Pessimisme et optimisme sont pourtant les deux faces
indissociables du même comportement humain. Ni l’un ni
l’autre n’excluent l’espérance. Ils sont les deux pôles
d’un continuum variant le long d’une échelle interprétative
(tel le célèbre index médical de la qualité de vie) et se
succédant au gré des circonstances. Tous deux portent sur la
totalité de la durée, et expriment un jugement de valeur sur
les faits existants ou ayant existé ou pouvant être
anticipés. Ils expriment le degré de confiance qu’il
convient d’accorder à l’efficacité de l’action humaine dans
la réalisation de ses buts. Nous remarquons aussitôt
l’ambivalence et l’oscillation permanente des deux
attitudes: ainsi, par exemple, la science est souvent
présentée comme la meilleure et la pire des choses. Les
technologies, par exemple encore, quoique capables
d’améliorer la vie des hommes sont également tenues pour
responsables du probable désastre écologique planétaire. En
fait, en dépit des espoirs longtemps mis dans l’expansion
des sciences et de l’importance prise par les sciences de
l’homme (sociologie, ethnologie, psychologie, etc.) pour
maîtriser le destin, toujours plus nombreux sont les
sceptiques qui récusent la possibilité d’un soi-disant
« déterminisme historique », qu’ils estiment être naïvement
mécaniste et réducteur. La valorisation du progrès est
néanmoins largement promue par toutes les idéologies
politiques.
On est toutefois tenté de
donner entièrement raison aux sceptiques quand on considère la
façon dont la « catastrophe » économique actuelle, qui n’est
finalement que la résultante d’entreprises entièrement
humaines, est présentée, c'est-à-dire comme un phénomène « naturel » ayant
échappé à toute anticipation. Elle possède dans les
métaphores des commentateurs les traits d’un tsunami, ou
d’un tremblement de terre, ou d’une pandémie, etc., à
savoir: brutalité extrême, imprédictibilité, conséquences
dramatiques… Certains « pessimistes » l’avaient pourtant
annoncée, modernes Cassandre qui font à présent figure de
visionnaires. Doit-on considérer que l’analyse lucide des
pessimistes était la plus pertinente? Et que l’optimisme
affiché jusqu’au triomphe du réel n’était qu’un volontaire
aveuglement?
Il apparaît donc de plus en plus schématique de qualifier de
« bon » l’optimisme et de « mauvais » le pessimisme, car
aucun ces qualificatifs ne correspond à une quelconque
supériorité de nature de l’une ou de l’autre attitude ni ne
confère une garantie de réussite quand se pose le choix
d’une action.
D’ailleurs il nous semble
que seule devrait en fait importer la validité d’une analyse
sans considération de son impact mental. Ni le pessimisme,
ni l’optimisme ne sauraient être des arguments à opposer à la
pertinence d’une idée et il serait absurde de nier la
validité d’une analyse au motif que ses conclusions sont
décourageantes. Considérer qu’une intervention (telle, par
exemple celle des États dans la crise économique actuelle)
aura à terme un impact négatif est pessimiste eut égard aux
préconisations de la majorité des « experts ». Cette analyse
est pourtant jugée réaliste par les libertariens, auxquels
certains, au contraire, reprochent la logique du « laisser
faire » des marchés, qu’ils interprètent comme une forme de
fatalisme. Cela n’altérerait pourtant nullement la
conviction des libertariens d’être dans le vrai de
l’économique ni n’entraverait leur volonté d’action (i.e.
l’éducation des masses et non la propagande festive destinée
à encourager la consommation).
Je propose donc
d’abandonner dans un débat dialectique digne de ce nom tout
argument de psychologie de bazar, lequel ne peut que remplir
une fonction de « troll » et stériliser la discussion. Tels
qu’ils sont utilisés, les termes de pessimisme ou
d’optimisme ne sont que de faux arguments qui ne s’élèvent
pas au-dessus de l’opinion subjective.
Néanmoins, pour conclure,
je vais donner mon opinion personnelle, telle qu’elle a fini
par se forger lors du demi-siècle passé en France. J’affirme
qu’il existe une corrélation très forte, surprenante en
apparence seulement, entre le pessimisme (ici
entendu comme anticipation négative de l’avenir) des
populations et le niveau d’interventionnisme de l’État.
Toute la résolution des difficultés étant déférée à l’État,
les individus se sentent désarmés lorsque celui-ci se trouve
impuissant à les résoudre. En France, il ne viendrait
quasiment à personne l’idée d’utiliser son propre bon sens
et ses propres ressources pour se tirer d’affaire. Au
demeurant, dans un tel système de gouvernance l’initiative
individuelle serait empêchée. L’impuissance d’un État omniprésent
à prendre en charge les difficultés sociales provoque logiquement un sentiment d’abandon dans
des
populations incapables d'imaginer envisager l'avenir de
façon autonome. Le welfare génère donc obligatoirement le
pessimisme.
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