Il
existe un fort courant libertarien
chez les
transhumanistes – l'économiste Friedrich Hayek est
encensé sur plus d’un de leurs sites et Ayn Rand est sur la liste des
lectures recommandées de l’Extropian Institute. Selon Christophe Dewdney,
professeur à l'Université York de Toronto, « il y a des cyber-libertariens qui
font paraître les vieux libertariens pour des travailleurs sociaux. Ces
gens veulent démanteler le gouvernement », disait-il en parlant de l'aile
californienne des transhumanistes (Andy Lamey, « Away with all flesh »,
National Post, 31 juillet 1999, p. B-12).
L’idée de pouvoir, à
votre mort, téléverser (ou
uploader) les données contenues dans votre cerveau sur le réseau Internet
vous plaît? Vous ne faites peut-être pas partie de la majorité. J’ai déjà soumis le sujet à la discussion lors d’un
dîner entre amis. Tous (et surtout, toutes) ont trouvé la chose complètement
saugrenue. Voire même, aberrante. Il faut dire que si vous croyez le moindrement
aux concepts de l’âme ou de la vie après la mort, cette option n’est peut-être
pas la meilleure qui soit pour vous.
Toujours est-il que le mouvement existe depuis le début des années 1980. Les
premiers transhumanistes se reconnaissent comme tels et se rencontrent à
l'Université de Californie, à Los Angeles, qui devient l’un des principaux
centres de la pensée transhumaniste. Divers événements et manifestations visant
à tisser des liens sont organisés. En 1986, Eric Drexler publie Engines of
Creation: The Coming Era of Nanotechnology, dans lequel il présente les
perspectives liées aux nanotechnologies et aux assembleurs moléculaires. Il
fonde aussi le Foresight
Institute.
En 1988, Max More et Tom
Morrow publient la première édition du magazine Extropy. Deux ans plus
tard, More créé sa propre doctrine transhumaniste, les Principles of Extropy
(Les principes de l'Extropie), posant ainsi les bases du transhumanisme
moderne. En 1992, More et Morrow fondent l’Extropy Institute: « un groupe
transhumaniste qui recommande l’utilisation de la technologie pour augmenter
l’espérance de vie, accroître l'intelligence, optimiser la psychologie, et
améliorer les systèmes sociaux ».
Après une douzaine
d’années d’existence, le Conseil d’administration de l’Extropy Institute
annonce la fermeture
de l’organisme, estimant sa mission essentiellement complétée. En 2006, le
site de l'organisme est ainsi transformé en centre de référence – « la
bibliothèque du transhumanisme, de l’Extropie, et de l'avenir ». Cela ne veut
pas dire que le mouvement est moribond pour autant. D'autres organisations
transhumanistes, comme l’Association
transhumaniste mondiale (la World Transhumanist Association, ou WTA), fondée
en 1998 par Nick Bostrom et David Pearce, comblent rapidement l’espace laissé
vacant par les extropiens.
La WTA, une organisation
non gouvernementale internationale, oeuvre à la reconnaissance du transhumanisme
comme sujet légitime d'enquête scientifique et de politique publique. En 1999,
l’association esquisse et adopte The Transhumanist Declaration (La
Déclaration transhumaniste). Premier constat de cette déclaration:
L’avenir de l’humanité va
être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la
possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que
son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens
biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état
psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de
l’univers. |
Une
lutte entre la droite libertarienne et la gauche « progressiste » au sein du
mouvement se solde en 2006 par un repositionnement politique davantage
centre-gauche pour la WTA. L’année dernière, dans le cadre d’une opération de
restructuration de son « branding », l’association a changé de nom pour « Humanity
+ », le but étant de projeter une image plus… humaine. Humanity + publie
H+ Magazine, un
périodique édité par R.U. Sirius qui dissémine les nouvelles et idées
transhumanistes.
Les
transhumanistes ne croient pas que « la nature humaine est et devrait rester
essentiellement inaltérable ». Ils estiment qu'en rejetant cette prémisse, « il nous est permis
de voir un monde extraordinaire de possibilités, allant d’une félicité éternelle
jusqu’à l’extinction de toute forme de vie intelligente ». Ils mettent de
l’avant une série de « possibilités » très audacieuses qui ressemblent souvent à
de la science-fiction.
