1. La littérature du libéralisme
Afin que ce livre ne
prenne pas de trop grandes proportions, j'ai dû être bref. Je m'estime
d'autant plus justifié à l'avoir été que j'ai déjà traité à fond tous
les problèmes fondamentaux du libéralisme dans une série d'ouvrages et
d'essais détaillés.
Pour le lecteur qui
désirerait acquérir une compréhension plus profonde de ces sujets,
j'ajoute la compilation suivante des écrits les plus importants.
Les idées libérales se
trouvent déjà dans les oeuvres de nombreux auteurs anciens. Les grands
penseurs anglais et écossais du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle
furent les premiers à formuler ces idées sous la forme d'un système.
Quiconque veut se familiariser avec l'esprit libéral doit reprendre
leurs livres:
• David Hume, Essais
moraux, politiques et littéraires et autres essais [Essays Moral,
Political, and Literary] (1741 et 1742), et
• Adam Smith,
Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des nations [An
Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations] (1776),
et plus particulièrement
• Jeremy Bentham,
nombreux écrits, commençant par Defense of Usury (1787), jusqu'à
Deontology, or the Science of Morality, publié à titre posthume
en 1834. Tous ses écrits, à l'exception de Deontology, furent
publiés dans l'édition complète éditée par Bowring entre1838 et 1843.
John Stuart Mill est un
épigone du libéralisme classique qui fut plein de piteux compromis,
particulièrement à la fin de sa vie et sous l'influence de sa femme. Il
glissa progressivement vers le socialisme et est à l'origine de la
confusion irréfléchie des idées libérales et socialistes qui conduisit
au déclin du libéralisme anglais et à la diminution du niveau de vie de
la population anglaise. Malgré cela – ou peut-être précisément à cause
de cela – il convient de se familiariser avec les principaux écrits de
Mill:
• Principles of
Political Economy (1848)
• De la liberté [On
Liberty] (1859)
• L'Utilitarisme [Utilitarianism]
(1862).
Sans une étude sérieuse
de Mill, il est impossible de comprendre les événements qu'ont subis les
deux dernières générations, car Mill est le grand défenseur du
socialisme. Il a élaboré avec attention et amour tous les arguments
pouvant être avancés en faveur du socialisme. Comparés à Mill, tous les
autres auteurs – même Marx, Engels et Lassalle – ont bien peu
d'importance.
Il est impossible de
comprendre le libéralisme sans connaître l'économie, car le libéralisme
est de l'économie appliquée: il constitue une ligne politique et sociale
fondée sur une base scientifique. Sur ce sujet, outre les écrits déjà
mentionnés, il convient de se familiariser avec le grand maître de
l'économie classique:
• David Ricardo, Des
Principes de l'économie politique et de l'impôt [Principles of
Political Economy and Taxation] (1817).
Les meilleures
introductions à l'étude de l'économie scientifique moderne sont:
• H. Oswalt, Vorträge
über wirtschaftliche Grundbegriffe (nombreuses éditions)
• C. A. Verrijn Stuart,
Die Grundlagen der Volkswirtschaft (1923).
Les chefs-d'oeuvre en
langue allemande de l'économie moderne sont:
• Carl Menger,
Grundsätze der Volkswirtschaftslehre (première édition, 1871).
• Eugen von Böhm-Bawerk,
Kapital und Kapitalzins (1884 et 1889). Également instructif, son
Karl Marx and the Close of His System (New York, 1949).
Les deux principales
contributions allemandes à la littérature libérale ont connu le même
malheur que le libéralisme allemand. Essai sur les limites de
l'action de l'État [On the Sphere and Duties of Government]
(London, 1854) de Guillaume de Humboldt fut terminé en 1792. Schiller en
publia la même année un extrait dans Neuen Thalia, d'autres
extraits apparaissant dans le Berliner Monatsschrift. Par la
suite, toutefois, l'éditeur de Humboldt eut peur de sortir le livre, qui
fut laissé de côté et demeura oublié pour n'être redécouvert et publié
qu'après la mort de l'auteur.
L'ouvrage d'Hermann
Henrich Gossen, Entwicklung der Gesetze des menschlichen Verkehrs und
der daraus. fliessenden Regein für menschliches Handeln trouva
certes un éditeur, mais ne rencontra aucun lecteur à sa sortie, en 1854.
