Parvenu à ce point, un pas est encore nécessaire. Pourquoi,
en effet, le gouvernement désire-t-il procurer des bénéfices
immédiats au prix de sacrifices ultérieurs? La raison en est
simplement que l'« on voit » les bénéfices immédiats, alors
que l'« on ne voit pas » les sacrifices au moment où les
premiers sont procurés. Ils finissent certainement par
apparaître. Mais le gouvernement peut toujours compter sur
l'incapacité de l'opinion publique à rapporter une crise
économique actuelle à ses causes politiques passées. Du
moins l'a-t-il pu jusqu'à aujourd'hui.
Et pour quelle raison le
gouvernement désire-t-il procurer des bénéfices visibles
au prix de sacrifices invisibles? Parce que les
individus qui le composent y sont incités par le système
politique dans lequel ils agissent: la «démocratie».
La démocratie n'a rien à
voir avec la liberté de la presse, ou bien la séparation de
l'Église et de l'État. Il peut y avoir des démocraties
n'ayant pas ces caractéristiques, et des régimes
non-démocratiques qui les ont. Ce qui caractérise la
démocratie, c'est le fait que l'organisation qui monopolise
l'utilisation légale de la violence – constitutive de tout
État – soit contrôlée par qui obtient le plus grand nombre
de suffrages. Or on réunit des suffrages en promettant et
faisant pleuvoir des avantages présents visibles dont les
désavantages futurs sont invisibles. On est élu, par
exemple, sur un programme d'expansion de pseudo droits
sociaux, de vastes chantiers publics, de « relance de la
consommation », etc., toutes choses qui ne peuvent être
financées que par la taxation. C'est là, d'une manière
générale, le seul moyen d'action publique.
Mais la taxation présente
ne peut pas être indéfiniment accrue: toute taxation
diminuant l'activité économique, dont elle spolie le
produit, il est un point au-delà duquel l'activité serait si
diminuée par l'augmentation de la taxation que les recettes
fiscales, c'est-à-dire le « pouvoir d'achat » du
gouvernement, s'en trouveraient elles-mêmes amoindries. Il
est alors nécessaire de différer la spoliation, c'est-à-dire
de mener des politiques monétaires expansionnistes; bref,
d'engendrer une inflation monétaire.
Pire, le système
démocratique ne pousse pas seulement, structurellement, à la
social-démocratie, à la taxation et à l'inflation; il incite
aussi ceux qui sont « aux commandes » à combattre les
réajustements nécessaires à la solution des problèmes
qu'eux-mêmes, ou leurs prédécesseurs, ont posés à la
société. Le mot d'ordre des gouvernants et des banquiers
centraux, « pas de crise sous mon règne », revient en effet
à dire: « pas de retour à la réalité concomitant à mon
exercice du pouvoir ».
S'il y a bien eu une
catastrophe financière aux États-Unis, ce n'est pas la chute
vertigineuse récente, non plus que la première vague de la
crise des subprimes, il y a tout juste un an. C'est la pluie
de dollars déversée par la Fed entre 2000 et 2004. C'est
cette inondation qu'il faut comparer, par les ravages
qu'elle provoque aujourd'hui – à un degré bien supérieur – à
l'ouragan Ike. En effet, loin de répandre un pouvoir d'achat
réel, elle a eu pour conséquence de détruire de la
richesse.
Ceci compris, il faut
remonter au péché originel, c'est-à-dire au système
politique ayant incité, et incitant toujours, à un tel
désastre. L'existence d'un appareil permettant de recourir
légalement à la violence n'est certainement pas désirable;
mais ce qui l'est encore moins, c'est que celui-ci soit
ainsi constitué qu'il ait structurellement tendance à
étendre son pouvoir et ses ravages, et notamment sa capacité
à hypothéquer l'avenir. Or tel est nécessairement le cas
lorsque sa constitution est démocratique.
On peut affirmer que la
crise financière actuelle est en réalité une crise du
système politique de manipulation de la monnaie, et que sa
solution passe par la séparation de la monnaie et de l'État,
c'est-à-dire par le démantèlement des banques centrales et
la dénationalisation de la monnaie. Il est aussi vrai que
telle est la seule manière possible d'éviter de nouvelles
crises à l'avenir. Mais il faut prendre la mesure de ce que
cela implique: 1) la cessation de toute politique monétaire;
et 2) la disparition de la social-démocratie, car un tel
régime est simplement impraticable sans s'appuyer sur un
système monétaire étatisé, ne pouvant se financer uniquement
par les impôts actuels. On n'a pas à redouter cette
disparition. Car dire qu'elle ne peut être financée que par
l'inflation, c'est dire qu'elle est condamnée à la faillite.
Surtout, il ne faudrait
pas se méprendre sur le sens de la « liberté politique » –
ce que l'on fait couramment en lui donnant deux
significations opposées. Si l'on parle du respect des droits
fondamentaux de tous, c'est-à-dire du droit de chaque
individu de diriger sa propre vie, à l'abri de toute
violence, alors on parle d'une liberté vis-à-vis de
la politique, laquelle est pleinement garantie par une
société de marché fondée sur la sacralité de la propriété
privée. En revanche, si l'on parle de la liberté de choisir
qui aura le contrôle des instruments politiques de
coercition permettant de taxer, dépenser et redistribuer la
richesse, alors on parle d'une soi-disant « démocratie
sociale » qui ne peut être, concrètement, que la négation
constante de la première et, à terme, la négation
d'elle-même.
Cette distinction simple
est très claire dans le cas de la monnaie. Bien qu'elle soit
la moins défendue de toute, la liberté monétaire est l'une
des plus essentielles à toute société développée. Car la
monnaie est cette marchandise dans laquelle certains
calculent la valeur de leurs investissements, et dans
laquelle tous reçoivent le prix de leurs efforts de
production, et placent leurs efforts ultérieurs d'épargne.
Il importe donc que la valeur n'en soit pas exposée, même
indirectement, aux manipulations politiques, mais soit au
contraire mise à l'abri de ces dernières, par la liberté qui
s'exerce dans un système fondé sur la concurrence.
Lorsque la production
monétaire est monopolisée par une banque centrale, il n'y a
aucun moyen de protéger la propriété privée de la spoliation
par l'inflation. Mais, comme l'écrivait Alan Greenspan
lui-même, « la politique financière de l'État-providence
exige que les détenteurs de richesse n'aient aucun moyen de
se protéger » (Cité par Pierre Leconte dans
La
Grande Crise Monétaire du XXIe siècle a déjà commencé!,
Jean-Cyrille Godefroy, 2007).
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