Et sur la Toile, Anderson
soutient que l’économie de la gratuité peut être divisée en
six grandes catégories:
1) Les « Freemiums »
– Ce qui est gratuit: des logiciels et
des services, un peu de contenu.
– Gratuit pour qui: les
usagers de la version « de base ».
Voilà l’un des modèles d’affaires les plus communs sur le
Web. Il s’agit du site de contenu qui offre un accès
gratuit, mais limité, à ses pages et un accès payant, donc
complet. Ou le producteur de logiciel qui offre une version
gratuite de son produit, avec un accès à
seulement quelques-unes des fonctionnalités du logiciel, et une
version payante, offrant toutes les possibilités du produit.
« En ligne, le site typique suit la règle du 1% – 1
pourcent des utilisateurs soutiennent tous les
autres. Dans le modèle du "freemium", cela signifie
que pour chaque utilisateur qui achète la version
complète (the premium version), 99 autres
obtiennent la version gratuite de base. Et la raison
pour laquelle cela fonctionne est que le coût de
servir les 99% est suffisamment près du zéro pour le
désigner comme… nul. » |
2) La publicité
– Ce qui est gratuit: du contenu, des
services, des logiciels, et plus.
– Gratuit pour qui: tout
le monde.
Pensez à toutes ces bannières et publicités que l’on voit
sur les sites. Aux recommandations sur Amazon (« Les clients
qui ont acheté cet article ont aussi acheté: »). Pensez à
l'inclusion de termes prépayés dans les pages de résultats
de recherche, aux sites de redirections qui offrent des
listes d’articles reliés à un sujet en particulier (et qui
se paient à l’aide de bannière de pubs). Aux entreprises qui
font du placement de produit (PayPerPost) sur les
sites de réseautage comme Facebook. « Toutes ces approches
sont fondées sur le principe qui veut que les biens et
services offerts gratuitement construisent des audiences aux
intérêts et besoins bien distincts que les annonceurs
publicitaires paieront pour atteindre. »
3) Les « subventions croisées » (Cross-subsidies)
– Ce
qui est gratuit: tout produit qui vous incite à payer pour
obtenir quelque chose de plus.
– Gratuit pour qui: quiconque
éventuellement prêt à payer, d’une façon ou d’une autre.
Lorsque votre épicier offre les bananes à 15 cents la livre,
il espère que vous viendrez en acheter et que, chemin
faisant, vous en profiterez pour prendre au passage (et à
plein prix cette fois-ci) du lait, du pain et de la viande.
Idem lorsque votre fournisseur de téléphonie cellulaire vous
offre un téléphone cellulaire gratuit lorsque vous vous
abonnez à son tout nouveau forfait qui vous offre un nombre
X de minutes par mois et un accès illimité les fins de
semaine. « Votre fournisseur de téléphonie cellulaire ne fait
peut-être pas d’argent avec les minutes que vous utilisez
chaque mois – il garde bas le niveau des frais parce qu'il
sait que c’est la première chose que vous regardez lorsque
vous choisissez un fournisseur –, mais vos frais mensuels de
messagerie texte sont de purs profits. »
4) Zéro coût marginal
– Ce qui est gratuit: tout ce qui peut être distribué sans
que quiconque n’aie à défrayer un important montant.
– Gratuit pour qui: tout le monde.
« Rien ne décrit aussi bien cette catégorie comme la
musique en ligne. Entre la reproduction numérique et
la distribution "peer-to-peer", le vrai coût de distribution de la musique a
littéralement fondu. Voilà un cas où le produit est devenu
gratuit grâce à une sorte de force de gravité économique –
avec ou sans modèle d'affaires. Cette force est si puissante
que toutes les lois, tous les recours à la bonne vieille
culpabilité, le DRM (Digital Rights Management, ou
Gestion des droits numériques), et toutes les
entraves à la piraterie que les maisons de disques
ont pu inventées, ont échoué. » |
Des artistes distribuent gratuitement leur musique en ligne
afin de promouvoir leurs concerts ou vendre des produits
dérivés. Pendant ce temps, d’autres artistes se disent que,
pour eux, la musique n'est pas une affaire d’argent. C'est
plutôt une façon de s’exprimer, d’atteindre un certain degré de
notoriété, de s’amuser et d’attirer les filles.
5) L’échange de services
– Ce qui est gratuit: des sites Web
et des services.
– Gratuit pour qui: comme l’utilisation de
ces sites et services crée de la valeur, tous les usagers.