Le livre et son auteur demeurèrent oubliés jusqu'à ce que l'Anglais
Adamson tombât sur un exemplaire.
La pensée libérale
imprègne la poésie classique allemande, par-dessus tout les oeuvres de
Goethe et de Schiller.
L'histoire du libéralisme
politique en Allemagne est brève et marquée par de trop rares succès.
L'Allemagne moderne – et ceci comprend les défenseurs de la Constitution
de Weimar tout autant que ses adversaires – est un monde vivant à
l'écart de l'esprit du libéralisme. Le peuple allemand ne sait plus ce
qu'est le libéralisme mais il sait l'insulter. La haine du libéralisme
est le seul point rassemblant les Allemands. Il faut signaler, parmi les
écrits allemands récents sur le libéralisme, les ouvrages de Leopold von
Wiese: Der Liberalismus in Vergangenheit und Zukunft (1917);
Staatssozialismus (1916); et Freie Wirtschaft (1918).
Pas un souffle de
l'esprit libéral n'a jamais atteint les peuples de l'Europe de l'Est.
Bien que l'esprit libéral
soit en déclin même en Europe occidentale et aux États-Unis, on peut
considérer ces nations comme libérales en comparaison des Allemands.
Parmi les auteurs
anciens, il convient également de lire les OEuvres complètes de
Frédéric Bastiat (Paris, 1855). Bastiat était un brillant styliste,
de sorte que la lecture de ses écrits constitue un véritable plaisir.
Étant données les fantastiques avancées de la théorie économique depuis
sa mort, il n'est pas surprenant que ses enseignements soient
aujourd'hui obsolètes. Cependant, sa critique de toutes les tendances
protectionnistes et assimilables reste encore aujourd'hui pleinement
valides. Les protectionnistes et les interventionnistes n'ont pas été en
mesure d'avancer un seul argument pertinent et n'ont pu donner aucune
réponse objective. Ils ont simplement continué à bégayer: Bastiat est «
superficiel. »
En ce qui concerne les
ouvrages politiques plus récents en langue anglaise, il ne faut pas
oublier que le mot « libéralisme » a aujourd'hui souvent le sens de
socialisme modéré. Une brève présentation du libéralisme est donné par
l'Anglais L. T. Hobhouse dans Liberalism (1911), et par
l'Américain Jacob H. Hollander dans Economic Liberalism (1925).
Des introductions encore meilleures aux idées des libéraux anglais se
trouvent dans:
• Hartley Withers, The
Case for Capitalism (1920).
• Ernest J. P. Benn,
The Confessions of a Capitalist (1925). If I Were a Labor Leader
(1926). The Letters of an Individualist (1927). Ce dernier livre
comprend une bibliographie (pp. 74 et suivantes) de la littérature
anglaise sur les problèmes fondamentaux du système économique. The
Return to Laisser Faire (London, 1928).
On trouve une critique
des politiques protectionnistes par Francis W. Hirst dans son ouvrage
Safeguarding and Protection (1926).
Est également instructif
le compte rendu du débat public qui s'est tenu à New York le 23 janvier
1921 entre E. R. A. Seligmann et Scott Nearing sur le sujet: « Le
capitalisme a plus à offrir aux travailleurs des États-Unis que le
socialisme. »
Les ouvrages La Cité
moderne de Jean Izoulet (première édition en 1890) et Community
de R. M. MacIver (1924) constituent des introductions à la pensée
sociologique.
L'histoire des idées
économiques se trouve exposée par: Charles Gide et Charles Rist,
Histoire des doctrines économiques (nombreuses éditions); Albert
Schatz, L'individualisme économique et social (1907); et Paul
Barth, Die Philosophie der Geschichte als Soziologie (nombreuses
éditions).
Le rôle des partis
politiques est traité par Walter Sulzbach dans Die Grundlagen der
politischen Parteibildung (1921).
L'ouvrage Geschichte
des deutschen Liberalismus (1911-1912, deux volumes) d'Oskar Klein-
Hattingen constitue un essai sur l'histoire du libéralisme allemand, et
Guido de Rugaiero a fait la même chose pour le libéralisme européen dans
The History of European Liberalism (Oxford, 1927).
