un monde libertarien. Les (mauvais) services fournis aujourd'hui par l'État à ces personnes seraient remplacés par d'autres services privés – il en existe d'ailleurs déjà. Beaucoup de gens dans la population en général se sentent aussi concernés par le sort des personnes handicapées et contribueraient davantage à ces organisations privées si elles n'avaient pas à payer autant d'impôt et à financer les services du gouvernement, en plus d'être plus riches dans une économie plus libérale. Bref, il n'y a aucune raison de croire qu'on se débarrasserait de ces personnes pour des raisons « économiques » dans un monde libertarien, l'économie s'adapterait à la demande pour leur venir en aide et elles seraient au contraire probablement mieux traitées.
 

 

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