Montréal, 15 janvier 2009 • No 263

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 

 

ÉDITORIAL

LA SOLUTION À LA CRISE: RÉDUIRE
LES IMPÔTS ET LES DÉPENSES

 

par Martin Masse

 

          Au cours des dernières semaines, la grande majorité des organisations et des économistes canadiens, inspirés par les folies dépensières de Bush et d'Obama et par la logique keynésienne de « soutien à la demande », ont suggéré au ministre des Finances Jim Flaherty de présenter dans son prochain budget un plan de dépenses avec ou sans réduction d'impôt. Il y a unanimité sur l'inévitabilité et la nécessité d'un déficit.

 

          L'Institut C.D. Howe s'est un peu distingué récemment en proposant des réductions d'impôt importantes pour encourager les investissements, sans augmentation majeure de dépenses, ce qui implique toutefois aussi un manque à gagner budgétaire. Cette logique, même si elle est bien moins néfaste que la précédente, n'est pas non plus une solution appropriée. On peut bien remettre de l'argent dans les poches des contribuables et des entreprises mais l'important n'est pas simplement de transférer de l'argent, mais des ressources réelles.

Jim Flaherty          De l'argent, le gouvernement peut en trouver à la tonne en l'empruntant ou en l'imprimant, comme il l'a fait pendant la période de boom inflationniste qui a mené au présent krach. Un boom inflationniste ne crée cependant par plus de ressources réelles (on parle ici de main-d'oeuvre, de matériaux, de machines, d'édifices, etc.), même s'il en donne l'illusion. On pensait que cela générait de la prospérité; en fait, quelques secteurs comme l'immobilier ont connu une bulle insoutenable, l'endettement a atteint des niveaux record et on a dilapidé le capital qui aurait dû être investi dans des secteurs qui correspondent à une demande réelle et solvable.

          Ce qu'il faut pour permettre à ces déséquilibres de se purger graduellement et à l'économie de se réajuster, c'est une migration des ressources réelles des secteurs qui ont été artificiellement gonflés vers ceux qui n'ont pas pu croître autant qu'ils auraient dû dans un contexte normal.

          Ainsi, une certaine proportion des travailleurs de la construction doivent cesser de construire des maisons à prix fou qui ne se vendront pas à moins qu'on continue à distribuer des hypothèques à des acheteurs insolvables, et trouver du travail dans un autre domaine. Les génies du secteur financier qui concoctaient des formules alchimiques pour justifier la vente de titres sans valeur doivent aussi se trouver des emplois plus productifs. Partout dans l'économie, des ressources réelles mal employées doivent d'abord être liquidées (ce qui implique temporairement du chômage, des ventes de feu, des fermetures d'usine, etc.) pour pouvoir se trouver un usage plus approprié où une richesse réelle sera produite de manière durable.

          Pour que cela se produise, le gouvernement ne doit rien faire pour l'en empêcher. Moins il y aura d'entraves à cette migration des ressources, plus ce processus se produira rapidement et moins la crise sera longue. La pire chose à faire est de répéter les erreurs de la Grande Dépression, pendant laquelle les gouvernements ont pratiquement tout fait ce qu'il était possible de faire pour décourager les entrepreneurs et les investisseurs. La meilleure façon de contribuer à accélérer la reprise serait plutôt pour le gouvernement de s'enlever du chemin, d'éviter lui-même d'accaparer des ressources et même de rendre disponible au secteur privé des ressources qu'il utilise mal.

          Les plans de dépenses et de travaux publics gigantesques par le gouvernement ont simplement pour effet d'empêcher ce réajustement. Le gouvernement accroît en effet dans ce cas sa demande pour des ressources réelles qui, au lieu d'être disponibles et de voir leur prix baisser, sont encore moins à la portée des entreprises qui souhaiteraient en employer davantage.
 

« La seule solution pour transférer concrètement des ressources réelles du secteur public au secteur privé est simple: réduire les impôts et réduire les dépenses du gouvernement, c'est-à-dire diminuer réellement la demande de l'État pour des ressources réelles. »


          Les dépenses du gouvernement sont la plupart du temps basées sur des justifications politiques et non économiques. Elles ne correspondent pas nécessairement à une demande réelle. Le gouvernement les finance avec des impôts qu'il a soutirés aux contribuables et aux entreprises. On enlève d'une main ce qu'on redonne de l'autre, en créant du gaspillage et des distorsions additionnelles en route. C'est pourquoi augmenter les activités du gouvernement n'a pas pour effet de « soutenir l'économie », comme le répètent quotidiennement dans les médias les illettrés économiques, mais bien de la couler encore davantage.

          Ces dépenses publiques ne sont pas plus justifiées en période de ralentissement alors que des ressources semblent être inutilisées (des travailleurs qui sont au chômage ou des usines qui sont fermées) et qu'on se dit qu'il est tout de même préférable de les occuper à quelque chose. Avant de se trouver un usage plus pertinent, une ressource doit nécessairement passer par une période d'inactivité. Un réajustement prend nécessairement du temps. En venant s'accaparer ces ressources pour les activer de manière artificielle parce qu'il veut absolument intervenir à court terme, le gouvernement les empêche de trouver un usage plus productif dans le secteur privé et court-circuite donc la reprise à moyen terme.

