BAISSES D'IMPÔT ET CRÉTINISME ÉCONOMIQUE (Version imprimée)
par Pierre-Yves Pau*
Le Québécois Libre, 15 février 2009, No 264.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/090215-2.htm
L'incompétence abyssale de la plupart de nos éditorialistes et
politiciens en matière d'économie a toujours été consternante, mais depuis que
la récession mondiale frappe à nos portes, elle s'exprime avec une régularité
assourdissante. Il suffisait récemment d'ouvrir La Presse pour trouver
cette perle de l'auguste chroniqueur Alain Dubuc, au sujet des baisses d'impôt
auxquelles a récemment fait allusion le ministre fédéral des Finances:
Dans un tel contexte, si on remet de l'argent aux consommateurs par le
truchement de baisses d'impôts, est-ce que ça va restaurer leur confiance?
Rien n'est moins sûr. Est-ce que ça va les convaincre de consommer? Pas
nécessairement, parce que ce n'est pas le manque d'argent qui les arrête. Le
risque est grand, au contraire, que bien des gens se servent de cet argent
pour épargner ou pour réduire leur dette, ce qui serait sans doute une bonne
chose pour eux, mais ce qui n'aiderait absolument pas le Canada à se sortir
le plus rapidement possible de la récession.
Dans Le Soleil, Jean-Marc Salvet ne se faisait pas faute de nous
ressortir le même discours, à croire que tout le monde s'est donné le mot pour
répéter les mêmes sottises:
Ces baisses serviraient bien peu à relancer la consommation, surtout si
elles étaient généralisées. Chacun d'entre nous est bien placé pour
comprendre que la plupart des personnes bénéficiant déjà de bons revenus
auraient le réflexe d'épargner davantage. Et que bien des citoyens aux
prises avec un inquiétant taux d'endettement en profiteraient pour réduire
leurs dettes.
Et je passe sur le billet vidéo de Rudy Le Cours de La Presse cette
même semaine, manifestement tiré du même tonneau.
Cet argument contre l'efficacité des baisses d'impôt est évidemment faux: si
l'argent de ces baisses d'impôt ne va pas à la consommation, il ira à l'épargne,
c'est-à-dire soit à l'investissement, soit à la consommation d'un autre agent
économique; ça ne peut qu'être bénéfique pour des secteurs comme l'immobilier ou
même les bilans des institutions financières. D'une manière ou d'une autre, il
s'agit d'une utilisation de la richesse plus avisée que l'engraissement de la
bureaucratie.
Et cette idée que la prospérité économique ne peut provenir que de la
consommation est elle-même absurde. Un rôle majeur de l'épargne, c'est de
garantir le crédit. Pas d'épargne, pas de crédit. Les banques ne prêteront que
si elles disposent des réserves suffisantes en capital, et cela, c'est justement
l'épargne.
Autrement dit, votre épargne, c'est soit la consommation de quelqu'un
d'autre, soit un investissement qui financera cette consommation, et assurera la
solvabilité des créances qu'elle a induites. Sans épargne, la stimulation des
dépenses – publiques ou privées – ne peut en aucune façon restaurer la confiance
des particuliers et des entreprises. Ce sont les particuliers et les entreprises
qui forment l'économie: si leur solvabilité est un peu plus saine grâce aux
réductions d'impôt, cela aidera l'économie en général.
Ceux qui s'imaginent que l'emploi crée la richesse (puisqu'il donne un revenu
à consommer) devraient, dans la même perspective, inciter l'État à embaucher
toute personne qui ne travaille pas et la payer à faire absolument n'importe
quoi (creuser et reboucher des trous par exemple). Augmenter les prestations
d'assurance chômage est sans doute une mesure charitable pour les prestataires,
mais relève de la même logique tordue. Car ce qui permet d'accroître la
richesse, ce n'est pas l'emploi, c'est l'augmentation de la productivité, soit
la capacité d'ajouter de la plus-value aux facteurs de production que l'on
consomme.
Or, la productivité vous la trouvez dans le secteur privé, pas dans les
bureaucraties gouvernementales, ne serait-ce que parce qu'il n'existe aucune
façon de mesurer la productivité d'une bureaucratie. Pour mesurer la
productivité, il faut en effet mesurer la valeur économique de la production, ce
qu'aucune bureaucratie ne fera jamais. D'abord parce qu'il n'existe pas, sauf
exception, de marché libre pour la production d'une bureaucratie – quand il y en
a un, c'est presque toujours un monopole, les prix sont donc fixés
arbitrairement; ensuite parce que la seule chose qui compte dans ce type
d'organisation, c'est de respecter les règles, ce qui est au fond la seule
raison valable pour laquelle on peut vraiment avoir besoin d'une bureaucratie.
Chaque dollar dépensé par l'État dans le but suicidaire de «stimuler la
demande» provient nécessairement du secteur privé, c'est-à-dire qu'il vient
diminuer une activité où s'accomplit quelque chose de productif, pour en
soutenir une autre qui par définition ne peut pas l'être.
