Ce
qui faisait écrire à Alain Brunet, chroniqueur spécialisé
dans le domaine de la musique à La Presse, qu’« on aura beau
dire que le CD connaît une fin plus douce au Québec que dans
les grands marchés du monde, ces statistiques récentes
indiquent néanmoins qu’il sera rattrapé par son destin.
Depuis la mort annoncée du CD physique, c’est-à-dire au
tournant de cette décennie, le marché québécois a été
protégé par ses propres consommateurs, qui ont consciemment
freiné leur transition dans l’univers numérique lorsqu’il a
été question de télécharger les produits québécois. Ce n’est
plus tout à fait le cas. »
Protégé?! J'ignore où il prend cette idée que les
consommateurs québécois ont « consciemment freiné leur
transition dans l’univers numérique lorsqu’il a été question
de télécharger les produits québécois »? Avez-vous déjà
tenté de télécharger du matériel québécois illégalement?!
N’importe qui ayant tenté la chose vous le dira: il y a
beaucoup d'artistes de la Belle Province qui sont
introuvables. On commence à peine, ici et là, à pouvoir
télécharger en toute légalité des chansons à l'unité...
Alors lorsque les
porte-parole de la culture vous parlent de la disparition du
CD à la faveur d'un téléchargement généralisé ou des
terribles répercussions du piratage sur la vie des artistes,
dites-vous qu'ils sombrent dans la démagogie. Parce qu’ils
savent très bien – ou les enfants des plus vieux en tout cas
le savent très bien – que la musique québécoise n’est pas
vraiment touchée par cette réalité. Et ce n’est pas parce que les
Québécois ont décidé, par solidarité, de freiner leurs
ardeurs.
Les problèmes qu’éprouve
la musique québécoise francophone se situent donc ailleurs.
Peut-être est-ce parce que l’offre ne rejoint pas la
demande? Comme c’est souvent le cas lorsque des fonds
publics sont impliqués – qu’on pense au secteur du livre qui
publie chaque année 4000 titres, dont la plupart finissent
sous le pilon –, beaucoup de CD offerts ne trouvent pas
preneurs. Bien sûr, les artistes « underground » d'aujourd'hui
sont souvent les artistes « mainstream » de demain,
mais l’offre québécoise est peut-être trop axée sur les
artistes dont les produits ne répondent qu’à une infime
partie de la population. (Cela expliquerait la propension
des artistes d'ici à faire dans le disque ou le spectacle « collectif ». Les
artistes, incapables de générer un intérêt suffisant, se
regroupent et participent à des disques/concerts hommage.)
Peut-être se fait-il trop
de produits pour la taille du marché – pour reprendre
l’argument préféré des intervenants du milieu: celui de la
taille du marché, pas celui qu’il y a trop de produits…
Parce que si la plupart des livres finissent sous le pilon,
qu’advient-il de la plupart des disques? Y a-t-il un
« pilon » pour les disques? Une sorte de gros four dans
lequel on les fait fondre pour en fabriquer d’autres?
Sans doute.
De plus, bien des Québécois estiment
peut-être ne pas avoir besoin d’acheter
des disques, tellement la radio fait tourner de musique
québécoise. C’est vrai, grâce à notre fameux système
de quotas digne de l'ex-Union soviétique, les stations sont obligées de faire
tourner 65% de musique francophone aux heures de grande écoute.
Quelqu’un qui aime le son québécois le moindrement est bien
servi.
Va pour les CD, mais comment expliquer que la popularité des
spectacles est à la baisse, alors? Hmm… Pour toutes les
raisons susmentionnées et aussi parce qu’à force de se voir
offrir des concerts « gratuits », c'est-à-dire, payés par la
collectivité – n’allez pas croire que les artistes sont si
généreux qu’ils donnent leur art! –, les gens en sont venus
à se dire « Pourquoi débourser pour des billets quand on
peut voir le spectacle gratis? » Ils ne sont pas fous. Leur
budget étant limité, ils font effectivement des choix
différents et mettent leur argent ailleurs.
Ils le mettent dans des
iPods, des voyages, des soupers au resto, une
nouvelle télé à écran plat, de nouveaux vêtements, etc. La
culture est tellement partout et gratuite (les festivals,
les films, le musée, l’autobus pour s’y rendre…), que le
consommateur a moins besoin de débourser d'argent pour
combler ses besoins en chanson québécoise. Dans leur effort de
« démocratisation de la culture » (concept bidon qui en fait
veut dire « faire payer ses sorties et produits culturels
par la masse »), nos politiciens ont fait en sorte que les
Québécois croient de plus en plus que la culture québécoise
doit être gratuite – donc, qu’elle est sans valeur. Bravo.
Comme l’écrivait Richard
Martineau durant la récente crise (!) du financement de la
culture par les conservateurs, « consommer de la culture, ce
n'est pas seulement écouter Rire et délire à TQS ou manger
un hot-dog sur le site du Festival de jazz ou du Festival
d'été de Québec en reluquant le cul des filles qui passent
devant le kiosque Budweiser. […] C'est AUSSI acheter un
billet de spectacle. Vous savez, les bouts de carton que les
gars déchirent à l'entrée de la salle? » Semblerait que le
concept soit de plus en plus abstrait pour de plus en plus
de monde.
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