Certes, on peut considérer comme souhaitable que les fonds
propres soient « suffisants » par rapport aux fonds prêtés.
D'ailleurs, au XIXe siècle, les fonds propres des banques
représentaient le plus souvent 60 à 80% de leur bilan: les
banquiers prêtaient les fonds qui appartenaient à leurs
actionnaires et le ratio élevé (et désiré) de fonds propres
constituait une garantie formidable de stabilité pour les
actionnaires comme pour les clients des banques. Les
banquiers étaient alors de vrais capitalistes – c'est-à-dire
des propriétaires de capital. Ils étaient responsables en
tant que tels.
À notre époque, on a cru possible de fonder le développement
économique sur le crédit et non pas sur les fonds propres.
Par ailleurs, une grande partie du crédit provient d'une
création ex nihilo, à savoir la politique monétaire
expansionniste, et non d'une épargne volontaire.
Simultanément, le dépérissement du capitalisme – résultant
lui-même bien souvent de l'interventionnisme étatique – a
fait en sorte que les grandes banques ne sont plus dirigées
par des capitalistes, propriétaires du capital, mais par des
managers qui, ne supportant pas eux-mêmes les risques de
l'actionnaire, sont tentés de maximiser les profits à court
terme.
Dans le monde capitaliste du XIXe siècle, plus stable que le
monde financier actuel, le crédit bancaire résultait des
décisions des actionnaires des banques. Dans l'univers
étatisé de notre époque, c'est le contraire qui se passe. On
impose arbitrairement un ratio de fonds propres qui ne fait
que mimer un vrai monde capitaliste, mais cela conduit à
l'apparition de bulles financières. Les établissements de
crédit maximisent le montant de leurs crédits et essaient
ensuite par des manipulations de présenter un ratio de fonds
propres conforme à la réglementation. Une réglementation qui
impose un résultat ne remplacera jamais le libre jeu des
décisions d'êtres humains responsables (c'est-à-dire
capitalistes). C'est pourquoi les appels constants lancés de
nos jours en faveur d'une plus forte réglementation des
marchés financiers ne sont pas fondés.
Certes, on peut reprocher aux établissements financiers de
n'avoir pas été plus prudents. Cela résulte des structures
institutionnelles de notre époque que nous avons rappelées.
Mais cela reflète aussi le fait que l'information ne peut
jamais être parfaite: un système capitaliste n'est pas
parfaitement stable, mais il est plus stable qu'un système
centralisé et étatique. C'est pourquoi, au lieu de
stigmatiser une prétendue instabilité du capitalisme
financier, on devrait stigmatiser l'extraordinaire
imperfection de la politique monétaire. On peut regretter
que les managers des grandes banques n'aient pas été plus
lucides et n'aient pas mieux évalué les risques qu'ils
prenaient dans un monde où la politique monétaire est
fondamentalement déstabilisatrice. Mais c'est précisément et
surtout ce caractère déstabilisant de la politique monétaire
que l'on doit déplorer. Arrêtons donc les procès faits à
tort au capitalisme et recherchons au contraire le moyen de
libérer les marchés financiers de l'emprise étatique.
|