Tout cela est effarant, au mieux de bêtise, au pire, de cynisme. Comment
imaginer qu'une économie puisse se sortir d'affaire en calant les consommateurs
sous des monceaux de dettes qu'ils ne réussiront jamais à apurer, ou encore que
ces dépenses sans réelle exigence de rentabilité puissent faire autre chose que
de détruire de la richesse (en comptabilité on appelle cela « faire de la
cavalerie »)? À moins que ces commentateurs sachent fort bien qu'il s'agit d'une
idiotie, mais qu'ils pensent que leurs lecteurs sont assez bêtes pour l'avaler
toute crue.
Je ne résiste pas ici au plaisir de vous faire partager sur ce sujet une
savoureuse chronique de Nathalie Elgrably-Lévy, qui règle leur compte à ces
imbécillités d'une plume aussi précise qu'impertinente:
Mais pourquoi cette levée de boucliers contre les baisses d'impôts? On
dit qu'elles seront inutiles et inefficaces car les gens s'en serviront pour
épargner ou pour rembourser leurs dettes. Un économiste d'une institution
financière chérie des Québécois a même déclaré aux médias que les baisses
d'impôts seront vaines car l'argent que nous retournera le gouvernement ne
sera pas entièrement « réinvesti » dans l'économie. Vraiment? Mais alors, où
cet argent ira-t-il? S'évaporera-t-il dans l'atmosphère? Va-t-il flotter
dans un univers parallèle jusqu'à ce qu'on le dépense?
Le fonctionnement de l'économie est simple: ce qui sort de la poche de
l'un entre nécessairement dans la poche de l'autre, et vice-versa. Ainsi, un
contribuable qui alloue sa réduction d'impôts de 1 000 $ au remboursement
d'une dette procure à son créancier une entrée d'argent. Et que fait-on
quand on dispose de plus de moyens? On dépense ou on investit, ou les deux!
Un raisonnement similaire prévaut dans l'éventualité où la réduction
d'impôts sert à financer l'épargne. Les institutions financières se
servent des dépôts des uns pour consentir des prêts aux autres.
L'absence d'épargne rend impossible l'octroi de prêts! Et pour
quelle raison quelqu'un emprunterait-il si ce n'est pour payer un
achat?
Contrairement aux âneries qui circulent depuis une semaine, toute
réduction d'impôts est nécessairement réinjectée dans l'économie.
Mieux encore, l'histoire nous a prouvé que réduire les impôts est un
excellent moyen de dynamiser une économie. Même Keynes serait
d'accord!
On pourrait également citer Christina Romer, professeure d'économie à
l'université Berkeley, directrice du comité des conseillers économiques de
l'équipe de Barack Obama et keynésienne convaincue. Mme Romer a récemment
publié une étude dans laquelle elle démontre l'efficacité inégalée des
réductions d'impôts. D'après ses recherches, une réduction d'impôt de 1 $
fait augmenter le PIB de 3 $!
L'idée qui consiste à opposer le bien-être économique individuel à celui de
la population en général est le fondement doctrinaire de cette allergie à tout
allègement du fardeau fiscal. Cette opposition artificielle est évidemment un
sophisme. Il n'y a pas d'intérêts divergents entre le bien-être économique de la
population en général et celui des individus. Si ce n'est pas bon pour un
individu de vivre au-dessus de ses moyens par le biais de l'endettement, ce
n'est pas bon pour la population en général non plus – et inversement, ce qui
est bon pour l'individu en général, l'est aussi pour la société dans son
ensemble.
L'idéologie qui sous-tend ces absurdités relève au fond d'une forme de
mysticisme social – dont le marxisme et ses dérivés représentent l'incarnation
la plus récente, et l'Église catholique la plus florissante –, où les intérêts
de chacun doivent être subordonnés aux valeurs de la collectivité, acceptées
dogmatiquement comme transcendantes, et définies de façon suffisamment floues et
générales pour servir d'excuses à n'importe quoi.
Poussez le raisonnement à l'extrême et vous aboutissez soit au communisme,
soit au fascisme. C'est une philosophie qui méprise les individus, comme le
montre bien l'assertion implicite selon laquelle ces derniers sont incapables de
choisir intelligemment comment dépenser le fruit de leur travail, et que par
conséquent l'État doit s'en occuper à leur place.
Parce qu'en effet, la seule différence notable entre une baisse d'impôt et
des dépenses publiques, lorsqu'il s'agit de stimuler l'économie, c'est que dans
le premier cas ce sont les particuliers et les entreprises (= le « privé », ce
galeux d'où vient tout le mal) qui choisiront comment dépenser les dollars
qu'ils ont gagnés, alors que dans le second, ce sera un fonctionnaire qui le
fera pour eux – et neuf fois sur dix on sait qu'il les dépensera mal.
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* Pierre-Yves Pau, Eng., MSc, MBA, habite à Toronto. |