Pour finir, je citerai
parmi mes propres ouvrages ceux qui sont en liaison étroite avec les
problèmes du libéralisme:
• Nation, État et
économie [Nation, Staat und Wirtschaft: Beiträge zur Politik und
Geschichte der Zeit] (1919).
• Critique de l'intervenionnisme
[Kritik des Interventionismus] (1929).
• Le Socialisme [Sozialismus]
(1936), et Le Chaos du planisme [Planned Chaos], 1951.
• Le Gouvernement
omnipotent [Omnipotent Government] (1944).
• L'Action humaine
[Human Action] (1949).
• La Mentalité
anticapitaliste [The Anti-Capitalistic Mentality] (1956).
2. À propos du terme « libéralisme »
Ceux qui ont l'habitude
des écrits publiés ces dernières années sur le libéralisme vont
peut-être m'objecter que ce qui est appelé libéralisme dans le présent
ouvrage ne coïncide pas avec ce que l'on comprend habituellement sous ce
terme dans la littérature politique contemporaine. Je suis loin de le
nier. Au contraire, j'ai moi-même souligné que ce que l'on entendait
sous le vocable « libéralisme » aujourd'hui, particulièrement en
Allemagne, est totalement différent de ce que l'histoire des idées
appelle « libéralisme » pour décrire le contenu du programme libéral des
XVIIe et XVIIIe siècles. Presque tous ceux qui se prétendent de nos
jours « libéraux » refusent de se prononcer en faveur de la propriété
privée des moyens de production et défendent des mesures en partie
socialistes et interventionnistes. Ils cherchent à justifier leur
position en expliquant que l'essence du libéralisme ne consisterait pas
à adhérer à l'institution de la propriété privée mais à d'autres choses,
et que ces autres choses exigent un développement plus poussé du
libéralisme, qui ne devrait plus dès lors défendre la propriété privée
des moyens de production mais se faire à la place l'avocat du socialisme
et de l'interventionnisme.
Ce que ces « autres
choses » peuvent bien être, les pseudo-libéraux doivent encore nous
l'expliquer. Nous les entendons beaucoup parler d'humanité, de
magnanimité, de véritable liberté, etc. Il s'agit certainement de
sentiments nobles et respectables que tout le monde approuvera
immédiatement. En fait, toute idéologie y souscrit. Toute idéologie –
hormis quelques courants de pensée cyniques – pense défendre l'humanité,
la magnanimité, la véritable liberté, etc. Ce qui distingue une doctrine
sociale d'une autre n'est pas l'objectif ultime du bonheur humain
universel, qu'ils désirent tous, mais la façon dont ils cherchent à
l'atteindre. Le trait caractéristique du libéralisme est de proposer
d'arriver à cet objectif par la propriété privée des moyens de
production.
Les questions de
terminologie sont cependant, somme toute, secondaires. Ce qui compte
n'est pas le nom mais la chose dont on parle. Aussi fanatiquement opposé
à la propriété privée que l'on puisse être, on devra toutefois concéder
au moins la possibilité que quelqu'un puisse la défendre. Et si l'on
accepte ce point, on devra bien entendu donner un nom à ce courant de
pensée. Il faudrait demander à ceux qui se prétendent aujourd'hui
libéraux comment ils appelleraient l'idéologie qui défend la
préservation de la propriété privée des moyens de production. Peut-être
répondront-ils qu'ils souhaitent l'appeler « manchesterisme ». Ce terme
a été initialement créé avec une connotation de dérision et d'insulte.
Néanmoins, cela n'empêcherait pas de l'employer pour désigner
l'idéologie libérale si ce n'était que l'expression a toujours été
utilisée jusqu'ici pour marquer le programme économique plutôt que le
programme général du libéralisme.
Il faut en tout cas
donner un nom au courant de pensée défendant la propriété privée des
moyens de production. Le mieux est de s'en tenir au terme traditionnel.
Il n'est source de confusion que si l'on suit le nouvel usage, qui
autorise même les protectionnistes, les socialistes et les bellicistes à
se présenter comme « libéraux » quand ça les arrange.