En voici quelques-unes,
tirées du site de la WTA, en commençant par celle qui devrait intéresser le
plus toute personne qui oeuvre dans le marché des idées (celle que j’avais soumis
à la discussion, lors d’un dîner d’amis):
Téléversement de la conscience dans la réalité virtuelle • Si nous
pouvions scanner la matrice synaptique d’un cerveau humain et la simuler sur un
ordinateur, il serait possible pour nous de migrer de notre enveloppe biologique
vers un monde totalement digital. En s’assurant que nous ayons toujours des
copies de remplacement, nous pourrions effectivement jouir d’une durée de vie
illimitée. En contrôlant le flot du courant dans une simulation de réseaux
neuraux, nous pourrions créer de nouveaux types d’expériences. Le téléversement
dans ce sens nécessitera probablement une nanotechnologie à sa pleine maturité.
Cependant, il existe des façons moins extrêmes de fusionner conscience et
ordinateur. Un travail de développement d’une interface neurale avec un
processeur a déjà été entrepris. Cette technologie en est encore à ses débuts,
mais elle nous permettra un jour de construire des neuroprothèses qui nous
permettront de nous brancher littéralement au cyberespace.
Médicaments de la personnalité • Les médicaments et la thérapie génique
vont permettre une facette multidimensionnelle du bien-être. Ils pourront aussi
bien modifier la personnalité qu’aider à surmonter la timidité, vaincre la
jalousie, accroître la créativité et augmenter la capacité d’empathie envers les
autres ainsi que la profondeur émotionnelle. Pensez aux prières, aux jeûnes et à
la discipline de fer auquel les gens se sont astreints aux cours des siècles
dans le but d’ennoblir leur personnalité. Bientôt il sera possible d’atteindre
le même but et de manière plus absolue en prenant quotidiennement un simple
mélange de comprimés.
La colonisation de l’espace • Techniquement possible aujourd’hui, la
colonisation spatiale demeure toutefois financièrement hors de portée. Mais
lorsque les coûts diminueront, il deviendra économiquement et politiquement
possible de l’entreprendre. Il suffirait qu’une seule colonie soit
autosuffisante pour qu’elle soit en mesure, à son tour, d’envoyer ses propres
sondes de colonisation. Ainsi, le
processus de duplication deviendra exponentiel et se répandra vers les milliards
d’étoiles de notre galaxie et puis ensuite vers les milliards de galaxies de
notre univers.
Nanotechnologie moléculaire • La nanotechnologie est l’assemblage et la
fabrication hypothétique de machines de précision à l’échelle atomique – ce
qu’on appelle, les « assembleurs ». Ce sont des machines qui vont positionner
chaque atome individuellement de manière à construire pratiquement toute matière
chimique selon la configuration qui sera spécifiée ainsi que des copies exactes
d’elles-mêmes. Eric Drexler a été le premier à analyser en détail la possibilité
physique d’un véritable assembleur moléculaire universel. Lorsqu’un tel appareil
existera, il sera possible de fabriquer à peu près n’importe quel objet, denrée
ou matière première, à partir de simples poussières, en lui donnant le design
spécifique et la quantité d’énergie et d’atomes requises.
Accroissement considérable de la durée de vie • Il sera possible
d’utiliser une thérapie génique jumelée à d’autres moyens biologiques pour
bloquer le processus normal de vieillissement et ainsi stimuler le
rajeunissement et les mécanismes de régénération indéfiniment. Il est possible
aussi que la nanotechnologie puisse un jour accomplir le même exploit.
Actuellement, il y a des traitements hormonaux, dont l’efficacité n’a pas été
prouvée, qui s’avèrent parfois onéreux et qui semblent en général avoir certains
effets sur la vitalité des personnes. Toutefois, preuve scientifique à l’appui,
seule la restriction contrôlée des calories permet d’augmenter la durée de vie.
Réanimation des patients cryogéniquement suspendus • Les personnes
« congelées » avec les moyens d’aujourd’hui ne peuvent probablement pas être
ramenées à la vie sans le secours d’une nanotechnologie avancée. Même si nous
pouvions être absolument certains que la nanotechnologie en vienne à
fonctionner, il n’y a aucune garantie que le pari des clients de la cryonique
serait gagnant – rien ne nous assure en effet que nos descendants voudront
réanimer des humains de notre époque. Pourtant même un succès de 5% à 10% peut
être une solution rationnelle – pour des personnes qui peuvent se le permettre
et qui placent une grande valeur sur la continuation de leur existence.
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