          La proposition de l'Institut C.D. Howe a le mérite de limiter les dégâts des plans de dépenses keynésiens. Sauf qu'en réduisant les impôts des entreprises et des contribuables sans diminuer les dépenses de l'État, on ne fait que placer le secteur privé et le gouvernement en concurrence l'un avec l'autre pour l'obtention de ressources réelles. Qui va obtenir les ressources qui correspondent à ces fonds de 26 milliards $ que le gouvernement retourne en baisse d'impôt mais qu'il continue aussi à dépenser en s'endettant?

          Il n'est pas du tout évident que ce soit le secteur privé qui en ressorte gagnant. Le gouvernement peut se permettre d'offrir un prix plus élevé (ou des salaires plus élevés) que des entreprises pour ces ressources, puisqu'il n'a aucune exigence de rentabilité. En finançant ses dépenses par la dette, le gouvernement vient aussi chercher dans l'économie réelle l'épargne qui pourrait servir à autre chose. Si les fonds additionnels dégagés par les baisses d'impôt se retrouvent à financer les dépenses du gouvernement (par l'achat de bons du Trésor), il n'y a en fin de compte rien de changé. Le gouvernement continue d'accaparer autant de ressources, la seule différence étant qu'il s'est endetté pour continuer à les utiliser.

          La seule solution pour transférer concrètement des ressources réelles du secteur public au secteur privé est donc simple: réduire les impôts et réduire les dépenses du gouvernement, c'est-à-dire diminuer réellement la demande de l'État pour des ressources réelles. Dans ce cas, les fonds libérés vont concrètement permettre aux entreprises d'avoir accès à plus de ces ressources réelles, et à meilleur prix parce qu'elles n'auront pas des organismes gouvernementaux comme concurrents.

          Il faut souligner le courage et la présence d'esprit de mos amis de l'Institut Fraser qui, le 12 janvier dernier, conseillaient au ministre des Finances non seulement de réduire les impôts, mais aussi de réduire les dépenses et de maintenir le budget équilibré. Depuis tout le début de la crise, il s'agit de la première intervention publique par des individus ou des organisations au Canada qui va dans ce sens.

          L'Institut Fraser avait mal commencé ses interventions dans cette crise lorsque son président, Mark Mullins, un économiste néoclassique incohérent et confus comme la plupart de ses collègues qui ne connaissent pas l'économie autrichienne, avait stupidement affirmé à l'automne que des crises de ce genre sont normales parce que le capitalisme est un système fondamentalement instable. Selon lui, le gouvernement se devait d'intervenir pour empêcher la crise mais pas trop et seulement temporairement pour éviter de politiser l'économie. On a vraiment besoin que de prétendus défenseurs du libre marché viennent alimenter de la sorte les clichés marxistes qu'on entend un peu partout!

          Même s'il n'utilise pas les mêmes arguments autrichiens que je présente ci-dessus, l'économiste senior de l'Institut, Niels Veldhuis, explique au moins clairement que le gouvernement est un poids mort dans l'économie et qu'il doit lui aussi réduire ses dépenses, comme le font tous les Canadiens:

The most effective way for the federal government to help the Canadian economy is to reduce government spending and permanently decrease personal income and business taxes, says Niels Veldhuis, Fraser Institute senior economist.

"Canadians would benefit tremendously from tax relief aimed at improving incentives to work, invest, and engage in entrepreneurial activities. Incentive-based tax relief would improve Canada's competitiveness and provide a solid foundation for a vibrant economy unburdened by increased government debt in years to come," Veldhuis said. (...)

"Increasing government spending―whether it's on bailouts for inefficient industries or increased unemployment benefits―will lead to a deficit that will saddle Canadians with higher taxes in the future. There's no need for Canada to run a deficit other than a politically motivated desire to do so," Veldhuis said. (...) "Our government needs to follow the lead of many Canadian households and begin by trimming the fat, not taking on more debt."

          La politique étant ce qu'elle est, le ministre des Finances et ses apparatchiks ne vont évidemment pas suivre ces conseils et s'appuyer sur la logique économique pour rédiger le budget du 27 janvier, mais plutôt sur la rentabilité politique. Les dernières rumeurs sont que le déficit pourrait atteindre 40 milliards de dollars. Le Canada s'apprête donc à s'enfoncer de nouveau dans le cercle vicieux de l'endettement, comme au début des années 1970. Seul parmi les pays du G7, il en était sorti de peine et de misère depuis le milieu des années 1990. Est-ce que ça prendra encore une fois 25 ans avant de voir la lumière au bout du tunnel?
 

 

SOMMAIRE NO 263QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVES RECHERCHEAUTRES ARTICLES DE M. MASSE

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QL POLITIQUE DE REPRODUCTION COMMENTAIRE? QUESTION?

 

PRÉSENT NUMÉRO