On pourrait aussi se
demander si, en vue de diffuser plus largement des idées libérales, il
ne faudrait pas trouver un nouveau nom à l'idéologie libérale, de sorte
que les préjugés développés à son encontre, particulièrement en
Allemagne, ne constituent pas un handicap. Une telle proposition
partirait de bonnes intentions mais serait totalement opposée à l'esprit
du libéralisme. Tout comme ce dernier doit, par nécessité interne,
rester à l'écart de toute ruse de pure propagande et éviter tous les
moyens qu'utilisent les autres mouvements pour faire accepter leurs
idées, il faut aussi éviter d'abandonner cet ancien nom pour la simple
raison qu'il est impopulaire. C'est précisément parce que le terme
« libéral » a une connotation défavorable en Allemagne que le
libéralisme doit le conserver. L'important n'est pas de rendre la pensée
libérale plus facilement acceptable par tout le monde, mais de convertir
les gens au libéralisme, de les faire penser et agir comme des libéraux.
Une deuxième objection
pouvant être levée à l'encontre de la terminologie en usage dans le
présent ouvrage consiste à dire que le libéralisme et la démocratie ne
sont pas considérés ici comme étant en opposition. De nos jours, en
Allemagne, le « libéralisme » indique souvent la doctrine qui soutient
l'idée d'une monarchie constitutionnelle, et la « démocratie » signifie
le soutien à l'idéal politique de la république parlementaire. Même sur
le plan historique, cette conception est totalement indéfendable. C'est
la république parlementaire et non la monarchie constitutionnelle pour
laquelle le libéralisme s'est battu. Sa défaite à cet égard consista
précisément en ce que l'Empire allemand et l'Autriche ne réussirent qu'à
créer une monarchie constitutionnelle. Le triomphe des antilibéraux
vient de ce que le Reichstag allemand était si faible qu'il peut être
qualifié, si l'on veut être précis et non poli, de « club de bavards ».
Le dirigeant du parti conservateur qui affirmait qu'un lieutenant et
douze hommes suffiraient à dissoudre le Reichstag disait la vérité.
Le libéralisme est le
concept le plus général. C'est une idéologie qui embrasse toute la vie
sociale. L'idéologie de la démocratie ne comprend que les aspects
sociaux qui relèvent de la constitution de l'État. La raison pour
laquelle le libéralisme exige la démocratie comme corollaire politique a
été démontrée dans la première partie de l'ouvrage. Montrer pourquoi
tous les mouvements antilibéraux, socialisme compris, doivent être
antidémocratiques est le but des recherches voulant analyser de manière
approfondie la nature de ces idéologies. En ce qui concerne le
socialisme, j'ai essayé de le faire dans le livre qui porte ce titre.
Il est facile à un
Allemand de s'égarer, car il pense toujours en ayant à l'esprit les
libéraux-nationaux et les sociaux-démocrates. Les libéraux nationaux ne
furent jamais, même à l'origine, un parti libéral – tout au moins sur
les questions de droit constitutionnel. Ils constituaient ce courant du
vieux parti libéral qui a toujours expliqué qu'il prenait en compte
« les faits tels qu'ils sont réellement », c'est-à-dire qu'il
considérait comme certaine la défaite du libéralisme dans son conflit
constitutionnel prussien contre les adversaires de la « Droite »
(Bismarck) et de la « Gauche » (les partisans de Lasalle). Les
sociaux-démocrates n'étaient démocrates que tant qu'ils n'étaient pas au
pouvoir, c'est-à-dire tant qu'ils ne se sentaient pas assez puissants
pour éliminer leurs adversaires par la force. Dès qu'ils s'estimèrent
les plus forts, ils se déclarèrent partisans de la dictature – comme
leurs auteurs l'avaient toujours recommandé. Ce n'est qu'après avoir
subi des défaites sanglantes face aux bandes armées des partis de droite
qu'ils se sont à nouveau déclarés en faveur de la démocratie « jusqu'à
nouvel ordre ». Leurs penseurs l'expliquèrent en ces termes: « Au sein
des partis sociaux-démocrates, le courant en faveur de la démocratie a
triomphé sur celui préconisant la dictature. » Bien entendu, seul un
parti qui défend les institutions démocratiques en toutes circonstances
– même s'il est le plus fort et qu'il est au pouvoir – peut être
qualifié de démocratique.
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