« Vous pouvez avoir accès à la porno gratuite si vous
résolvez quelques
captchas, ces boîtes de texte brouillé utilisées pour
bloquer les
bots. Dès lors, ce que vous faites, c’est donner des
réponses à un bot utilisé par des spammeurs pour gagner
l’accès à d’autres sites – ce qui vaut beaucoup plus à
leurs yeux que la bande passante que vous consommez pour
regarder des images. » De la même façon que lorsque vous
évaluez des histoires sur Digg, que vous votez sur les
« Yahoo Answers », ou que vous utilisez le service Google
411. Dans chaque cas, le seul fait que vous utilisiez le
service crée de la valeur, en améliorant le service comme
tel ou en créant de l’information qui peut être utile
ailleurs. 6) L’économie du cadeau
– Ce qui est gratuit: tout le
pactole! Que ce soit des logiciels libres ou du contenu
généré par les usagers.
– Gratuit pour qui: tout le monde.
Inutile d’élaborer ici. Il s’agit de tout ce qui est gratuit
(comme dans « cadeau ») et qui ne comporte pas de conditions.
Aucun petits caractères presqu’illisibles au bas de la page.
Le nouveau nerf de la guerre |
Comme le souligne Anderson, l'argent n'est pas la seule
ressource rare dans le monde. Le temps et le respect en sont
deux
autres que nous connaissons depuis
toujours, mais qui jusqu’à très récemment ne pouvaient être
mesurés convenablement.
L’« économie de l’attention » et l’« économie de la réputation »
sont peut-être des concepts trop flous pour mériter un
département dans une université près de chez vous, « mais on
retrouve quelque chose de bien réel au coeur des deux », nous
dit Anderson. « Grâce à Google, nous avons maintenant une
façon pratique de convertir de la réputation (le PageRank)
et de l'attention (le trafic) en de l'argent (les annonces).
Et tout ce que vous pouvez convertir pour ensuite encaisser est
une forme de monnaie. Dans ces échanges, Google joue en
quelque sorte le rôle de banque
centrale [!] pour ces nouvelles économies. »
Le Québécois Libre et le Blogue du QL sont deux
bons exemples de ces nouvelles économies « de l’attention » et
de « la réputation ». Ces deux sites gratuits (pour leurs
utilisateurs) sont parmi ceux qui possèdent un des
classements (Page Rankings) les plus élevés au
Québec sur les moteurs de recherche. Il est maintenant
impossible de faire une recherche sur n’importe quel sujet
de l’actualité sans tomber sur une page très bien classée du
QL ou du Blogue dans les résultats – même,
quelquefois, devant des sites comme radio-canada.ca, cyberpresse.ca
ou ledevoir.com.
À titre d’exemple, une recherche (effectuée le 5 décembre)
sur Google.ca avec le terme « malbouffe » donne la 2e place
sur 313 000 hits à un article du QL. L’expression
« culture subventionnée », donne la première place à un
article du QL sur 197 000 hits. Le terme
« syndicalisme » donne la 6e place à un texte du QL sur
un total de 1 100 000. L’expression « aider les pauvres »
donne la 2e place à un billet du Blogue sur 2 170 000
résultats. Les mots « Bien être social » donnent la 5e place
sur 7 620 000 hits à un billet du Blogue.
Bien sûr, cette notoriété a une valeur pour nous. Ne
serait-ce que celle de nous encourager à poursuivre à
diffuser les idées que nous mettons de l’avant.
Car cette notoriété est représentative de
la popularité de ces idées. Plus il y a de liens vers un
site, plus ce site est bien classé par un moteur de
recherche comme Google, plus il fait l’objet de nombreux
liens et, en bout de ligne, plus il est lu.
« Il y a vraisemblablement une réserve limitée de
réputation et d'attention dans le monde à n'importe
quel moment dans le temps, poursuit Anderson. Ces
dernières sont les nouvelles raretés – et le monde
de la gratuité existe surtout pour acquérir ces
biens valables pour le bien d'un modèle d'affaires
en voie d'être défini. La gratuité change le
focus de l'économie de ce qui peut être quantifié
dans des dollars et des cents en une comptabilité
plus réaliste de toutes les choses auxquelles nous
accordons une valeur aujourd'hui. » |
Interrogé à savoir s’il allait donner accès à son livre
Free gratuitement sur le Net, Chris Anderson
a
répondu dans l’affirmative: « Absolument! Je ne compte pas
faire d’argent avec la vente du livre. Mon but est de rendre
mes idées disponibles. De toute façon, on ne fait pas
d’argent avec la vente de la plupart des livres. Si j’en
fais, ce sera dans le cadre de séminaires et de conférences
(speaking engagements). »
Un peu comme les chanteurs et musiciens qui donnent de plus
en plus leur musique pour faire la promotion de leurs
spectacles, les auteurs vont-ils donner de plus en plus
leurs livres pour faire accroître la participation à leurs
conférences? Seul l’avenir le dira.
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